La proposition phare du rapport de la Cour des Comptes « Devenir enseignant : la formation initiale et le recrutement des enseignants des premier et second degrés » publié le 1er février 2023, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit d’expérimenter « dans les académies en difficulté et les disciplines en tension une nouvelle voie d’accès au métier enseignant, par un recrutement direct sur diplôme, en contrepartie de l’affectation sur un poste précis avec l’engagement de l’enseignant d’y demeurer pour la durée du contrat (de trois à cinq ans) ». On peut dire que la préconisation est iconoclaste ou, au contraire, se demander si elle ne relève pas du folklore : prendre à rebrousse-poils tous les défenseurs du service public et des statuts de ses agents tient désormais, du lieu commun.
Beaucoup de lieux communs
Et des lieux communs, il y en a d’autres dans ce rapport. On peut ainsi lire que les étudiant·es qui se destinent au métier de l’enseignement ont une appétence particulière pour la mobilité de carrière (pas question de faire le même métier toute sa vie), mais une sainte horreur de la mobilité géographique. Le concours est « un couperet », le recrutement par concours souffre par définition de « rigidité ». Pour recruter, le service public ferait bien de s’inspirer d’autres modèles. L’enseignement privé, par exemple, pratiquerait largement une forme de « pré-recrutement », en proposant d’abord des CDD à des enseignant·es qui passeraient au bout de quelques années les concours nationaux. Quant à la manière d’organiser le recrutement par contrat, le rapport propose d’organiser un ou deux entretiens d’embauche, qu’il faudrait cadrer nationalement pour qu’ils ne soient pas « trop exclusivement disciplinaires », la qualification disciplinaire, c’est bien connu, étant tout à fait secondaire dans nos métiers.
Ces propositions ne sont pas à prendre à la légère. Les rapporteurs se plaisent à rappeler les préconisations déjà faites, qui sont restées lettre-morte ; l’expérience montre cependant que le ministre précédent a volontiers repris certains conseils de la Cour des comptes, par exemple sur la formation continue.
Une critique des réformes de la formation des enseignants
Mais au delà de tout ce qu’il a d’énervant, ce rapport a le mérite de proposer un bilan des réformes successives. Les auteurs relèvent que formation des enseignant·es est l’objet d’une « réforme quasi permanente », et se montrent relativement sévères à l’égard de la réforme de 2019. Sa mise en œuvre « très étalée dans le temps » a connu « des moments d’accélération soudains », « une publication des textes réglementaires trop tardive […] plaçant alors les acteurs en difficulté par manque d’informations et de cadrage stabilisé », ce que les syndicats de la FSU ont souvent dénoncé, en vain. D’une même voix, ceux-ci s’étonnaient également que la question de l’attractivité ne soit jamais au centre des débats, et qu’il n’y ait eu aucune mesure transitoire ni aménagement pour contrebalancer les effets de l’allongement de la scolarité avant le concours. A posteriori, les magistrats de la Cour des comptes leur donnent raison et soulignent que l’attractivité n’était pas « au centre des priorités » du ministère.
Le rapport revient à plusieurs reprises sur les difficultés que la dernière réforme pose aux étudiant·es de deuxième année de master MEEF : le ministère prétendait alléger la première année du master (qui cumulait validation du M1 et concours), il a tout simplement déplacé la surcharge en M2. On retrouve presque mot pour mot ce que les syndicats de la FSU ont pu dire en 2021-2022, lorsque la première génération d’étudiant·es de M2 préparaient le concours : ils et elles « ont largement fait part de leur désarroi et de leur niveau élevé de stress ». Celles et ceux ayant fait le choix de l’alternance en M2 sont particulièrement débordé·es. Pour reprendre le bon mot de Jean-Michel Blanquer (qui à propos de l’opposition syndicale à la réforme du lycée, dénonçait les « ventilateurs à angoisse » ), ça ventile aussi parmi les « sages » de la rue de Cambon. Au bout du compte, remarquent-ils, la réforme de 2019 réussit à rendre encore moins attractifs les concours, notamment parce qu’elle rend moins lisibles les voies qui conduisent au concours. Le tutorat lui-aussi, pourtant pièce essentielle du dispositif d’ensemble (pour les AED en prépro, les étudiants en SOPA ou en alternance, les fonctionnaires stagiaires), « souffre d’un déficit d’attractivité auprès des enseignants ».
Il faut reconsidérer la mise en responsabilité
Dernière critique, et non des moindres, du rapport, qui rejoint la critique de fond et les revendications des syndicats de la FSU : « la priorité accordée à la gestion des moyens plutôt qu’aux logiques de formation ». Cela vaut avant le concours, pour la mise en responsabilité des étudiant·es contractuel·les alternant·es (en plus de mettre en péril la validation du M2 et la préparation du concours, cela complique la gestion des affectations et de l’encadrement), cela vaut aussi pour l’année de titularisation, que les lauréat·es titulaires d’une MEEF accomplissent à temps plein, et c’est un choix « discutable », disent les auteurs du rapport. « L’emploi d’étudiants comme moyen d’enseignement par le biais de contrats d’alternance et l’entrée dans le métier à temps plein pour une partie des stagiaires mériteraient d’être reconsidérés par le MENJ afin d’améliorer les conditions de formation et d’entrée dans le métier ». CQFD.
En bref, les syndicats de la FSU avaient raison de s’opposer à la réforme Blanquer, et de réclamer une mise à plat de la formation et des concours, et le rapport de la Cour des comptes le signifie très clairement. On ne se retrouvera pas dans les préconisations du rapport, mais c’est à vrai dire la partie la moins charpentée du rapport : à moins d’utiliser la magie, on ne voit guère comment la substitution du contrat au concours dans certaines académies ou disciplines, pourrait suffire à créer un vivier. S’il n’y a pas suffisamment d’étudiant·es ou de salarié·es en reconversion qui s’inscrivent, il n’y aura pas davantage de collègues prêt·es à devenir non-titulaires. Comment rendre attractive dès lors, la préparation des concours, en dehors de tout ce qui peut être fait pour améliorer l’aval, c’est-à-dire les conditions de travail et la rémunération des enseignant·es, CPE et Psy-ÉN tout au long de leur carrière ? Le rapport de la Cour des comptes évite soigneusement de le dire : il faudrait prérecruter pour de vrai, en payant des étudiant·es pour qu’ils et elles étudient, ce qui réglerait la question de l’accompagnement social de l’élévation du niveau de recrutement et permettrait d’accroître les volumes de formation dispensés. Ce serait une véritable rupture avec la logique budgétaire dont il nous semble que le rapport souligne les limites.