Lors de la première communication du projet de nouveau programme de mathématiques de Sixième, fin janvier soit plus de 9 mons après la commande passée au Conseil Supérieur des Programmes, le SNES-FSU a découvert un projet se présentant sous la forme d’un document de … 112 pages ! Certes, couvrant les trois années du Cycle 3, mais tout de même : personne n’a jamais vu un programme de mathématiques couvrant pour une année scolaire l’équivalent de 40 pages …

Si la présentation présente l’avantage d’envisager des programmes annuels et donnant à voir, sur chaque sujet, les apprentissages des années antérieures dans une logique de cycle, elle doit surtout beaucoup à la volonté initiale des rédacteurs de produire un programme clés en mains, susceptible « d’être mis en œuvre par des personnels contractuels », insuffisamment formés ! Quel aveu de l’institution, dès la première séance de consultation, sur la vision qu’elle a des professeurs de mathématiques …

Remise en cause de l’expertise professionnelle

Le programme se présente donc comme un « manuel estampillé EN » qui ne dit pas son nom … Tout y est, ou presque, des définitions aux théorèmes, des propriétés aux méthodes d’apprentissage de fait imposées ! Le programme se définissait aussi comme un catalogue d’ « exemples de réussite » constituant à eux seuls la norme des exercices auxquels entraîner les élèves, sans aucune marge de manœuvre. « Définissait », car au terme des concertations et devant nos demandes constantes et pressantes, le ministère a fini par concéder le retrait de cette liste d’exercices-types, sur le modèle des évaluations standardisées de début d’année ou PISA, et leur déplacement, probablement dans les documents d’accompagnement, mais hors des programmes !

Le SNES-FSU en avait fait un cheval de bataille de la reconnaissance de la professionnalité et de l’expertise enseignantes, considérant qu’une telle présentation constituait en outre une très grave attaque contre la liberté pédagogique, précisément fondée sur cette compétence des collègues, et qui permet les adaptations à la réalité des classes et au profil des élèves des activités à conduire en classe. Si, in fine, ces « exemples de réussite » ont disparu des programmes, il demeure toujours dans leurs écritures des rédactions qui imposeront la forme de la trace écrite du cours dans bien des cas.

Les Compétences psycho-sociales, un dévoiement de la discipline

Sans surprise vu la commande adressée par N. Belloubet au Conseil Supérieur des Programmes (CSP), le programme comportait encore lors de sa présentation en Conseil Supérieur de l’Education (CSE) fin mars, et malgré plusieurs séances de travail d’argumentation pour les dénoncer, de nombreux renvois aux Compétences psycho-sociales (CPS), telles que définies par Santé Publique France, et qui pourraient irriguer le nouveau Socle du collège. Pour le SNES-FSU, une entrée dans les programmes d’enseignement disciplinaires de telles compétences nous ferait basculer lourdement dans des formes de contrôle comportemental voire des approches médicalisantes des élèves. Cela entre totalement en contradiction avec les impératifs d’émancipation des futur·es citoyen·nes que nous portons dans notre projet éducatif, et dont les disciplines doivent être des clefs pour les élèves, et non des barreaux. Sous une approche très réductrice et lacunaire de la citoyenneté sous-jacente ainsi développée, la référence aux CPS acte de fait un renoncement à construire une citoyenneté émancipée des déterminismes, notamment sociaux, qui ne relèvent pas que d’une régulation des problèmes comportementaux, médicaux ou biologiques. La focalisation du programme sur cette régulation est à la fois chimérique s’agissant d’un enseignement de mathématiques, extrêmement réductrice sur les enseignements de mathématiques et lourde de menaces pour le reste du collège.

Le SNES-FSU a donc inlassablement dénoncé et combattu leur présence explicite ou leur référence en creux dans le projet de programme, qui ont été réduites au fil des échanges par nos interventions. A l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne sait exactement jusqu’à quel point nous aurons réussi à les faire sortir du programme définitif…

Des mathématiques classiques, et quelques nouveautés

En ce qui concerne les notions abordées dans ce programme de Sixième, et au-delà des questions de forme, un bon nombre de notions classiquement abordées dans cette classe le seront toujours. On note toutefois l’apparition de quelques nouveautés, dès le CM1, et poursuivies sur tout le cycle.

