L’étude internationale TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study) 2019 a mesuré les performances des élèves de Quatrième en sciences (sciences-physiques et SVT) et en mathématiques dans 46 pays ou provinces de l’UE et de l’OCDE. C’est la première fois depuis 1995 que la France y participe à ce niveau d’étude. La cohorte d’élèves interrogée à leur huitième année d’enseignement obligatoire est celle qui a été étudiée par TIMSS en CM1, il y a quatre ans. Les résultats de cette cohorte restent stables.
Quels résultats ?
Avec une moyenne de 465 points en chimie, de 491 en physique l’échantillon d’élèves testé est sous la moyenne internationale de 506 points en chimie et de 511 en physique. La cohorte française avait obtenu le même résultat global en sciences de 489 points en CM1, il y a 4 ans donc le retard pris en élémentaire en sciences n’a pas pu être compensé au collège.
13 % des élèves français (contre 11% en moyenne) sont en difficulté, « n’atteignent pas le niveau bas et montrent une compréhension limitée des principes et concepts scientifiques, ainsi qu’une connaissance limitée des notions scientifiques ».
59 % « sont capables de montrer et d’appliquer certaines connaissances scientifiques ».
« 22 % des élèves interrogés atteignent le niveau élevé, ces élèves sont capables de mettre en application leurs connaissances scientifiques ».
Seuls 3% atteignent le niveau dit « avancé » contre 10% en moyenne. « Ces élèves savent exprimer leur compréhension des concepts relatifs à l’ensemble des domaines scientifiques évalués dans des contextes variés »
Bien qu’il soit difficile de comparer le niveau des élèves d’aujourd’hui avec celui de ceux de 1995 après tant de modifications de programmes et de pratiques (fluctuation des préconisations), le niveau des élèves français est resté stable sur la période en Quatrième. L’introduction de sciences-physiques en classe de Sixième n’a pas suffit à réduire l’écart. En revanche l’écart entre les résultats des garçons et des filles a disparu globalement mais demeure en physique de 9 points (contre 7 au niveau international).
Quelles pistes d’analyse ?
La démarche d’investigation en cause ? Croisons TIMSS, PISA et la recherche
La démarche d’investigation est une méthode inductive où l’on attend des élèves « qu’ils comprennent, expliquent et débattent des concepts scientifiques, qu’ils élaborent et mènent des expériences puis qu’ils communiquent les résultats, et qu’ils établissent un lien entre les problèmes de la vie réelle et leurs investigations ainsi que les concepts scientifiques dont ils ont connaissance. » (©OCDE 2017RÉSULTATS DU PISA 2015 (VOLUME II))
Pendant des années, l’OCDE a prôné la démarche d’investigation. A sa suite, la pression des IA-IPR a été telle, pendant tant d’années, que la France est le pays qui la met le plus en pratique aujourd’hui. 25 % des élèves « y prennent part dans la moitié ou plus de leurs cours de sciences (déclaration des enseignants), la France étant l’un des pays de l’UE ou de l’OCDE en proposant le plus (17 % en moyenne) » d’après TIMSS 2019. Pourtant, dans l’enquête PISA sciences de 2015, l’OCDE reconnaissait enfin qu’ « une exposition plus importante à l’enseignement fondé sur une démarche d’investigation est corrélée à de moins bons résultats en sciences dans 56 pays ».L’OCDE corrélait aussi la durée hebdomadaire d’enseignement des sciences à de meilleurs résultats. Peut-on en déduire que la démarche d’investigation étant chronophage, les élèves ont eu moins de temps pour approfondir l’étude de concepts difficiles ?
En 2015, l’OCDE déclarait que l’enseignement dirigé améliore les résultats : ” Bien que ces stratégies fassent de l’élève un sujet passif durant le cours, un minimum de consignes de la part de l’enseignant est essentiel si l’on attend des élèves qu’ils acquièrent des connaissances scientifiques.”
