I / Nos disciplines, français et langues et cultures de l’antiquité :
Des dénominations diverses :
Un des problèmes de la discipline « français » est qu’on a bien du mal à la définir : qu’est-ce qu’être prof de français ? Qu’y a-t-il à enseigner ?
Ainsi, on la nomme « français », mais aussi « littérature » en lycée (série L), « lettres » (en CPGE littéraire), « culture générale et expression » en BTS.
Dénominations diverses au fil du temps pour les LCA aussi :
« Latin, grec », mais aussi « lettres classiques », au regard de lettres modernes, « langues mortes », au regard de langues vivantes, « langues anciennes » et, désormais, « langues et cultures de l’antiquité ».
Pour la première fois nous nous définissons par ce que nous sommes et pas par opposition à d’autres disciplines connexes. Cependant, cette dénomination n’est pas neutre. Elle est intervenue en 2009. Elle impose dans l’intitulé de la discipline la dimension culturelle, que nous enseignions tous, mais qui avait tendance à devenir de plus en plus prégnante, au détriment de la langue.
Cette dénomination a ouvert la porte à des enseignements mixtes : l’enseignement d’exploration langues et cultures de l’antiquité avec la réforme des lycées (dont le programme spécifique est resté lettre morte à peu près partout) et désormais l’EPI LCA au collège. On mêle, dans ces enseignements, au petit bonheur la chance, enseignement du grec et du latin, quelques rudiments de langues, de culture et de littérature. En multipliant les contenus à enseigner, on éparpille les disciplines à part entière que sont le grec et le latin.
II / Des tensions dans les disciplines :
A / Le Français :
Qu’enseigner en priorité :
Langue ou littérature ? Qu’est-ce qu’enseigner la langue ? La maîtrise de la langue (conception traditionnelle : enseigner les règles et leur application, majoritaire dans les pratiques et priorité pour les programmes de 2008) ou la connaissance de la langue (analyser et comprendre le système, 2002 Observation Raisonnée de la Langue qui a été plutôt un échec car problème de formation continue et initiale) ? Les nouveaux programmes reviennent sur l’importance de la compréhension du système. Mais la formation sera-t-elle cette fois effective ?…
Part de la langue et de la littérature : varie selon les classes, les époques et la personnalité de chacun. Mais globalement, en collège on privilégie la langue et en lycée on l’oublie quasiment, ce qui serait à réfléchir.
Cloisonnement ou décloisonnement :
Les choses sont parfois présentées de façon un peu sectaire. Insistance sur la séquence en 1996-2002, retour au cloisonnement en 2008. On revient au décloisonnement avec autorisation de faire des focus sur tel ou tel point de grammaire, dans les programmes de 2016. Cycle 3, réapparition du mot « séquence » mais pas dans le cycle 4 car peur d’effrayer certains.
Dans l’académie de Strasbourg, l’Inspection de Lettres tient beaucoup à la problématique de la séquence.
Conséquences : On finit par travailler selon nos convictions car le vent tourne sans arrêt et il est impossible de s’adapter sans cesse, surtout en absence d’une réelle formation continue. On se fixe une ligne de conduite. Il est tout de même dommage que l’on ne parvienne pas à avoir un programme suffisamment cohérent pour être compris et partagé par tous. Par ailleurs, on fait ce que l’on maitrise, ce à quoi on a été formé. L’état actuel de la formation initiale a de quoi nous inquiéter. On est ainsi très peu nombreux à avoir un parcours universitaire en linguistique. Lettres modernes et lettres classiques sont en perte de vitesse dans les universités, il y a de nouvelles filières de lettres, sans enseignement de la langue. A Strasbourg cependant, la linguistique a encore une place importante dans les filières universitaires littéraires.
La question du français langue de communication.
Le français transversal, le français outil, pour toutes les autres disciplines. Le domaine 1 du socle pouvait nous laissait espérer que chaque matière allait se saisir de son travail sur le langage qui lui est propre et que nous garderions l’étude de la langue, la réflexion sur le système, etc. Le CSP est revenu au français outil, à une vision utilitariste de la langue.
Exemple d’un établissement de l’académie de Strasbourg dans lequel, actuellement, il y a des conseils de socle. Il y est demandé aux profs de français de valider le domaine 1 du socle sans être trop exigeant. Le français n’est alors qu’une langue de communication. L’IPR lui même l’a dit : les compétences de langue n’ont pas à être validées par les professeurs de français. Il est même parfois demandé de justifier ce qu’on apporte en plus, en tant que prof de français, quand on intervient en AP par exemple.
