Dans la bouche du Président de la République et du nouveau ministre de l’Education nationale, le mantra du « renforcement des fondamentaux » est systématiquement convoqué, sans que jamais ne soient précisés les contours de ce que recouvrent ces fameux « fondamentaux »…

Pour les mathématiques, peut-être plus que pour d’autres disciplines compte tenu de leur caractère cumulatif sur une bonne dizaine d’années au cours de la scolarité de l’immense majorité des élèves, la notion mériterait d’être précisée ; on serait même tenté de dire que toute activité d’apprentissage d’une partie des mathématiques est « fondamentale » … pour les apprentissages suivants. Il serait donc insensé de refuser a priori d’adhérer au discours sur le « renforcement des fondamentaux » si l’on espère aller plus loin avec des élèves dans l’apprentissage des mathématiques : tout professeur de mathématiques est bien évidemment soucieux de construire des apprentissages solides permettant la réussite ultérieure de ses élèves.

Mais que met-on dans ces « fondamentaux » ?
C’est là tout le problème : le ministère joue habilement de l’ambiguïté du concept, pour développer une communication consensuelle sur son action. Mais que met-il derrière ce terme ? Mystère, car nulle part il ne définit précisément ce que sont ces “fondamentaux”. Pourtant, s’il a renoncé en apparence au slogan « lire-dire-écrire-compter », commode, mais tellement réducteur, il y a fort à craindre qu’il ne s’en soit, dans les faits, pas si éloigné que cela : c’est en tout cas ce vocabulaire qui circule en académie, entre consignes d’éviter les “textes à trous” et répétition du slogan.

Savoirs fondamentaux, Plan Mathématiques : la logique du chiffre ?

La logique ministérielle consiste clairement à peser sur l’acquisition de ces « fondamentaux » par le recours à des évaluations nationales de plus en plus nombreuses, et au développement d’un cadre de certification à valider en Troisième sur le modèle du référentiel européen pour l’apprentissage des Langues vivantes. Les Conseils Académiques des Savoirs Fondamentaux, installés à l’hiver 2023, sont censés piloter l’action éducative sur la base des résultats à ces évaluations. Le déploiement du Plan Mathématiques au Collège prévoit l’analyse locale des résultats de ces mêmes évaluations sous la houlette des chefs d’établissement. Ses orientations, jusque là réduites à un guide de pilotage à destination des chefs d’établissement, ont été confirmées par la circuclaire “Nouvelle dynamiques pour les mathématiques” de janvier 2023.

Mais ces évaluations oublient largement d’interroger nombre de connaissances et compétences, prévues par les programmes, mais qui ne « rentrent » pas, ou pas si facilement, dans le cadre d’une évaluation automatisée. L’évaluation de l’appropriation du sens des notions et des objets mathématiques (qu’est-ce qu’un nombre ? une fraction ?) est par exemple laissée de côté, au profit de questions de type calculatoire, ou de résolution de mini-problèmes type Pisa, qui ne permettent pas de rendre compte de la maîtrise des concepts sur lesquels portent l’évaluation, ni de la maîtrise de leur sens, ni encore de la capacité des élèves à leurs réinvestissements dans d’autres cadres.

La pression qui ne va pas manquer de s’exercer sur les collègues pour « produire du chiffre » est en outre de nature à modifier la perception que les collègues ont des programmes, en les résumant à des « pont-aux-ânes » évaluables de manière entièrement automatisée. C’est donc au passage une manière commode de modifier le sens des contenus de programmes… sans changer officiellement les programmes !

Injonctions paradoxales

De plus, les contradictions entre les divers cadres (programmes / évaluations standardisées) sont de nature à produire pour les collègues des injonctions paradoxales, dont on sait depuis longtemps qu’elles constituent des facteurs graves et déterminants d’une grande souffrance professionnelle qui peut mettre en péril les professionnels que nous sommes : privés de cadres clairs et cohérents, beaucoup de collègues risquent une perte de sens du métier dommageable à leur action, voire, in fine, leur santé.
C’est enfin une dramatique réduction de l’activité mathématique à une bien triste monotonie… qui ne sera pas un atout pour en développer l’attractivité auprès des élèves (autre enjeu fort du moment si l’on en croît l’affichage ministériel).

