I. La rentrée inclusive du point de vue des élèves
II. La rentrée inclusive du point de vue des personnels
III. Notre avis : pourquoi l’inclusion génère-t-elle de la souffrance professionnelle alors qu’elle répond à un idéal partagé?
I. Du point de vue des élèves :
Un premier constat s’impose : l’inclusion est pensée au niveau minsitériel en totale déconnexion avec la notion d’élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP), notion introduite par la loi de refondation de l’école de 2013. Si la communication est abondante au sujet des élèves en situation de handicap, rien n’est dit à propos des EANA (élèves allophones), des EFIV (enfants du voyage) ou encore des élèves en milieu carcéral.
Pourtant, la scolarisation de ces élèves se heurte à des difficultés structurelles graves : un manque conséquent d’UPE2A (et de professeurs de FLS) pour accueillir les EANA (voir l’article suivant : https://www.snes.edu/Enseignement-du-Francais-langue-seconde-une-situation-d-urgence.html ), la déscolarisation précoce et la sous-qualification pour les EFIV, la numérisation des ressources du CNED qui rend celles-ci inaccessibles pour les élèves des prisons. Autant de chantiers laissés en sommeil, malgré l’urgence.
Pour les élèves en situation de handicap, le MENJ et le SEPH ont annoncé une « rentrée 100% inclusive ». Pour y parvenir, l’arsenal mobilisé est la suivant : le PIAL, le guide Qualinclus et la plateforme Cap école inclusive. Le PIAL (pôle inclusif d’accompagnement localisé) est un outil de gestion des AESH (voir l’article suivant : https://www.snes.edu/Le-PIAL.html ). Première conséquence directe de la création des PIALs : de nombreuses notifications d’accompagnement individuel se sont transformées en notifications d’accompagnement mutualisé, et les notifications individuelles prononcées se sont appauvries en heures (12h pour un(e) élève porteur(se) de Trouble du Spectre de l’Autisme). Peut-on sincèrement affirmer que cela soit au profit de ces élèves ? Peut-on affirmer que le simple fait de rassembler des AESH dans des pôles améliore l’accompagnement des élèves en situation de handicap et permette de mieux répondre à leurs besoins ? Le PIAL confirme qu’il n’est qu’un moyen de réduire le vivier jugé trop coûteux d’AESH i. Sa mise en place laborieuse (beaucoup de PIALs n’ont pas encore de coordonnateurs) prouve que les PIALs ont été mis en place sans qu’une véritable réflexion sur leur efficience ait été conduite.
II. Du point de vue des personnels :
Pour nos collègues AESH, la déception est bien amère. Une circulaire, parue le 5 juin dernier, promettait quelques avancées (certes bien en-deçà de nos revendications syndicales ! ). En cette fin de septembre, que constate-t-on ? Les rencontres avec les familles promises dans la circulaire de rentrée Ecole inclusive n’ont pas eu lieu avant la rentrée, les contrats ont encore une fois été signés dans l’urgence (quand on ne demande pas aux collègues de commencer leur mission avant même la signature de leur contrat), les quotités de service ont été définies sans dialogue avec les collègues et souvent réduites à la baisse, plaçant les collègues concernés dans des situations très difficiles, et les lieux d’affectation ont pu être modifiés sans négociation possible. Selon les départements, des contrats ont été signés sous leur ancienne mouture, l’administration prétextant un blocage informatique empêchant l’édition des nouveaux contrats (tels que les définit la circulaire du 5 juin).
Pour les personnels de vie scolaire, qui ont pour mission d’assurer la participation des élèves en situation de handicap à la vie de l’établissement, aucune mesure concrète n’a été annoncée. Là encore un problème structurel (le manque d’AED) vient entraver l’inclusion effective des élèves.
