L’explication de texte dans la voie technologique.
C’est le sujet le moins satisfaisant. Certes le texte était très bien choisi, mais on ne peut malheureusement pas en dire autant des questions l’accompagnant. Les questions d’analyse étaient en effet répétitives (A2 et A3 portant sur la définition du bien commun) et lacunaires (aucune question ne demandant de clarifier la distinction entre le « en premier lieu » et le « second lieu » du texte). Par ailleurs aucune question ne demandait aux élèves de mobiliser des repères du programme, alors que l’inspection générale avait accueilli favorablement cette proposition du SNES FSU et alors même que, selon les « éléments d’évaluation », le propos de Platon est de montrer qu’il est difficile sans les lois « d’accéder à un critère objectif de la justice. » Il aurait donc été intéressant de demander aux élèves de s’appuyer sur cette distinction entre une vision objective et une vision subjective de la justice pour expliquer le texte.
Mais ce sont surtout les questions de commentaire qui posent à nouveau problème. Rappelons que la formulation de ces questions a déjà fluctué les années précédentes, si bien que les professeurs ne savent toujours pas à quoi préparer les élèves. Doit-on les exercer à expliquer exclusivement le point de vue défendu dans le texte ou au contraire les habituer à formuler des objections et à faire une lecture critique du texte ? Cette année la confusion demeure. D’un côté la formulation des questions semble inviter à se limiter au point de vue défendu dans le texte (« D’après le texte… », « En vous appuyant sur le texte, vous vous demanderez si… »). Mais d’un autre côté les éléments d’évaluation commencent par : « Le candidat est invité à discuter ce que Platon présente comme un constat » et esquissent ensuite quelques pistes de discussion (« L’individu est-il à ce point enfermé dans une forme d’égoïsme… ? »), alors qu’à première vue aucune question n’invite à un tel questionnement !
La solution se trouve peut-être dans le discours que nous ont tenu MM.Burbage et Mathias en juin 2023 : dans la partie commentaire « le candidat est […] invité à penser avec le texte et à prolonger, à sa façon et très librement, la réflexion initiée dans celui-ci, en apportant des éléments de culture, de connaissance, d’expérience personnels. Il peut alors éventuellement montrer les limites du texte ou entrer en réflexion à son sujet, mais cela, d’une part, n’est pas impératif et, surtout, d’autre part, ne doit pas faire revenir à l’ancienne question 3, où les élèves faisaient une mini-dissertation souvent laborieuse et parfois déconnectée du texte ». Autrement dit, l’élève peut discuter le texte, s’il le souhaite, mais ce n’est pas impératif et il ne doit jamais contredire le texte en en oubliant les arguments. Est-ce ainsi qu’il fallait comprendre la différence entre « d’après le texte… » et « En vous appuyant sur votre compréhension du texte, vous vous demanderez si… » ? La première question n’inviterait qu’à prolonger le texte tandis que la seconde ouvrirait la possibilité d’une discussion au format libre ? Si tel est le cas, on peut parier qu’aucun élève n’aura perçu cette subtile distinction et remarquer que les questions censées guider la compréhension du texte étaient encore plus difficiles à comprendre que le texte lui-même.
Nous répétons donc ce que nous disions en juin dernier : il est urgent de clarifier exactement les règles du jeu. Les éléments d’évaluations fournis cette année auraient d’ailleurs été une bonne occasion de le faire (quoiqu’un peu tardive), si ce document avait contenu des recommandations spécifiques concernant l’explication de texte dans la voie technologique au lieu de se contenter, de façon incompréhensible, pour ne pas dire choquante, de faire un copier/coller du paragraphe consacré à l’explication de texte en séries générales (comme si les auteurs ne savaient pas qu’il existe des questions accompagnant le texte dans les séries technologiques et n’avaient pas vu la page 3 du sujet d’examen !)
Les dissertations en séries technologiques
Le premier sujet (« La nature est-elle hostile à l’homme ? ») posait une question difficile, que les élèves ont eu tendance à déformer en se demandant si la nature est « dangereuse » ou non. Comme souvent dans les séries technologiques, l’argumentation cède la place à une succession d’exemples (sur les catastrophes naturelles, la dangerosité des animaux sauvages, etc.), dans laquelle il est assez difficile de reconnaître la présence d’un cours. Ce n’est sans doute pas principalement le choix du sujet qui explique ce fait, sans doute lié aux difficultés posées par la dissertation en général, à la faiblesse du coefficient qui incite peu les élèves à travailler durant l’année et à l’horaire qui ne permet guère d’approfondir les diverses notions traitées. Toutefois, les difficultés propres à la notion de « nature » (notion polysémique, introduite assez récemment dans le programme et que les élèves de série générale ont également du mal à aborder conceptuellement) ont probablement compliqué encore un peu plus la tâche pour les candidats.
