Après la mise en place de 3 réformes (enseignement supérieur, lycée et voie professionnelle) qui auront pour effet de pénaliser les enfants de milieu populaire, il est à craindre qu’une prochaine réforme du collège ne revienne sur le modèle des années 70, en rétablissant des filières et orientations précoces.
Dans ce contexte, l’aide à l’élaboration du projet d’avenir des adolescents ne vise donc pas à lever l’autocensure et les obstacles au développement possible mais de renforcer les processus, par lesquels s’opère la reproduction sociale dans l’École et sur la scène sociale.
La pression au projet, une histoire ancienne !
Après la décision d’instaurer en 1996, une « éducation à l’orientation » à raison de 10H par an, la « pression au projet » nous avait déjà conduit à dénoncer la volonté de transformer le questionnement sur le projet en une nouvelle matière scolaire ainsi que l’utilisation d’outils, dont le toilettage technologique ne devait pas faire oublier les théories des aptitudes qui en étaient le soubassement, renvoyant à l’adolescent une image figée et réductrice de lui-même, sans perspective d’évolution. Force est de constater que les mêmes inspirations sont toujours à l’œuvre ![[ « Passe-moi ton projet, y a une interro ! » in « Projets d’avenir et adolescence, les enjeux personnels et sociaux », ADAPT 1993, p. 150]]
La volonté d’évaluer le projet d’orientation dans une épreuve du bac figurait déjà dans le projet de programme sur l’entreprenariat de la 6ème à la terminale, élaboré par Philippe Hayat (100 000 entrepreneurs) en octobre 2012. [[Dans un rapport remis à F. Pellerin en 2012, P Hayat (Président de l’association 100 000 entrepreneurs) préconisait de « Généraliser les témoignages d’entrepreneurs dans les classes, depuis la Troisième jusqu’en Terminale, toutes filières confondues (avec prolongement en visites d’entreprise et stages ; – Consacrer les 2 heures hebdomadaires d’ « Accompagnement Personnalisé » (de la Seconde à la Terminale) à l’élaboration d’un projet (avec tutorat d’entrepreneurs). Créer un passeport de « découverte professionnelle des métiers et des formations » (DPMF) recensant les contacts des élèves avec le monde professionnel et leurs prises d’initiative (entre la 5ème et la Terminale), et entrant en compte dans l’évaluation du Baccalauréat. » ]] Ce programme avait fortement inspiré l’ancêtre du parcours Avenir avant que le conseil national des programmes n’y apporte son expertise. Cette épreuve nouvelle est cohérente avec la conception de l’épreuve qui privilégie la communication sur le fond.
S’agissant du projet d’orientation que va-t-on évaluer ?
La prestation de la personne, ses compétences sociales ? Son savoir-être dont on sait combien il est dépendant de l’environnement social, de la plus ou moins grande proximité avec les normes scolaires, mais aussi avec les étapes du développement psychologique et social à l’adolescence.
Est-ce vraiment sur la capacité à manier la langue, à parler de ses motivations dans un cadre d’examen, que l’on pourra juger de la crédibilité d’un projet et des possibilités de réussite ultérieures ? Toute l’expérience des PsyEN dans le suivi longitudinal des élèves, toutes les recherches en psychologie et en sociologie, montrent que les ressorts de la mobilisation dans les études tiennent davantage à l’intérêt pour les savoirs enseignés, à des rencontres, qu’à un plan de carrière rationnellement échafaudé.
Enfin ne risque-t-on pas une nouvelle fois de renforcer les malentendus du côté des évaluateurs comme des candidats, entre ceux qui penseront que l’important serait de parler de soi et ceux qui se focaliseront sur une argumentation visant à montrer la rationalité des choix et du projet d’orientation depuis la classe de seconde, même s’il s’agit d’un exercice de communication convenu ? Tous les élèves n’auront pas bénéficié de la même préparation au grand oral !
Bien entendu, cette manière d’introduire le projet d’orientation dans les examens (le collégien peut choisir de parler de son parcours avenir au Brevet) vise à faire accepter à l’élève qu’il est auto entrepreneur de sa formation, responsable de sa réussite comme de son échec et qu’il doit savoir « se vendre » au delà des connaissances et qualifications acquises. C’est un pas de plus vers une école de la concurrence qui défavorise toujours les mêmes.
La préparation des « lettres de motivation » pour Parcoursup fait déjà l’objet d’un marché lucratif, gageons que la préparation du grand oral donnera une nouvelle extension au marché de l’orientation scolaire !
Ce Ministère le favorise puisqu’il subventionne et promeut de nombreux organismes déguisés en associations. Celles-ci agissent soit pour des motifs mercantiles, utilisant la mise à disposition gratuite de données, gracieusement fournies par l’ONISEP, pour capter un public auquel elles proposeront des prestations payantes ; d’autres visent des objectifs plus idéologiques de formatage des jeunes aux principes de l’économie néo libérale et aux valeurs de l’Entreprise.
On comprend qu’avec de tels objectifs, le MEN entreprenne une casse méthodique du service public d’information et d’orientation de l’Éducation nationale : projet de réduction du réseau des CIO à un par département, amputation de 155 emplois temps plein à l’ONISEP, réduction du recrutement de PsyEN à 75 postes alors que les départs en retraite se chiffrent à plus de 150 par an.
Ouvrir à ces organismes le champ de l’aide à l’élaboration des projets des jeunes et leur accompagnement, c’est clairement renoncer à peser sur les déterminants sociaux, abandonner les ambitions de démocratisation de l’accès aux études supérieures, faire le choix d’une École à deux vitesses qui préparera une partie des élèves à leur destin d’emplois et de vie précaires.
A vouloir réduire la complexité du réel et l’anticipation singulière d’un projet d’avenir à une procédure normée et à un exercice convenu, on s’inscrit dans une logique de reproduction sociale qui aboutira très vite à disqualifier ceux qui sont requis pour les mettre en œuvre et les évaluer.
Cela nous concerne tous, il faut le dénoncer et s’y opposer !