André Tricot(1), chercheur en sciences de l’éducation, à formateur à l’INSPE de Toulouse, explique qu’il y a trop souvent confusion entre la manipulation comme moyen pour apprendre à faire quelque chose et la manipulation comme but de l’apprentissage (comme moyen d’apprendre autre chose). D’après sa métanalyse d’études, « on apprend mieux à faire quelque chose quand on comprend ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Quand l’objectif est de comprendre, d’élaborer une connaissance notionnelle, alors ce n’est pas tant le fait de manipuler qui est important : c’est le fait d’être actif cognitivement, de réfléchir, se poser des questions, faire des hypothèses. Faire manipuler ou agir les élèves représente un coût cognitif. Un moyen de réduire le coût cognitif est d’avoir des connaissances dans le domaine ». Donc, si l’intérêt de la démarche d’investigation est réel pour apprendre la démarche scientifique, elle confronte les élèves les plus en difficulté à un exercice plus difficile encore. Elle participe à creuser les inégalités parmi les élèves. De même que la contextualisation perd les mêmes élèves qui ne discernent pas toujours le véritable objectif de l’activité, c’est-à-dire la découverte ou la réutilisation d’un concept scientifique.
Qu’apportent les résultats de TIMSS sciences ? Les meilleurs résultats sont obtenus pour les exercices de raisonnement (502 points en France contre 512 dans l’UE et l’OCDE), par rapport à ceux de connaissances (480 points en France contre 513) ou d’application (482 points en France contre 518). On peut en déduire que la démarche scientifique, privilégiée en France, développe la compétence « raisonner ». Cette approche est chronophage et limite sans doute la quantité de connaissances enseignée aux élèves. 77 % des élèves français déclarent pratiquer des expériences en classe au moins une fois par mois en France (dans les pays de l’UE et de l’OCDE, c’est entre 51 % et 64%). Les dédoublements étant en régression depuis des années, on constate que les professeurs ne renoncent pas à permettre aux élèves d’expérimenter en classe entière malgré les sureffectifs croissants. Enfin, les garçons obtiennent 14 points de plus que les filles en ce qui concerne les connaissances en sciences.
Quel enseignant n’a pas entendu un IPR expliquer que l’important résidait dans les compétences des élèves et que les connaissances étaient moins importantes ? Qu’internet permettrait toujours à l’élève de trouver les informations dont il aurait besoin.
Un temps d’enseignement moindre
« En moyenne, pour les pays de l’UE et de l’OCDE, un élève reçoit 128 heures de cours de sciences par an selon les déclarations des enseignants de sciences des classes interrogées. En France, la moyenne est de 113 heures (133 heures au Japon ou 140 aux USA et 142 en Finlande). Soit un nombre d’heures supérieur aux 108 heures minimum obligatoires » au niveau Quatrième. Depuis la réforme du collège, le temps d’enseignement en Troisième a diminué d’une demi-heure mais des sciences-physiques ont été introduites en Sixième inégalement en termes d’horaire d’un collège à l’autre puisque l’horaire de sciences et technologie est globalisé. Il serait intéressant de savoir comment était formulée la question sur le temps d’enseignement par classe. Il est peu probable que les élèves bénéficient d’horaires supplémentaires de sciences-physiques avec des dotations horaires qui ne cessent de rétrécir. Il est plus probable que cela correspondent à l’horaire professeur lorsqu’il reste des dédoublements pour expérimenter. Dans ce cas, le temps d’enseignement reçu par chaque élève reste 108 heures.
Peu de calculs en sciences
Les élèves français déclarent être peu confrontés à des calculs en sciences. En effet les programmes de sciences-physiques sont peu orientés vers des exercices calculatoires au collège, même s’ils le sont davantage depuis la réforme du collège. L’obstacle reste le manque de temps pour que les élèves se consacrent à s’y exercer.
En retard avant l’entrée au collège
En mai 2019, TIMSS a aussi interrogé des élèves de 58 pays ou provinces au cours de leur quatrième année d’enseignement obligatoire, c’est-à-dire en CM1 en France. A ce niveau, la France a participé à la session de 2015 et les résultats sont restés très stables avec 488 points en sciences. Là encore, la France se retrouve en bas du tableau des pays de l’OCDE. 41% d’élèves de CM1 se retrouvent dans le dernier quartile et 12% seulement dans le premier quartile (au lieu de 25%).
