Tribune d’Odile DEVERNE, professeur de Lettres modernes, coordonnatrice adjointe des oraux de Français depuis 2003, membre du bureau national du Snes-FSU, membre du secrétariat académique du Snes-Fsu de Lille
Blanquer, as-tu du cœur ?
Depuis mars, des adolescent.es, à l’âge où l’on aime, plus que tout, sortir, être avec “ses potes”, vivent confinés chez eux, chez elles , privé.es de toutes ces rencontres, ces découvertes extérieures qui ont tant contribué à la construction des adultes que nous sommes devenu.es.
C’est éprouvant et chacun, chacune peut ressentir les vacillements, les interrogations, les angoisses que le confinement et la crainte du virus peuvent générer, y compris parmi les plus solides d’entre nous. Sans oublier que beaucoup de ces adolescent.es ont dû faire face à des situations familiales ou sociales difficiles.
Nous, les adultes, nous leur devons la vérité et un peu d’empathie . C’est le moins (si peu) que nous puissions leur offrir.
Au lieu de cela, qu’entendent-ils /elles :
-qu’il serait peut être encore possible de maintenir les oraux de Français parce qu’il est facile de mettre en place les mesures barrière ?
-que le retour en juin permettrait de les y préparer convenablement ?
Or, ces propos ne résistent pas à l’épreuve de la réalité à laquelle nous sommes confronté.es sur le terrain : la réalité de l’adolescence et puis celle des lycées et de la passation des examens.
Non, Monsieur le Ministre, il ne sera pas possible de maintenir les mesures barrière pendant les oraux de Français: ce sont beaucoup de candidats qui sont accueillis dans de grands centres d’examens, qui arrivent tous à la même heure et attendent leur tour, ce sont des documents échangés, des journées de 8h00 sans interruption pour les examinateurs (sauf la pause déjeuner )… Avec masques ?
Non, Monsieur le Ministre, le retour en juin ne compensera pas les semaines à distance. D’abord, parce que beaucoup de lycées ne pourront accueillir que très peu d’élèves eu égard à la mise en œuvre du protocole ( peu d’agents pour le nettoyage et disparition du groupe classe avec la réforme du lycée) . Ensuite parce que les professeurs de Français, pour ceux ou celles qui ne sont pas personnels à risques, verraient très peu leurs élèves ; ils seraient vite appelés pour des réunions de préparation aux oraux : il leur faudrait le temps de s’approprier une nouvelle épreuve, des œuvres qu’ils n’auront pas forcément étudiées avec leurs propres élèves, de préparer les questions d’examen…
Ces professeurs auront bien d’autres choses à cœur que de jouer les répétiteurs de cet oral. Après ce qu’auront vécu nos élèves, ce que nous aurons tous vécu, la richesse de la littérature devrait offrir des moments de paix, de sérénité, de réflexion, de reconstruction peut-être…. bref, c’est une littérature affranchie du carcan d’un examen à préparer dans un délai très court que nous devons retrouver.
Mais Monsieur le Ministre, vous avez décidé de différer vos annonces à la fin mai…
La grande majorité des collègues est très attachée aux épreuves terminales du baccalauréat mais, cette année, par bon sens mais aussi par humanité, ils en ont fait leur deuil.
Faites comme elles, comme eux, Monsieur le Ministre. Il faut en finir avec cette fragilisation psychologique, ce maintien des élèves, professeurs, et sans doute aussi services des examens et Chefs de centres dans l’incertitude. Des incertitudes, il y en a déjà beaucoup dans cette période anxiogène….
Le cœur, dans la langue de Corneille, c’est aussi le courage…. et vous appréciez les grands auteurs, Monsieur le Ministre.
Veuillez annoncer dès maintenant l’annulation des oraux de Français, ce sera tout à votre honneur, Monsieur le Ministre.
Odile Deverne