Enseigner l’oral, qu’est-ce que c’est ?
L’école transmet la culture de l’écrit, c’est sa vocation première car elle n’est pas transmissible dans les familles. Mais la culture de l’oral est devenue plus complexe. Pourtant l’oral n’est pas enseigné, il est seulement évalué. Récitations, exposés, sont des produits oraux mais a-t-on appris à réciter, à oraliser l’exposé ? L’implicite est le suivant : si on connait la langue écrite, on maitrise l’oral ; en réalité c’est faux. Les pratiques évaluées sont des pratiques d’écrit oralisé, pas vraiment d’oral. Dans le nouveau programme, c’est le cycle 3 qui travaille le + sur l’oral. Au bac, on évalue à l’examen la capacité de l’élève à dialoguer, ce qu’on ne lui apprend pas.
Quelle culture commune fait-on partager ?
Quel niveau requis de maitrise commune de l’écrit et de l’oral ? C’est très flou et c’est exprès ! Chacun aura validé le socle car chacun aura obtenu un niveau, même si ce n’est pas le même pour tous ! Cela va dans le même sens que les classes sans notes. En réalité, ce qui importe c’est d’évaluer ; peu importe le niveau atteint. Il est entendu que le niveau sera différent d’un élève à l’autre… Les nouveaux programmes, par cycles, accentuent encore ce « principe » et vont conduire à de grandes inégalités.
Les conseils d’enseignement de lettres sont particulièrement difficiles, sans doute plus que ceux d’autres disciplines : se mettre d’accord sur un niveau d’évaluation, un sujet, un barème pour un devoir commun, est toujours très compliqué.
A Strasbourg il a été dit lors des formations sur la réforme : la logique de l’ancien socle était de définir le minimum à atteindre, avec le nouveau, elle est de hisser les élèves au + haut niveau possible. Quels arguments trouver pour valoriser la réforme ?!
Culture littéraire patrimoniale ? Quelle part de la littérature contemporaine ? Pour le nouveau programme, le SNES avait demandé un corpus indicatif de textes. Le résultat est plus que vague. Cette absence de repères sur le corpus de textes va à l’encontre de la constitution d’une culture commune.
Il faudrait s’intéresser davantage à la liaison 3ème/2nde pro, à la liaison bac pro / BTS.
B / Les tensions disciplinaires en LCA :
Tensions entre langue, lecture et civilisation/culture
En France, nous tentons de maintenir un enseignement qui tienne les trois domaines cimentés.
L’apprentissage systématique de la langue a longtemps dominé les heures de grec et de latin, ainsi que les heures de version. La civilisation se faisait par imprégnation en quelque sorte.
Un mouvement de balancier a mis ensuite la culture au premier plan, pour maintenir intérêt et motivation des élèves ; certains n’étudiaient plus beaucoup de langue voire plus du tout. Aujourd’hui, alors qu’on semblait avoir trouvé un équilibre, la réforme viendrait séparer les deux enseignements de la langue et de la culture (cf Royaume-Uni).
Le recours aux textes authentiques ou à des textes fabriqués
On nous fait aujourd’hui le procès de travailler sur des textes outillés, tronqués, de tricher, en quelque sorte. C’est oublier comment nos élèves apprennent par ailleurs les langues vivantes : des dialogues préfabriqués, à l’intérêt très limité et un accès à la littérature différé et réservé à quelques uns, les élèves des séries littéraires. Nos collègues de LV ne travaillent pas non plus la traduction, jugée trop difficile. La tâche que nous leur demandons, dès la 5ème est extrêmement ardue et leur demande un effort intellectuel important, en quantité comme en qualité. S’il est évident que cette approche par la littérature doit rester au cœur de nos pratiques, faut-il pour autant s’interdire le recours à des textes « fabriqués » ? Certaines méthodes anglaises permettent sans doute bien des acquisitions lexicales et linguistiques.
On nous a aussi demandé, il y a quelques années, lorsque le CECRL est entré en vigueur, d’entrer dans ce cadre et d’enseigner le latin comme une langue vivante, en oralisant le plus possible. Certains ont développé des pratiques intéressantes. Cela suppose qu’à côté de l’enseignement des textes authentiques on apprend aussi une langue peut-être moins canonique mais qui ouvre vers une approche plus intuitive.
Le latin pour qui ?