Alors que 6% des élèves européens obtiennent moins de 400 points en sciences, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas les connaissances élémentaires, en France, 14 % des élèves français sont concernés.
TIMSS interroge aussi les enseignants et leurs réponses confirme que la situation n’a pas changé depuis 2015.
A l’école élémentaire, l’horaire annuel de sciences devrait être de 72 heures (contre 67 heures en Europe) mais seulement 47 heures effectives sont pratiquées en moyenne. C’est 35% de moins ! Les professeurs des écoles déclarent ne passer que 5% du temps de classe à enseigner les sciences.
La formation continue fait cruellement défaut. C’est la plus limitée des pays de l’Union européenne. 26% des élèves ont un professeurs des écoles qui a participé à une formation en sciences dans les deux années précédentes contre 58% en Europe.
Enfin, 35 % des enseignants français sont très satisfaits de leur métier contre 61 % au niveau international et 49 % dans l’Union européenne. Dans l’enquête TIMSS de 20115 (4), ils déclaraient le plus souvent avoir suivi des études consacrées aux humanités et n’avoir pas reçu un enseignement scientifique solide. Ils exprimaient leur malaise à enseigner des champs disciplinaires pour lesquels ils ne sont pas spécialistes, notamment pour aider les élèves en difficulté dans leurs apprentissages.
Ainsi TIMSS pointe-t-il l’insuffisance des formations initiales et continues de professeurs d’école en sciences et en didactique des sciences.
Laboratoire et laborantin, informatique, et soutien…
« Au collège, la France est le deuxième (si on se réfère uniquement aux pays UE/OCDE) pays se déclarant le moins affecté par le manque de ressources générales (fournitures, ressources audiovisuelles, etc.) ou spécifiques (professeurs de sciences, matériels pour les expériences, etc.): 56 % des élèves ne sont pas affectés en France contre 35 % en moyenne dans les pays de l’UE et de l’OCDE »
« En France, 75 % des élèves étudient dans un collège équipé d’un laboratoire contre 82 % en moyenne dans les pays de l’UE et de l’OCDE. » L’absence de dédoublement est pénalisante mais l’absence de laboratoire avec le matériel adéquat ne permet même pas au professeur d’effectuer des démonstrations à la paillasse du professeur. Cela relève du métier empêché pour ces professeurs et ne peut que nuire aux résultats des élèves. Les résultats des élèves sont meilleurs dans les pays où ils manipulent jusqu’à deux fois par mois plutôt qu’une fois par semaine ou pas du tout. Il faut en effet aussi du temps pour étudier la théorie.
Ils sont 13 % à avoir un enseignant ayant à disposition un assistant lorsqu’il conduit des expériences avec eux contre 34 % en moyenne dans les pays de l’UE et de l’OCDE. » Les laborantins en collège sont en voie de disparition. Les professeurs sont déchargés d’une heure de cours à partir de 8 heures de cours pour s’occuper de la préparation des expériences et la gestion du laboratoire. Le plus souvent, cette décharge n’est pas respectée et est transformée en heure supplémentaire annuelle.
35 % (contre une moyenne de 54%) « des élèves de France ont accès à des ordinateurs en salle de sciences, cette proportion est une des plus basses des pays de l’UE et de l’OCDE ». 80 % (contre 53%) « des élèves ne se voient jamais ou presque jamais proposer d’activité scientifique sur ordinateur »
Alors que 33% des élèves de Singapour déclarent bénéficier d’un enseignement extrascolaire en sciences, cela ne concerne que 8,1% des élèves français.