Toujours plus de guides

On peut faire crédit au ministère d’une volonté de ne pas réduire les mathématiques au seul « compter » au vu des programmes actuels. Mais ce même ministère a produit dans l’été un nouveau guide consacré aux « automatismes » pour accompagner la transformations des pratiques pédagogiques, qui semble s’inscrire, comme un pas de plus, dans sa politique de « renforcement des fondamentaux » et du Plan mathématiques.

Passons sur le caractère pléthorique des « guides » pédagogiques du ministère, qui est pourtant un problème en soi tant ils se multiplient, pour insister sur ce contient ce dernier opus. Le cadre général, posé dès l’introduction, n’est pas choquant en soi : tout enseignant sait bien l’intérêt qu’il y a, pour permettre les apprentissages ultérieurs, à ce que certaines techniques soit automatisées chez les élèves : c’est évidemment autant de charge mentale en moins pour les élèves, et de disponibilité intellectuelle que l’ont regagne sur des pour envisager des tâches mentales plus complexes. C’est probablement s’attaquer à des obstacles pédagogiques réels aux apprentissages, que traînent trop d’élèves au cours d’une scolarité qui s’en ressent, irrémédiablement parfois ; mais croit-on qu’il s’agisse du seul obstacle à lever ? A l’évidence, non. Est-ce seulement l’obstacle majeur ? Ce n’est pas certain, tant de nombreux autres facteurs influent : effectifs, vécu des élèves, perturbations de tous ordres, etc.

Surcharge pour les professeurs

Même en acceptant de laisser de côté ces critiques, il est impossible de ne pas relever que les protocoles décrits dans ce guide sont lourds, très lourds, trop lourds. Probablement trop lourds pour que l’on puisse tenir par ailleurs les objectifs assignés par les programmes, et certainement trop lourds dans leur mise en oeuvre pour des collègues déjà surchargés de travail, lestés d’heures supplémentaires et de nivaux différents. Le guide prévoit de nécessaires analyses croisés et échanges permanents entre les enseignants du niveau n au niveau (n+1), le partage des stratégies pédagogiques à l’échelle, non seulement de l’établissement, mais du bassin pour le cycle 3 … Cela serait déjà plus réalisable si encore le ministère entendait la revendication – déjà ancienne – du SNES-FSU de dégager des temps de concertation sur le temps de service. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour…

Dénaturation des métiers, réduction des ambitions

Engager les collègues dans cette piste, et dans ces conditions, c’est faire courir le risque qu’ils ne traitent finalement plus que les « fondamentaux » du ministère : « calculer, appliquer des procédures, assimiler nombre de situations-type et coller des recettes sur des situations similaires ». C’est aussi orienter leur activité professionnelle dans un objectif qui n’est plus celui, plus large et plus ambitieux, des programmes en vigueur. Sont-ils donc obsolètes ? Et s’ils ne le sont pas totalement, quelle place reste-t-il à leurs dimensions qui échappent au périmètre implicitement défini, mais très limité, des « fondamentaux » du ministère
Avec ce guide, on n’est plus si loin de promouvoir un apprentissage procédant par « check-lists » interminables et « procédures ». C’est, par bien des aspects, le modèle d’apprentissage qu’ont connu les élèves ukrainiens et dont on a vu, à la fois, les compétences calculatoires et situationnelles (au moins chez les élèves réfugiés en France, ce qui ne constitue pas forcément un échantillon représentatif), et les difficultés à résoudre des problèmes ouverts ou à argumenter.

Une tout autre ambition

Le SNES-FSU porte, pour sa part, une autre vision des mathématiques et de leur enseignement, et un autre projet éducatif à travers elles. Il continuera, avec la profession, de déterminer et proposer les cadres d’apprentissages des mathématiques pour « réconcilier » les élèves avec elles, et en faire des citoyens émancipés, capables de mobilier tout au long de leur vie les incroyables habilités que développe un apprentissage bien plus ambitieux des mathématiques : développement de la rigueur et de la précision, du débat rationalisé et de l’argumentation, du plaisir de la découverte, du questionnement comme du défi intellectuel.


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