Le SNES-FSU avait publié des analyses au printemps dernier sur les choix de spécialités par les élèves de Seconde, sur la base d’une enquête auprès d’un nombre important de lycées. On peut retrouver le détail de cette enquête aujourd’hui confirmée par les faits. Le service statistique du ministère de l’Education nationale (DEPP) a publié une note d’information qui fournit un certain nombre de données sur les choix de spécialités, et les combinaisons de spécialités, dites «triplettes », effectuées par les élèves de première en cette rentrée 2019, dans le cadre de la réforme du lycée. Le ministère confirme donc au passage toutes les analyses du SNES-FSU qui annonçaient :
-le maintien d’un fort déterminisme social et « académique » des choix de parcours des élèves ;
-le maintien d’une forte influence du genre sur les choix de parcours des élèves
-la fausse disparition des séries générales, amenées à se recomposer de manière plus implicite sous la forme de triplettes – implicite mécaniquement favorable aux « initiés » du système scolaire.
►Une forte concentration des choix de triplettes… autour des anciennes séries!
Le MEN pourrait se satisfaire de constater la très grande « liberté » que les élèves ont prise dans leurs choix de combinaisons : on dénombre pas moins de 426 triplettes mises en œuvre à la rentrée. Mais l’immense majorité de ces triplettes est choisie par un très petit nombre d’élèves. En réalité, 15 triplettes sur les 426 attirent à elles seules 80 % des élèves de 1ère. Autrement dit, 80 % des élèves se concentrent sur 3,5 % des triplettes. Se gargariser sur la liberté de choix dans ce contexte serait intellectuellement malhonnête car l’immense majorité des élèves a concentré ses choix sur un tout petit nombre de parcours parmi les possibilités formellement offertes.
Lorsqu’on regarde en détail les 15 triplettes en question, outre que l’on retrouve celles qui avaient été repérées par le SNES-FSU en avril dernier, on remarque que :
-6 triplettes correspondant à plusieurs variantes des anciennes séries S (y compris S-SI et S-ISN), ES et L regroupent à elles seules 52,6% de l’ensemble des élèves, et 66,2% des élèves concernés par ces 15 triplettes.
-8 triplettes « nouvelles », ne correspondant pas formellement aux anciennes séries, sont en réalité des variations autour des trois séries ES, L et S: 5 apparaissent comme des variantes de la série S ou des combinaisons S/ES, 3 comme des combinaisons de type « ES/L ». Ces triplettes ne remettent donc pas fondamentalement en cause les séries qui existaient jusqu’à cette rentrée mais elles montrent juste qu’une réforme de ces séries aurait été pertinente, sans qu’il soit besoin de faire exploser le cadre qu’elles représentent. Ces 8 triplettes regroupent 20 % des élèves de 1ère, et 25,1 % des élèves des 15 triplettes les plus fréquentes.
-seule 1 triplette apparaît comme véritablement originale (HGGSP, SVT, SES). Elle n’accueille que 2,1 % des élèves, et 2,7 % des élèves concernés par les 15 triplettes dominantes.
►Les choix de spécialités marqués par l’origine sociale des élèves.
Le SNES n’avait pas pu analyser ce point, ne disposant pas des données nécessaires. L’angle choisi était celui du niveau scolaire des élèves. La DEPP fournit les données concernant le choix des spécialités selon l’origine sociale des élèves. Les résultats sont sans surprise: certaines spécialités sont plus souvent choisies par les élèves d’origine très favorisée que par ceux d’origine sociale défavorisée (mathématiques, physique-chimie, en particulier). Dans d’autres cas, c’est clairement le contraire (LLCE ou HLP, par exemple). Autrement dit, et sans surprise, le ministère confirme par ses chiffres que la réforme en cours a très peu de chances de remettre en cause les inégalités sociales qui traversent le lycée.
► Le genre différencie toujours les parcours et les choix.
Les données de la DEPP montrent clairement que les choix des filles et des garçons ne sont pas les mêmes. Si 61,4 % des filles ont choisi la spécialité mathématiques, c’est le cas de 77,8 % des garçons. L’écart est aussi fort, au détriment des filles, pour la physique-chimie. Il est particulièrement net en NSI, discipline très clairement marquée « masculine ». A l’inverse – et sans surprise – seuls 9 % des garçons ont choisi HLP, contre 25,3 % des filles, et l’écart est également très fort en LLCE. Comme le SNES le faisait remarquer en avril, le «libre choix», c’est d’abord le jeu libre des déterminismes sociaux les plus forts…
Sans surprise également, les triplettes elles-mêmes sont marquées par l’influence du genre (document 5). Lorsqu’on repère les 5 triplettes où les garçons sont le plus sur-représentés par rapport à leur poids dans l’ensemble des élèves de 1ère, on trouve systématiquement des combinaisons associant mathématiques, physique-chimie, et une troisième spécialité variable (HGGSP, SES, NSI, SI, LLCE). Lorsqu’on fait le même exercice pour les filles, on ne trouve aucune triplette associant les mathématiques et la physique-chimie ; en revanche, les 5 triplettes comportent au moins une discipline « littéraire » (LLCE ou HLP), et 3 de ces triplettes sur les 5 ne comportent que des spécialités littéraires ou de sciences humaines. Par conséquent, derrière la diversité des choix et des combinaisons, la réforme ne remet pas radicalement en cause les inégalités de genre dans les parcours.
On notera simplement que la triplette « mathématiques-physique/chimie-SVT » (la plus fréquente, et correspondant à l’ancienne série S) a une composition genrée très neutre : si les filles représentent 55,9 % des élèves de 1ère, elles représentent 56,9 % des élèves qui ont pris cette triplette. Et il semble que cela soit un changement par rapport à la série S, où les filles étaient (légèrement) sous-représentées : elles constituent 47,6 % des élèves de 1ère S, alors qu’elles représentent 54,2 % des élèves de première toutes séries confondues. Mais il faut nuancer cette « bonne nouvelle » : lorsqu’on regarde la série S en laissant de côté les spécialités « informatique » et « sciences de l’ingénieur », et donc en se concentrant sur les spécialités « maths », « physique-chimie » et « svt », la part des filles dans la série S monte à 51,4 %. Si elles restent légèrement sous-représentées par rapport à leur poids dans l’ensemble des élèves, elles sont néanmoins déjà majoritaires dans l’équivalent « série » de la triplette « maths-PC-SVT ». La « bonne nouvelle » n’est donc pas si « nouvelle » qu’il y paraît.
source : DEPP, note d’information 19-48, novembre 2018