Un écart de 125 points sépare les élèves des 15% des familles françaises disposant de nombreuses ressources à la maison et les 7 % de celles qui ont peu de ressources. Un exemple concerne les exposés à base de documents quand il faut les construire ou les terminer chez soi. Ce type d’exercices accroit les inégalités scolaires. De même les élèves qui peuvent parler à la maison de leur travail en sciences obtiennent de meilleurs résultats. Les collégiens scolarisés dans « des établissements avec plus de 25% d’élèves de foyers économiquement aisés et pas plus de 25% de foyers défavorisés économiquement » obtiennent 50 points de plus que les autres.
Les biais de TIMSS
Comme pour PISA, la comparaison provinces de la Chine ou de tous petits états comme Singapour avec des pays beaucoup plus grands n’est pas très représentatif.
Ceci étant la place de la France dans le bas du tableau ne peut être que significative.
« En physique, seuls 46 % des élèves de Quatrième évalués ont étudié les thèmes abordés avant le test (contre 63 % en moyenne UE/OCDE). En chimie, ils sont 54 % (contre 73 % en moyenne UE/OCDE) ». Pour parer ce problème majeur, une étude annexe a été menée avec uniquement des items correspondant au programme français (121 items sélectionnés sur 211). Or, cette étude a permis de recalculer le score des élèves français sans qu’il soit modifié notablement.
Conclusion
La formation des enseignants français de sciences-physiques se caractérise par des préconisations très fortes, issues des rapports de l’OCDE, puis impulsée par la hiérarchie pédagogique avec de forts effets de balancier. Dès 2005, il fallait passer au tout compétences avec des tableaux sans fin à cocher car il s’agissait de micro compétences procédurales.
Ensuite est venue la mode de la démarche d’investigation qu’il aurait fallu mener de façon systématique.
Puis, il aurait fallu abandonner les micro compétences qui s’avéraient néfastes et utiliser des compétences beaucoup plus larges et transversales, sans prendre en compte que ces compétences sont toujours liées à des connaissances. (3) Il était important de pouvoir évaluer des compétences de maîtrise de la langue en sciences-physiques car le français devait s’étudier à travers toutes les disciplines.
L’usage des TICE s’est développé sans se poser la question de l’intérêt d’expérimenter avec des appareils de mesures qui sont des « boîtes noires » plutôt que de comprendre comment utiliser l’appareil de mesure non interfacé avec l’ensemble de ses réglages ou bien l’intérêt de tracer un graphique à la main pour comprendre comment il se construit puisque l’outil informatique le traçait pour l’élève. Et ceci sans critiquer le fait qu’une fois ces appareils et techniques de graphiques maîtrisées, l’interface informatique de mesure permet de démultiplier les expériences et de montrer la reproduction des lois étudiées.
Enfin, comme les items de PISA sont contextualisés, il semblait nécessaire de contextualiser tout l’enseignement aux dépens des élèves les plus fragiles dont l’attention est leurrée par le contexte quotidien. Poser une question de récitation de leçon en évaluation a été pendant un temps considéré comme une hérésie. L’ensemble de ces préconisations caricaturales, en passant par les ilots bonifiés, n’a pas aidé les enseignants à se former sereinement en se fondant sur la recherche en sciences de l’éducation. La question de la levée des implicites en classe n’a pratiquement pas été abordée pour réduire les inégalités scolaires dans la classe mais désormais, il faudrait différencier à outrance l’enseignement sans avoir étudié ce que le collectif apporte aux élèves. Soit les enseignants ont suivi les recommandations, soit ils y ont résisté le plus longtemps possible, non sans culpabilisation. Peut-on s’étonner que l’étude TIMSS montre que Les enseignants français se déclarent les moins satisfaits de leur travail parmi ceux de l’UE et l’OCDE ?
Pour le SNES-FSU, c’est plutôt dans la diversité des pratiques d’enseignement qu’il faut chercher à susciter l’attrait du plus grand nombre d’élèves pour les sciences plutôt que par le biais unique de la dernière innovation.
(1) Réf. : Note d’Information, n° 20.48. © DEPP
(2) Mythes et réalité : l’innovation pédagogique, André Tricot
(3) Bernard Rey, professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles
(4) note de la DEPP n°33, novembre 2016