Note de la DEPP octobre 2015 Cette note, publiée récemment, va bien dans le sens de la réforme. Elle met en avant le fait que les latinistes se recrutent en grande partie chez les bons élèves et les élèves de classes sociales favorisées. Pour schématiser, comme selon le discours de la Ministre, cette option servirait essentiellement des privilégiés. Elle laisse en revanche de côté les chiffres du RERS 2015 qui montrent que les latinistes de collège, à la rentrée 2014, étaient issus pour moitié des classes sociales très favorisées et favorisées (ce sont ces élèves-là qui sont les moins nombreux) et pour moitié des classes sociales moyennes et défavorisées.
L’an prochain dans un établissement de l’académie de Strasbourg, il y aura une classe de 5ème latiniste. Le professeur de Lettres Classiques est obligé d’accepter pour pouvoir assurer l’enseignement de complément. La réforme voulait aller contre ça mais l’organisation pratique va le recréer fréquemment, sinon le fonctionnement des établissements sera trop complexe.
III / La liberté pédagogique
Sur quoi porte la liberté pédagogique ?
Choix des textes ? Choix des pratiques ? (le nouveau programme nous en impose), choix des objectifs de la discipline ? Là, c’est dangereux car c’est ce que le programme devrait nous dire. Choix dans les parties du programme ? Avec les programmes par cycle, on va y être contraint et quand les structures vont se figer, ce sera différemment d’un collège à l’autre. En 6ème, comme on sera en bout de course du cycle 3, le primaire risque de nous imposer ce qu’on aura à faire.
Quel périmètre de la liberté pédagogique devons-nous défendre ?
Les conditions d’exercice contraignent la liberté pédagogique : avec la réforme, notre horaire n’est plus défini. AP + EPI vont nous « manger » des heures et le fonctionnement sera différent d’un trimestre à l’autre, d’un collège à l’autre. Mais il est sûr que l’on n’aura jamais la totalité des heures. En plus, les programmes ont été faits sans connaissance préalable des horaires. Cette réforme ne permet pas l’exercice de la liberté pédagogique mais multiplie les contraintes et les injonctions contradictoires.
Rappel de nos mandats : sur les effectifs, 25 élèves en collège maxi, une part de dédoublement dans chaque discipline, des horaires nationaux dans toutes les disciplines.
Dans les collèges, en CA, il faudra se mettre en lien avec parents et élèves pour défendre nos visions contre d’éventuelles lubies des chefs d’établissement. La priorité est de maintenir la part la plus grande d’enseignement disciplinaire, fait par le professeur de la discipline, dans sa classe. Les luttes seront parfois difficiles.
IV / Les programmes :
Les domaines du socle noient, dans leurs intitulés, les enseignements disciplinaires pour constituer des pôles.
Ensuite, il y a un programme, sur 3 cycles, pour toutes les disciplines, sans indications de contenus précis et de niveaux à atteindre. Le tout repose sur le mythe que tous les professeurs lisent les programmes des autres disciplines en plus de la leur et que l’on pourra ainsi travailler tous ensemble.
Les volets :
Volet 1 : spécificités du cycle
Volet 2 : les contributions essentielles des disciplines au socle.
Volet 3 : le programme, opérationnalisation.
Pour le français, ce sont les 4 compétences travaillées + la culture littéraire et artistique (qui devrait fédérer le tout mais qui est placée à la fin) avec des problématiques.
A / Observation du programme de français et de sa composition
C’est le système autour (autonomie sur les horaires, EPI, cycle…), plus que les programmes eux-mêmes, qui est gênant.
Réactions : certains collègues ont des difficultés à accepter de laisser de côté l’approche par genre ou par l’histoire littéraire.
Ce qui nous gêne, davantage que l’approche par problématique, que nous avons défendue, c’est que parfois les problématiques proposées n’en sont pas (par exemple « Dire l’amour »). Les indications de corpus ne permettent pas non plus une cohérence à l’intérieur de chaque problématique. Le choix, à l’intérieur des propositions de corpus, renvoie au professeur la responsabilité de la baisse d’ambition. Or, même avec des élèves d’éducation prioritaire, les textes du patrimoine, le théâtre notamment passent très bien et le théâtre du XVIIème n’est pas forcément trop dur. En revanche, il est clair que le flou du programme de « culture littéraire » va conduire à des exigences très diverses.