Pour les enseignants, le ministère a produit le guide d’autoformation Qualinclus à destination des équipes, et la plateforme numérique Cap école inclusive (voir l’article suivant : https://www.snes.edu/La-plateforme-Cap-Ecole-Inclusive.html ). L’institution se décharge ainsi de son devoir de formation sur les collègues. L’appropriation de ces outils, dont la qualité par ailleurs est contestable, est chronophage et source d’épuisement pour les collègues puisqu’elle se fait hors du temps de service. Les préparations supplémentaires liées à l’inclusion ne sont toujours pas prises en compte, tout comme les réunions propres aux élèves inclus (entretien de rentrée entre la famille, l’AESH et le professeur principal ; Equipes de Suivi de Scolarité…). Dans le même temps, les effectifs ne diminuent pas. Un effort a été fait sur l’offre de formation (6h de formation annoncées sur les pratiques de l’école inclusive, accès aux MIN ASH), mais il reste bien en-deçà des besoins réels des collègues.
III. Notre avis : Pourquoi l’inclusion produit-elle de la souffrance professionnelle alors qu’elle répond à un idéal partagé ?
1) Parce qu’elle confronte les enseignants à des dilemmes professionnels. L’élève inclus, bien malgré lui, met l’enseignant face à des injonctions contradictoires. D’un côté, l’impératif de différenciation, de l’autre des programmes qui eux ne sont pas encore rédigés en prenant en compte la diversité des élèves. D’un côté, la possibilité de parcours dérogatoires dans lesquels des cours peuvent être supprimés, de l’autre l’obligation de passer toutes les épreuves d’un examen. Sur la question des examens également, a été constaté un décalage entre les aménagements possibles des situations d’enseignement en cours d’année et ceux prévus lors de la passation des examens. Dès lors, il devient très compréhensible que des collègues s’interrogent sur la finalité de l’inclusion puisqu’ils n’ont pas le sentiment de mettre leurs élèves en situation de réussite.
2) Parce qu’aux problèmes liés à l’inclusion, l’institution n’a qu’une réponse : l’inclusion est affaire de pédagogie. C’est se montrer ignorant du bouleversement que représente le passage du paradigme de l’intégration à celui de l’inclusion. Penser l’intégration, c’est ouvrir les portes aux élèves en situation de handicap, leur laisser une chance de s’y faire une place, dans la mesure où ils y parviennent. L’adaptation est du côté de l’élève. Avec l’inclusion, les choses sont différentes. Elle acte la reconnaissance de la dimension situationnelle du handicap et impose à l’école de créer l’environnement adéquat pour que l’élève en situation de handicap puisse y trouver sa place. Cet environnement, et c’est là que le mensonge institutionnel réside, n’est qu’entre autres affaire de pédagogie. Mais il est avant tout structurel. Un environnement inclusif suppose des locaux accessibles, une véritable médecine scolaire, la présence d’un personnel infirmier à plein temps dans les établissements (certains PAI prescrivent des gestes médicaux que l’on ne saurait attendre d’enseignants), des programmes conçus en fonction de la diversité des élèves, des épreuves de concours et d’examens également élaborées en tenant compte de cette diversité. La culpabilisation des enseignants, en plus d’être indécente, ne sert que de paravent à l’institution qui la première ne prend pas ses responsabilités face à l’idéal d’une société inclusive.
3) Parce que l’inclusion génère un mille-feuille d’émotions négatives. C’est la synthèse des deux points précédents. Ne parvenant pas à donner un sens à certaines inclusions, s’épuisant à trouver des réponses pédagogiques sans appui hiérarchique, l’enseignant finit par se sentir en échec face aux élèves inclus qu’il encadre. A cela s’ajoute le discours moralisateur qu’on lui oppose quand il partage ses difficultés. Ce n’est qu’alors que survient ce que certains jugent être de la réticence par rapport à l’inclusion.
Ce que montrent ces trois points, c’est que l’inclusion ne s’accompagne pas par essence de souffrance pour les personnels, et que c’est bel et bien la politique éducative actuelle qui fait de l’inclusion une source de souffrance. Pour que tous les professeurs puissent contribuer avec réussite à la promotion de l’école inclusive, il est impératif : 1) qu’on en finisse avec les discours moralisateurs qui accablent les collègues sans les aider dans des situations professionnelles objectivement compliquées ; 2) que l’on crée un environnement véritablement inclusif qui permette l’accueil de tous les élèves, environnement dans lequel la pédagogie n’est qu’un élément ; 3) que programmes et épreuves (continues ou terminales) soient conçus de telle manière qu’ils tiennent compte de tous les élèves à besoins éducatifs particuliers.