Le second sujet de dissertation (« L’artiste est-il maître de son travail ? ») portait lui aussi sur une notion difficile à traiter entièrement durant l’année, puisqu’on doit apprendre aux élèves à réfléchir sur l’art à la fois du point de vue du créateur et du point de vue du spectateur. Par rapport au sujet 1, le questionnement était à la fois plus scolaire (dans la mesure où l’on pouvait s’interroger sur la question de l’inspiration, en opposant l’artiste et l’artisan), tout en restant ouvert (certains élèves se sont par exemple demandés si l’artiste est totalement libre ou si sa liberté d’expression est au contraire limitée, d’autres ont abordé les questions de propriété intellectuelle). Toutefois, traiter ce sujet supposait des connaissances précises sur le travail qui a lieu dans l’atelier de l’artiste, ses brouillons, ses repentirs, ses fulgurances aussi parfois, que l’on présente souvent en classe, mais que les élèves retiennent difficilement car ces exemples ne renvoient à rien qui leur serait familier. Ceci explique sans doute que les élèves ont souvent du mal à donner des exemples précis pour appuyer leur réflexion sur le travail de l’artiste.
Les sujets de dissertation pour les séries générales :
Le premier sujet de dissertation (« La science peut-elle satisfaire notre besoin de vérité ? ») invitait les candidats à distinguer le discours scientifique d’autres types de discours en expliquant en quoi la démarche scientifique permettait, mieux que d’autres, d’atteindre la vérité, tout en questionnant les limites de ce que la science nous apporter (peut-elle répondre à nos angoisses existentielles, à nos interrogations métaphysiques, ou se substituer à une réflexion politique, par exemple?). Les meilleurs élèves ont pu montrer que, si la science est décevante, c’est parfois parce que les hommes désirent une vérité absolue hors de notre portée. Le sujet est très intéressant, car il renvoie à des questions fondamentales qui sont en même temps d’actualité (à une époque où prolifèrent les fake news, les remises en question complotistes de la science ou les aspirations à un absolu religieux), tout en permettant aux élèves qui ont travaillé durant l’année trouver de trouver dans leurs cours des éléments de réponse. Ce genre de sujets montre comment la philosophie peut être une réflexion vivante, nourrie par une culture scolaire.
Le second sujet (« L’État nous doit-il quelque chose ? ») abordait lui aussi des questions relativement classiques, mais proposait un angle de réflexion un peu trop original pour le candidat moyen. De fait, dans les copies les élèves ont très souvent eu tendance à dériver pour se rabattre sur des questions plus traditionnelles en se demandant ce que nous apporte l’État, au lieu de se demander si ce qu’il nous apporte correspond vraiment à un devoir (défini par qui ? et selon quelles normes?). D’autres faisaient du remplissage en expliquant que nous avons des devoirs envers l’État sans vraiment relier cela au fait que l’État ait des devoirs envers nous. Beaucoup de copies étaient donc à la limite du hors-sujet, ce qui a rendu l’évaluation assez difficile : faut-il mettre au moins 10 à une copie qui mobilise beaucoup de connaissances, mais n’affronte pas vraiment la question précise qui est posée ? Faut-il au contraire sanctionner tout ce qui ressemble à du hors-sujet quitte à arriver à une moyenne très faible ? Toutefois certains élèves ont su comprendre précisément les enjeux du sujet et poser de bonnes questions : quel est le périmètre de l’État : Etat providence ou Etat réduit aux compétences régaliennes ? Les devoirs de l’État ne concernent que les individus qui appartiennent à cet Etat ou s’étendent aux autres hommes ? La question posée était donc tout aussi intéressante que celle du premier sujet, mais formulée d’une manière un peu trop déroutante pour de nombreux élèves (ce qui ne veut pas dire qu’il faudrait renoncer à donner de tels sujets).
Le sujet texte pour les séries générales :
Le texte de Simone Weil décrivant l’aliénation des ouvriers d’usine était très bien choisi. Il offrait en effet différents niveaux de difficultés, permettant de hiérarchiser assez aisément les copies. Certains élèves ne comprenant que le propos général, tandis que d’autres ont pu faire valoir une compréhension plus fine. En outre, le texte invitait aussi aux élèves à s’appuyer sur leur cours, pour éclairer certaines allusions présentes dans le texte : qu’y a-t-il de spécifique au travail d’usine expliquant que, dans ce travail-ci, il soit impossible de trouver des mobiles plus élevés que « la crainte des réprimandes et du renvoi, le désir avide d’accumuler des sous et […] le goût des records de vitesse » ? Quels seraient les motifs plus nobles, présents dans d’autres métiers dont le texte ne parle pas, qui permettraient de trouver une forme de grandeur dans le travail ? La présence de tels éléments, de tels non-dits est le signe d’un sujet de qualité, qui a permis aux professeurs de distinguer les élèves qui ont peu travaillé durant l’année et ont choisi le texte comme un sujet refuge et ceux qui peuvent au contraire s’appuyer sur des connaissances acquises durant l’année pour éclairer leur lecture du texte.