Quelle est la visée de l’enseignement de la littérature ? Donner des repères historiques, des repères formels ou insister sur l’apport personnel ? Le programme répond partiellement à cette question, en choisissant une entrée par problématique et non par genre ou par période historique. Cela ne veut pas dire que ces connaissances sur les textes doivent être oubliées, elles ne sont plus la visée première. Il nous a semblé important de former de futurs lecteurs et pas de futurs spécialistes. Nous avons cependant proposé des amendements pour introduire dans les contenus des contenus plus littéraires.
La question des correspondances entre le programme d’histoire et le programme de lectures en français va se poser différemment puisque c’est au professeur de français de choisir son corpus.
B / Cadre de la réforme et programme de Langues et Cultures de l’Antiquité :
Cadre de la réforme et LCA :
Le flou le plus total règne pour l’organisation des enseignements puisque le texte, dans son ambiguïté, permet de réduire l’horaire de l’enseignement de complément. Ne pas hésiter à rappeler, toutefois, que le cabinet de la Ministre s’est engagé sur ces horaires (p. 4 du document) et ne fait pas la même lecture du texte que la DGESCO.
Il faut donc se battre contre les dispositifs, annoncés ici ou là, qui prévoient de ne pas ouvrir d’enseignement de complément en 5ème mais de proposer un EPI à tous les élèves de 5ème ou encore de réduire l’horaire de 2h en 4ème ou en 3ème en fonction des effectifs.
Il est très clair, et certains IPR le disent explicitement, que l’EPI n’est pas censé permettre de traiter le programme de latin mais bien les programmes des disciplines de tronc commun qui donnent des heures aux EPI. L’EPI fait partie des enseignements obligatoires, contrairement aux enseignements de complément. Ceux-ci ne peuvent donc pas contribuer aux EPI et perdre ainsi tout ou partie de leur horaire disciplinaire propre. Il faut refuser les fonctionnements de ce type.
Comment s’en sortir ? Il nous semble que le plus judicieux est que le professeur de Lettres Classiques soit en charge de l’EPI LCA avec les élèves qui sont les siens en français et, pour certains, en enseignement de complément. Cela parait la seule solution réaliste permettant de faire du lien entre les différents pôles de cet enseignement éclaté des LCA.
Les programmes :
La publication de nos programmes ne cesse pas d’être remise à plus tard.
Nous ne savons plus très bien ce qu’on nous demandera d’enseigner : des disciplines en kit (français, EPI, LCA).
Les pistes suggérées par les programmes pour les EPI sont consultables ici.
Comment garder la diversité, construite au fil du temps, qui fait à nos yeux -et à celui des élèves- l’intérêt de nos disciplines ? Langue, lexique, textes, traductions, civilisation, mythologie, histoire des arts, projets culturels. En 1heure en 5ème, comment tenir tous ces bouts à la fois et proposer un programme, un contenu à la fois cohérent et complet ?
Pour les concepteurs de programme, il serait tentant, au rebours de tout ce qui a été fait jusqu’à présent, de n’aborder la langue qu’au lycée. Si le pari est que nos élèves continueraient davantage l’option, il est permis d’en douter.
En revanche, du fait de la diminution des horaires, nous serons vraisemblablement conduits à nous recentrer, à redéfinir le périmètre de nos disciplines, après l’avoir élargi pendant vingt ans. Que voulons-nous garder en priorité ? Que pouvons-nous accepter de renvoyer à la périphérie ? Revenir, pendant l’enseignement de complément, à de la langue et de la traduction, détachées de la dimension culturelle, serait un retour en arrière désastreux. Nous cantonner à de la mythologie ou au « latin du français » serait nier les spécificités de nos disciplines.
Nous allons être reçus au CSP : nous n’ avons pas l’intention de faire des propositions et de participer à la réforme, de quelque manière que ce soit. Les rencontres ont été repoussées. Il n’y aura sans doute pas de documents préparatoires fournis par le CSP, donc rien sur quoi s’appuyer pour donner un avis. Dans ces conditions, nous pouvons juste rappeler les principes auxquels nous sommes attachés.
Nous soutenons l’idée que l’étude de la langue et celle de la culture ne doivent pas être séparées. En revanche, il est sûrement possible de mener un apprentissage de la langue plus progressif qu’aujourd’hui mais il est pour nous impensable d’attendre le lycée pour commencer à apprendre la langue. L’exercice de la traduction, même au niveau d’une initiation, nous paraît constituer un défi intellectuel et linguistique à conserver absolument dans la formation des élèves. Nous souhaitons également conserver des textes authentiques au cœur des apprentissages, ce qui n’empêche pas de chercher des solutions pour développer chez nos élèves une approche plus intuitive des LCA.