A la demande de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, le Ministère de l’Éducation Nationale a récemment transmis les chiffres des démissionnaires stagiaires des premier et second degrés ainsi que le taux de démissionnaires titulaires du premier et du second degré.
Des démissions en forte augmentation depuis trois ans
Même si le Ministère relève que « le volume des démissions est à rapprocher du volume des postes proposés aux concours chaque année », il est bien obligé de constater que depuis 2012-2013, le taux de démission augmente de façon continue, passant de 0,9 % en 2012-2013 à 2,6 % en 2017-2018 dans le second degré (de 1,4% à 3,9% dans le premier degré). Ces pourcentages cachent par ailleurs une réalité plus importante. En 2017-2018, par exemple, le Ministère compte 358 démissions pour 13600 stagiaires en collège et lycée… mais qui sont ces stagiaires ? La réponse ministérielle évoque les « concours externes et 3e concours », mais cette année là, il n’y a eu que 11164 admis-es à ce concours. Si le chiffre de 13600 fait la somme des lauréat-es de tous les concours de recrutement d’enseignant-es, CAPES, CAPET, CEPS, CAPLP et Agrégation, que ce soit externe, interne et 3e concours, il faut alors relever qu’une part importante des lauréat-es des concours internes, mais aussi de l’agrégation externe ou spéciale, ne constitue pas du « sang neuf », au sens où ces stagiaires enseignaient déjà ; on peut supposer que ce ne sont pas celles et ceux qui démissionnent. Le pourcentage des démissions de stagiaires doit donc être plus important. On peut remarquer, pour finir avec les problèmes de chiffres, qu’en 2016, un rapport sénatorial de Jean-Claude Carle et Françoise Férat en donnait d’autres, pourtant issus du Ministère et sur les mêmes années que ceux produit en décembre 2019. Même si les chiffres relevés étaient du même ordre, le sénateur et la sénatrice s’alarmaient d’une « progression inquiétante du phénomène », et regrettaient que le Ministère n’en fournisse pas d’explication.
Pour quelles raisons ? Attention aux fausses solutions !
Cette année, en revanche, le Ministère a identifié deux causes – « un décalage entre la représentation du métier d’enseignant et la réalité professionnelle », et « la charge de travail liée aux productions croisées des préparations de classes et de réalisation du mémoire de recherche » – et affirme avoir « engagé plusieurs actions de nature à améliorer la situation ».
Or c’est là que le bât blesse. L’idée qu’on recruterait des gens par erreur n’est pas admissible ; elle repose sur un cliché, assez largement partagé : il y a des gens qui sont faits pour enseigner, et d’autres pas. C’est ce préjugé qui pilote une partie de la réforme de la formation des enseignant-es (création du dispositif AED « en préprofessionnalisation » en septembre 2019, nouveaux Master MEEF annoncés pour 2020 et nouveau concours pour 2022) : il faut mettre très tôt dans les établissements les étudiant-es qui se destinent à nos métiers, et celles et ceux dont la nature ne les porteraient pas à l’enseignement ou l’éducation renonceraient. On se trouve là dans une logique malthusienne extrêmement dangereuse, au moment où les besoins du système sont importants, et où les « vocations », pour le dire très largement, sont de moins en moins nombreuses.
Réfléchir sur le fond aux causes des démissions
Il serait beaucoup plus utile au contraire d’ouvrir le dossier des démissions complètement : combien sont-elles en regard du « sang neuf » et dans chaque discipline, à quel moment interviennent-elles dans le stage, et quelles mesures sont mises en place par les rectorats ? Trop souvent, les militant-es des secteurs Entrée dans le Métier du SNES-FSU, à la section nationale ou dans les sections académiques, doivent rasséréner des stagiaires, et découvrent de terribles gâchis, des situations qui prises à temps, n’auraient pas dû déboucher sur une démission. On entend en ces occasions des stagiaires qui mettent des mots très précis sur les difficultés rencontrées, mais ne disposent pas des ressources, dans leur formation, pour les dépasser.
La réforme de la formation aggravera le phénomène
On voit mal comment, à la faveur de la réforme pour la session 2022, « le déplacement du concours en fin de deuxième année de master allégera la charge de travail des étudiants car l’année de stage se déroulera après l’obtention du master » ; ce que le Ministère ne précise pas en effet, c’est qu’il prévoit de mettre à temps plein les stagiaires après le concours. Comment un temps plein peut faciliter l’entrée dans le métier, et donc réduire les démissions ? A moins que le calcul ne soit plus terre à terre : les étudiants qui auraient pu démissionner après le concours, l’auront déjà fait, puisqu’ils-elles auront reçu dès le master, leur baptême du feu. On en revient à la logique malthusienne dénoncée plus haut, bien loin de la nécessité de prendre en compte les besoins des stagiaires pour transformer la formation.