D’une part, l’introduction des probabilités dès le CM1 (avec pour principale ambition d’améliorer les résultats des élèves français à PISA, sur des questions généralement bien réussies dans les autres pays …), sous une forme fréquentiste, totalement intuitive et sans aucun formalisme, vu l’âge des élèves et l’absence d’outils mathématiques à leur disposition permettant une autre entrée.

D’autre part, l’apparition d’une introduction à la « pensée informatique », qui se résume assez largement à des enchaînements de transformations (numériques par le calcul ou de déplacements géométriques) ou un entraînement à la prévision de termes de suites numériques, sur le modèle de certains test psycho-techniques.

Une partie « résolution de problèmes » censée permettre d’installer des techniques pré-algébriques pour résoudre des problèmes, la aussi très inspirés des évaluations internationales constitue une entrée pleine et entière du programme, assez curieusement détachée des notions à enseigner… On reconnaît là encore la pression exercée par les évaluations PISA.

Enfin, la mise à l’écart de la calculatrice (en tout cas la fin de son utilisation systématique) sera sans doute appréciée par certains collègues, mais placera aussi probablement de nombreux élèves face à de réelles difficultés, pouvant renforcer chez eux un sentiment d’échec personnel préjudiciable.

Des interrogations qui demeurent

Le premier défi sera l’ampleur du programme, dans un cadre horaire inchangé : il y a nettement plus d’ajouts que de notions retirées, ce qui va imposer aux collègues de conduire les élèves à leur réussite, … sans jamais avoir vraiment le temps de remédiations ! On y reconnaît la marque du diktat à mettre en œuvre un « enseignement explicite » (et non pas explicité pour lever les obstacles cognitifs) : basé sur des « méthodes pédagogiques dont l’efficacité a été démontrée scientifiquement » selon les promoteurs de cette méthode, elle constitue une attaque contre la liberté pédagogique, et un défi de formation de la profession… qui tournera immanquablement au formatage et à l’imposition de dogmes pédagogiques pensés par d’autres que les enseignant.e de terrain. On peut donc nourrir quelques inquiétudes légitimes…
Nous pensons que le risque de ne pas arriver à conduire tous les élèves à la réussite à la première présentation d’une technique ou d’une notion, sans temps de remédiations, est plus que réel, et que cela risque de créer, aggraver et enkyster les différences de réussite des élèves, alors que tous les constats statistiques et qui nous remontent font déjà état des écarts et des inégalités de réussite croissants entre élèves…

Le second réside dans les équilibres entre les parties numériques, relevant principalement de l’acquisition d’automatismes de calcul, et les autres parties du programme.

Si la suppression des « exemples de réussite » du programme (dont la présence conduisait à ce que les activités numériques occupent près des 2/3 du programme, au moins en nombre de pages…) produira probablement un programme moins visiblement déséquilibré, aucune indication sur la répartition du temps à accorder à ces différentes parties ne figure dans le programme à l’issue du CSE… Le programme devrait renvoyer aux professeurs ces choix, au risque de différences de traitement suivant les établissements et les publics d’élèves.

Le troisième défi sera celui de la transition de posture à construire chez les élèves : très largement habitués en CM1 et CM2 à restituer des méthodes « par automatismes » et à construire des notions par la seule intuition (et l’habitude que celle-ci corresponde à la vérité …), les amener progressivement à l’exigence de justifications basées sur des modes déductifs en géométrie préparera sans aucun doute la mise en place de la preuve en Cycle 4, mais avec le risque de placer de nombreux élèves en difficulté vu le peu de temps qui pourra être consacré à cette transition.

Un vote contre en CSE

Au vu de ces analyses, de l’insuffisance des réponses de la DGESCO dans le processus express de consultation comme en CSE, et de l’insuffisance globale de dialogue dans l’élaboration de ce programme, qui pose des problèmes qui ne seront pas réglés en quelques échanges mais imposeraient un travail de concertation plus approfondi qui n’a jamais été envisagé, le SNES, avec le SNUipp avec qui nous partageons les analyses, a réitéré sa demande de report de la mise en œuvre de ce programme à la rentrée 2026, et émis un avis défavorable sur ce projet de programme (vote Contre).


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