Considérations sur une « évaluation repensée »
On ne cesse d’en appeler à une évaluation « bienveillante », ce qui laisse un peu sous-entendre que celle pratiquée serait en général malveillante. Il faut tordre le cou à cette idée reçue, même si les notes très basses que collectionnent les élèves en échec existent bel et bien. Mais, en réalité, les notes sont aussi bien souvent un ajustement (qu’on peut être tenté d’appeler un bricolage) entre la nécessité de signifier un niveau et la volonté de ne pas décourager l’élève, voire de lui signifier des progrès, les efforts accomplis, même lorsque l’application du barème stricto censu ne permettrait pas de mettre la note qui est finalement apposée à la copie. D’autres ajustements existent : ne pas compter la plus mauvaise note ds la moyenne (sorte de droit à l’accident), multiplier les devoirs pour « noyer » la mauvaise note, etc. Ces nombreux bricolages sont finalement assez peu discutés dans le milieu, les profs ayant l’impression d’être dans la transgression par rapport à « la règle ». Il faudrait sans doute démythifier la note…loin d’être un absolu on le sait.
Les demandes de la société, et notamment des parents sont tellement contradictoires qu’elles obligeraient les professionnels à une sorte de schizophrénie : ne mettre que des bonnes notes -bienveillance oblige- mais préparer les élèves à un niveau à atteindre, et communiquer avec eux et leur famille sur le chemin qu’il reste à parcourir. Si la note n’est plus que « bienveillante », elle ne sera très vite qu’une coquille creuse, parfaitement inutile, et d’autres biais seront vite trouvés pour remplir les autres fonctions de la notation actuelle. A moins de repenser foncièrement, profondément le système éducatif, l’orientation des élèves et les différentes filières.
Autre idée : distinguer beaucoup plus clairement l’évaluation formative et l’évaluation sommative. Si le principe apparaît tout à fait pertinent et nécessaire en théorie, dans la pratique les contingences ordinaires viennent compliquer singulièrement l’intention de départ. Il paraît difficile pour un prof qui n’a une classe que quelques heures par semaine, parfois qu’une, de mener de front à longueur d’année un double système d’évaluation où seraient identifiées en permanence les deux finalités distinctes : une pour certifier ou pas un niveau acquis (utile pour l’orientation à venir) en évitant une seule évaluation couperet (reproche qui est fait aux examens terminaux par les tenants du CCF), une autre à visée formative parée de toutes les vertus pédagogiques (encourager l’élève, travailler sur l’erreur de façon positive, etc.) mais qui ne compterait pas dans les choix d’orientation. Comment faire face alors à la surcharge de travail que cela imposerait ? Faut-il alors rétablir des vrais moments de bilan de fin de trimestre par exemple, avec échanges de copies anonymées ? C’est peut-être une piste à travailler…
Dernier obstacle (pas des moindres) : la note est-elle ou pas ce qui met les élèves au travail ? L’enjeu du résultat est-il absolument incontournable pour qu’ils se plient à l’effort nécessaire pour apprendre ? Le débat n’a sans doute jamais été tranché. C’est en tous cas un ressenti assez fort et un levier très souvent utilisé, en pratique, par les profs même si c’est à leur corps défendant. Le fait qu’il s’agisse d’une note ou d’une évaluation sous une autre forme ne change sans doute pas grand chose au problème, comme le fait remarquer Pierre Merle (cf entretien de Pierre Merle dans l’US mag 735 : http://www.snes.edu/IMG/pdf/dossier_us_mag_735_evaluation_des_eleves_-2.pdf.)