Situation générale de la philosophie dans la réforme : dépenser moins pour penser plus ???
- La réforme du lycée, si elle est menée à terme, abolira définitivement les séries générales (dont la série littéraire et ses 8 heures hebdomadaires de philosophie), sans revenir sur la suppression des dédoublements en séries technologiques : ce qui signe une capitulation historique en direction de la démocratisation de cet enseignement !
- Pour la nouvelle voie générale, on nous promet des classes de tronc commun (potentiellement à 35 élèves) délivrant un enseignement de 4 heures de philosophie hebdomadaires, sanctionné par une épreuve “universelle” en fin de terminale, comptant pour 8% du bac 2021 (soit le plus petit coefficient actuel dans les séries générales). Pour les séries technologiques, la philosophie compterait pour 4% (coefficient assez voisin de la situation actuelle).
- Jusque là, rien de bien réjouissant. Car avec cette réforme, les professeurs de philosophie auront tout comme leurs collègues, plus de classes et donc plus d’élèves ! Sauf à considérer que la philosophie aurait “de la chance” en ce qu’elle ne disparaîtrait pas des évaluations terminales, à l’instar des autres disciplines (suite à l’introduction du contrôle continu dès la classe de première).
La spécialité HLP : une nouvelle espèce… en voie d’extinction !
- Cette spécialité offerte dès la classe de première (point incontestablement positif) serait à double entrée (littérature/philosophie), tant dans son programme, que dans son horaire et son évaluation. Resterait à s’assurer que son enseignement soit effectivement délivré par deux professeurs distincts (philo/lettres), ce qui est encore loin d’être garanti…
- En effet, les heures de philosophie nécessaires à la mise en oeuvre d’HLP font cruellement défaut ! Les élèves qui seront demain dans les classes de tronc commun sont les mêmes que ceux qui sont aujourd’hui dans les séries générales (selon une répartition nationale d’environ une TL, pour deux TES et trois TS). Il est donc facile de prédire que le dépeçage des 8h hebdomadaires en TL, sera pour l’essentiel absorbé par l’horaire du nouveau tronc commun (les TES étant actuellement à 4h et les TS à 3h…). On peut hélas conjecturer que les lycées disposant actuellement d’une “petite” terminale littéraire, ne parviendront pas à alimenter la spécialité HLP (certains annoncent déjà qu’ils ne la proposeront même pas…). Quant à la survie de cette spécialité en terminale, on sera TRES loin de la proposer à 1/6e de nos élèves de la voie générale (comme c’est actuellement le cas avec la TL).
Son programme * : un peu d’humanité(s) dans cette réforme de brutes…
- Le texte du projet de programme sera mis en ligne sur le site du SNES-FSU dès que nous en disposerons.
Ce projet de programme serait constitué de “thèmes” regroupés selon un découpage historique. Il ne s’agirait pas d’une introduction à la philosophie, mais plutôt d’un cours de culture générale (dans l’esprit des “humanités”), susceptible de s’adresser à un public plus large que celui des filières littéraires : noble ambition qui – dans ce cadre précis – pourrait séduire…
En classe de première :
-1) Pouvoirs de la parole (Antiquité),
– 2) Représentations du monde (De la Renaissance aux lumières),
En terminale :
– 3) La recherche de soi (des lumières à 1945),
– 4) Expériences contemporaines, rapport entre modernité et contemporain (à partir de 1945)
- Chaque période historique offrirait ainsi une série de thèmes à étudier en rapport avec des oeuvres dont le choix serait laissé à l’initiative des enseignants. Bon an, mal an, et malgré des réserves légitimes (sur-représentation de la subjectivité au détriment du dialogue avec les sciences), les professeurs de philosophie ne tarderaient pas à y retrouver leurs marques…
– On pourrait par exemple imaginer que les “pouvoirs de la parole” (“l’art de la parole”, son “autorité”, ses “séductions”) fassent l’objet d’une lecture de quelques grands textes empruntés à Gorgias, Platon ou Aristote…
– De même, un professeur de philosophie trouverait de quoi nourrir la réflexion de ses élèves de première dans les textes d’un Montaigne (“Découverte du monde et rencontre des cultures”), dans les utopies de la Renaissance (“Décrire, figurer, imaginer”) ou dans les analyses d’un Descartes (“relations homme-animal”).
– Le programme de terminale ferait écho de son côté, à des approches qui lui sont familières dans une réflexion sur “le sujet” (“expressions de la subjectivité”, “métamorphoses du moi”) ou sur l’art, le langage (“création, continuité, rupture”, “individu et communication”, etc.)…
- (*) Sources : des éléments ont été transmis par diverses sources et notamment par un article sur le site de la “société des professeurs de philosophie” rendant compte de leur rencontre avec le CSP.
Une évaluation 100% bienveillante :
- L’épreuve serait constituée d’un texte, suivi de deux questions, l’une à tournure littéraire et l’autre à tournure philosophique. Le candidat produirait ainsi un court essai (il s’agit donc d’un nouvel exercice) donnant lieu à une correction à quatre mains. On devine que ces contraintes disciplinaires feront loi, face à la gestion des ressources humaines dans les lycées…
- Le coefficient du volet philosophique de cet essai serait de 8 % (16% divisé par deux), mais ne concernerait que les élèves ayant conservé cette spécialité en terminale (après avoir renoncé à l’une de leurs trois spécialités de première). On peut imaginer que la même épreuve serait proposée en fin de première, pour ceux qui renonceraient au maintien de cette option en terminale (pour un coefficient de 5% réparti entre la philosophie et les lettres).
- Quoiqu’il en soit, il faudra être bienveillant dans la notation, sauf à se retrouver sans candidats l’année suivante… heureusement que Parcoursup aura intégré le niveau de chaque lycée dans son algorithme, ce qui ne manquera pas de nuancer d’éventuels excès de générosité.
Conclusion : un choix humainement (presque) impossible !
Las, cette ambition offerte sur le papier aux élèves de première, sera immédiatement plombée par le plafonnement à 3 enseignements de spécialités, choisis par les familles sous la dictée implacable des attendus de Parcoursup. En retirant les mathématiques du tronc commun, il est facile de deviner que nos élites scientifiques seront “contraintes de choisir” le menu implicite, permettant la reconstitution officieuse de la “filière S” (spé. math. + spé. sciences de la vie et de la terre + spé. physique-chimie)… Quant aux élèves qui chercheront légitimement à reculer ce choix imposé prématurément dès la fin de la classe de seconde… ils en feront autant ! C’est humain, non ?
Pour consulter nos analyses concernant la réforme du Lycée :