Certes la mention “de niveau” n’est jamais employée dans cette note de service qui fait suite aux arrêtés et décrets publiés le 17 mars au Journal officiel (lire notre article : « Choc des savoirs », les textes publiés sont inacceptables et inapplicables) mais l’esprit de cette réforme se révèle au grand jour.
Composition des groupes : le projet de tri se dévoile
Des groupes à la main des chef·fes d’établissement
Alors que le texte de l’arrêté du 15 mars stipule que la composition des groupes se fait « en fonction des besoins des élèves identifiés par les professeurs », la note de service introduit le pouvoir décisif, décisionnaire des chef·fes d’établissement. On y lit : « La composition des groupes s’appuie sur l’analyse par le chef d’établissement et les équipes pédagogiques des besoins spécifiques de chaque élève ».
C’est également le ou la chef·fe d’établissement qui décide du nombre éventuel de semaines où, « à titre dérogatoire », les élèves seraient rassemblé·es dans leur classe de référence, et du positionnement de ces périodes dans l’année. Certes il est noté que c’est après un « dialogue avec les équipes éducatives dans le cadre du conseil pédagogique », qui n’est, rappelons-le, que consultatif. Mais c’est aussitôt pour préciser que c’est le principal ou la principale qui « arrête les périodes les plus adaptées ». De plus, d’après la note de service, les modalités de changement de groupes seront présentées en conseil d’administration mais ne seront pas soumises au vote des représentant·es de la communauté éducative.
En fait, le pouvoir des chef·fes d’établissement est considérable : « En concertation avec les professeurs, le chef d’établissement arrête l’organisation des enseignements de français et de mathématiques. Il n’est pas attendu nécessairement de créer plus de groupes que de divisions si les effectifs le permettent. De même, le nombre d’élèves par groupe est laissé à l’appréciation de l’établissement. » Cela signifie tout d’abord que le seuil de 15 élèves maximum dans le groupe des élèves les plus fragiles devient complètement flottant : « Les groupes qui comportent un nombre important d’élèves en difficulté sont en effectifs réduits, le nombre d’une quinzaine d’élèves pouvant, à cet égard, constituer un objectif pertinent ». Concrètement, pouvoir est donné aux chef·fes d’établissement d’adopter l’organisation qu’elles et ils souhaitent, sans impératif de nombre de groupes, ni du nombre d’élèves dans ces groupes. Le bras droit du ministre avait déclaré en audience ne voir aucun problème à ce que les groupes des “meilleurs” dépassent les 30 élèves dans des collèges à 25 élèves par classe.
Possibilité d’intégrer les élèves de SEGPA dans un groupe de niveau
Le ministère n’hésite pas à présenter, dans la note de service, une modalité d’organisation qui vient carrément contredire l’arrêté qui est paru la veille ! En effet, l’arrêté du 15 mars 2024 relatif aux classes des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) prévoit que l’organisation en groupes de niveau ne concerne pas les élèves de ces sections. Or, la note de service propose la « participation » des élèves de SEGPA dans les groupes de niveau en mathématiques et en français, autrement dit leur inclusion dans le groupe des élèves les plus en difficulté, ce qui permettrait au professeur·e spécialisé·e de prendre en charge, sans déployer de moyens supplémentaires, des élèves en plus…
Un déluge de mépris pour le métier de professeur·e !
La note de service affirme de manière péremptoire, sans tenir compte de la réalité de la mission de professeur·e principal·e, que « les professeurs de français et de mathématiques peuvent exercer le rôle de professeur principal ». Comment peut-on laisser croire que des professeur·es qui ne verraient des élèves qu’une poignée de semaines par an pourraient tisser des liens et assurer un suivi, a fortiori d’enfants aussi jeunes ?
Il est noté que pendant les semaines éventuelles où les élèves seraient regroupé·es en classe pendant les cours de mathématiques et de français, les professeur·es des groupes surnuméraires pourraient intervenir en co-enseignement. Le ministère promet des groupes flexibles mais la réalité, c’est qu’il veut flexibiliser les professeur·es avant tout !
Les préconisations de la note de service montrent que le gouvernement entend monter d’un cran dans la primarisation du collège : les possibilités d’intervention des professeur·es des écoles, dans le cadre du Pacte sont multipliées et vont jusqu’à permettre un co-enseignement dans les cours de français et mathématiques ! En plus de devoirs faits, il est noté que les professeur·es des écoles prennent « prioritairement » en charge les heures de soutien (jusqu’à deux heures hebdomadaires pour les élèves de la Sixième à la Troisième). Que signifie l’adverbe « prioritairement » ? S’agit-il de dire que la prise en charge de ce soutien constitue une des missions prioritaires du Pacte 1er degré ou bien que les enseignant·es du 1er degré seraient sollicité·es prioritairement aux professeur·es enseignant en collège ?
Les professeur·es sont pris·es en étau par les contraintes : contraintes d’emploi du temps avec la mise en barrettes de plusieurs classes, contraintes pédagogiques avec la préconisation de la mise en place d’ « objectifs d’apprentissage communs par période », c’est-à-dire de progressions annuelles identiques. Le pilotage par le Conseil académique des savoirs fondamentaux (lire notre article : https://www.snes.edu/article/conseil-academique-des-savoirs-fondamentaux-restriction-de-la-liberte-pedagogique-en-vue/) évaluera les effets des organisations retenues sur les résultats scolaires des élèves et veillera à uniformiser les enseignements des professeur·es par la « mutualisation des pratiques pédagogiques les plus pertinentes, la mise à disposition des résultats des évaluations nationales et des outils simples pour les interpréter ainsi que la mise en place de formations » (très orientées)…
Un exemple de mise en œuvre est donné, qui donne clairement à voir que les discours sur les possibilités de changements de groupes en fonction du progrès des élèves sont fallacieux. On lit dans cette note de service : « Par exemple, en français, en début d’année de Sixième, l’équipe pédagogique qui aura choisi de travailler L’Odyssée d’Homère ajuste les contenus des différents groupes selon le degré de maîtrise en lecture et en compréhension des élèves. Le professeur en charge des élèves qui rencontrent des difficultés en lecture au sein d’un groupe à effectif réduit peut ainsi prévoir des séances de fluence et d’autres dédiées à l’apprentissage des stratégies de lecture à partir de l’œuvre d’Homère. » Comment oser faire croire qu’un·e élève que l’on entraine à déchiffrer le plus vite possible des syllabes d’un texte signé Homère, aura étudié L’Odyssée ? D’autant que le ministère l’écrit clairement quelques lignes au-dessus : ces groupes sont également destinés à « cultiver l’excellence des élèves les plus à l’aise ».
Mépris des élèves, mépris de leurs familles, mépris des professeur·es ! Nous refusons d’être complices ! Nous refusons de trier nos élèves ! Nous refusons de mettre notre enseignement au service d’un projet qui ne fera qu’accentuer les inégalités scolaires !
Le SNES-FSU appelle tous les personnels à ne pas appliquer le « Choc des savoirs » afin de le neutraliser.
Mobilisons-nous pour une École publique démocratisante !