Un préambule commun dans la continuité de l’existant
Le préambule commun des projets de nouveaux programmes reprend des éléments déjà établis, parfois contestés par des chercheurs et chercheuses et des praticien·nes. Ainsi, le ministère continue de baser les programmes sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) et la perspective actionnelle, malgré ses deux décennies d’existence. De plus, les concepts tels que la « citoyenneté éclairée » et l’« approche plurilingue » restent flous et discutables.
Des nouveautés qui questionnent
Parmi les nouveautés, on note un retour aux niveaux globaux de compétence, avec une augmentation des exigences, notamment en fin de Troisième, ce qui représenterait une avancée si les moyens nécessaires à cette élévation étaient déployés. De plus, l’introduction de compétences psychosociales spécifiques est problématique, au vu des dérives que cette approche peut entraîner.
Un passage spécifique est consacré aux usages numériques. Après avoir affirmé le potentiel des intelligences artificielles génératives, le texte tente de borner leur utilisation en demandant, par exemple, aux professeur·es de veiller à ne pas augmenter le temps d’exposition aux écrans des élèves. Cependant, pourquoi l’évoquer si l’objectif n’est pas de les développer ?
La présentation uniformisée des programmes, avec des « axes » et des « objets d’étude » obligatoires, soulève également des préoccupations. Si, pour le cycle terminal, il s’agit globalement d’une réaffectation des axes existants sur telle ou telle année, certains objets d’étude pour le collège posent question quant aux biais idéologiques qu’ils pourraient être amenés à véhiculer (ex : le « visionnaire » Steve Jobs en 4°, en anglais). Le flou autour du nombre d’axes et d’objets d’étude à traiter est à lever. L’existence de ces derniers va restreindre la liberté pédagogique actuelle, voire imposer une cadence difficilement tenable.
L’utilisation du terme “classe” demeure prédominante, alors que la réalité des groupes d’élèves est souvent différente.
Les repères linguistiques
Des repères linguistiques annuels créent, de fait, un programme de grammaire et de vocabulaire, sans doute pour essayer de créer un « bagage commun » chez les élèves. Pour autant, le ministère n’indique pas, par exemple, si les exercices structuraux sont préconisés ou pas pour manier cette matière linguistique.
De façon générale, ces repères correspondent aux progressions qu’on trouve actuellement dans les manuels de langues. Cependant, quelques manques sont à souligner :
– en espagnol, le passé composé n’est pas abordé au collège ;
– en anglais, chinois, espagnol, italien et portugais, il n’y a pas de programme grammatical pour la LVC en terminale, alors qu’il existe dans les autres langues.
Les repères culturels
Les repères culturels, dans leur ensemble, ne sont guère nouveaux au lycée, contrairement au collège. Par ailleurs, certaines écritures sont assez “restrictives”, limitant la liberté pédagogique. Il est difficile de ne pas faire le lien avec la volonté de développer les manuels labellisés et de transformer le métier d’enseignant·e en simples exécutant·es.
En anglais, les projets semblent présenter un “oubli” fâcheux en ne mentionnant ni les mots “droits civiques”, ni les noms emblématiques de Martin Luther King et Rosa Parks. En ce qui concerne l’Apartheid et Nelson Mandela, leur mention reste très succincte : Mandela est évoqué à travers les commissions vérité et réconciliation dans l’axe 3 “le passé dans le présent” en classe de 2nde, tandis que l’Apartheid est abordé en 4e dans l’axe 3 “villes, villages, quartiers”, principalement pour étudier Soweto. De plus, un bref passage sur Mandela apparaît en 1ère dans le cadre de l’axe “art et pouvoir”, en relation avec le photographe Peter Magubane.
Au lycée, le projet de programme d’anglais présente certains axes ou objets d’étude qui se rapprochent de ceux proposés dans le cadre de la spécialité AMC. Cependant, les anciens « L’art de vivre ensemble » et « Gestes fondateurs et mondes en mouvement » ont disparu. Les axes abordent une large partie du monde anglophone, sans se limiter exclusivement aux États-Unis et au Royaume-Uni. En seconde, les axes sont plus restrictifs et se centrent moins sur l’élève, contrairement aux axes de l’ancien programme, tels que « Les univers professionnels » ou « Sports et société ». De plus, les domaines scientifiques et technologiques, mentionnés à la page 5 du programme de seconde, semblent peu développés dans les axes et objets d’études, étant quasiment absents en seconde et présentant peu d’entrées en première. Globalement, il est à noter que le niveau visé est désormais B1+, mais cela soulève des questions quant aux moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, notamment face à la dégradation des conditions d’apprentissage, telles que la taille des effectifs, les moyens horaires, ainsi que les volumes horaires mutualisés pour les langues vivantes A et B, qui varient d’un établissement à un autre.
En allemand, l’axe de seconde sur les défis, comme l’économie touristique et l’énergie nucléaire, semble déconnecté des réalités de l’“Energiewende” allemande, tandis que le lien entre la représentation de soi et les vêtements traditionnels parait réducteur. De plus, l’axe sur l’art et le pouvoir se concentre uniquement sur la littérature et la politique, négligeant d’autres formes d’expression. Les objets d’étude et les thèmes sont parfois en décalage avec les autres enseignements. Ainsi, il serait préférable d’aborder les frères Grimm en première en lien avec le programme de lettres sur le romantisme. Des thèmes comme le nazisme et le régime de la RDA sont également mal abordés. Certaines attentes grammaticales dépassent les acquis des élèves, qui rencontrent parfois des difficultés avec des concepts de base. Enfin, la focalisation sur l’Allemagne laisse peu de place à des pays comme la Suisse et l’Autriche.
En espagnol, les objets d’étude de la cinquième à la terminale montrent une volonté de couvrir les différentes aires géographiques du monde hispanique, même si on notera l’absence de référence à la variation linguistique (chabacano, lunfardo…). Par ailleurs, il serait préférable de se concentrer sur la guerre civile et la dictature franquiste plutôt que de traiter des neurosciences. Enfin, seul l’espagnol ne possède que 3 objets d’étude par axe, les autres langues en ayant 4 : pourquoi cette différence ?
En portugais, on notera aussi l’absence de thème spécifique sur la dictature de Salazar ou au Brésil.
Une autre nouveauté est, en terminale, pour toutes les langues, l'”objet d’étude [qui] est l’occasion de traiter la question du fait religieux, éventuellement dans le cadre d’un projet interdisciplinaire”. Comment le ministère envisage-t-il un tel travail concrètement, sachant que les collègues n’ont plus de classe commune avec les autres collègues ?
Un appel à des clarifications
Face à ces changements, le SNES-FSU agira auprès du ministère et du Conseil supérieur des programmes pour obtenir des éclaircissements sur les points flous de ces projets de programmes. Le SNES-FSU pèsera pour que les programmes définitifs offrent un cadre qui ne soit ni trop restrictif ni trop imprécis, afin de garantir un enseignement des LVER qui articule culture commune et liberté pédagogique.
En attendant, le Ministère invite les collègues à donner leur avis sur les projets de nouveaux programmes :
https://eduscol.education.fr/4150/consultation-nationale-sur-le-projet-de-programmes-de-langues-vivantes-etrangeres-et-regionales