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Le terme d’écrits « intermédiaires » est apparu dans des travaux de Bucheton et Chabanne en 2000 et 2002. Il visait à mettre en valeur ce qui est en jeu dans le fait de travailler avec l’écrit. On s’intéresse à travers ceux-ci au processus d’écriture, à la fois pour l’élève et pour l’enseignant qui l’accompagne.

Dans le monde autour de nous, on constate que même les experts passent par des écrits intermédiaires. Observer ces derniers permet de voir les actions, les interactions, l’activité sociale, à l’oeuvre dans l’émergence de l’écrit.

Ecrire, c’est transcrire, transmettre de la pensée mais aussi penser, apprendre, se construire comme sujet. Le travail avec les écrits intermédiaires participe à la lutte contre la représentation selon laquelle écrire serait un don, avec une syntaxe et une orthographe naturelles, et non un travail. Dans cette représentation, c’est la pensée qui prime. On part du principe que si l’on apprend à penser, on saura écrire, que l’écrit n’est qu’un moyen de communication de la pensée et, en général, on porte l’attention (l’évaluation) sur le produit fini uniquement.

Approches sociologiques et poïétiques

Cependant, en observant diverses pratiques dans lesquelles l’écrit a sa place (sciences, arts), on constate que la progression n’est pas réductible à : idée/plan/rédaction, mais qu’elle procède par tâtonnements. L’équivalent de cette démarche existe-t-il dans le contexte scolaire ?

On peut penser au brouillon mais l’archivage de l’écrit intermédaire pour une utilisation ultérieure diffère. Dans ce dernier on aperçoit aussi la dimension collective de l’écriture puisque le travail s’enrichit également des conversations, des échanges divers. Ainsi conçu, l’écrit apparaît donc comme un « médiateur central » pour élaborer une pensée au sein d’un collectif, il n’est plus un but en soi.

On peut s’intéresser également à l’emploi de l’écrit intermédiaire dans l’écriture de fiction, le travail de critique génétique. En effet, du carnet de travail au manuscrit d’auteur, on mesure les différences. Il y a parfois des refontes massives, des réorientations radicales du texte et pas seulement un matériau initial révisé. Cela peut donner lieu, en classe, à des travaux intéressants en rédaction : relancer la même tâche d’écriture à quelques jours d’intervalle produit un épaississement du texte liée à une maturation du matériau et pas forcément une révision du premier écrit.

Approche psychocognitive

Pour certains, l’écrit est un outil sémiotique, il permet des opérations cognitives, l’élaboration de la pensée. En effet, en écrivant, on dépose sa pensée, sous une forme provisoire que l’on peut ensuite manipuler, reprendre. Travailler sur l’écrit intermédiaire, c’est travailler sur les opérations matérielles effectuées au cours de la tâche : effacer, insérer, déplacer, etc. Celles-ci peuvent être explicitement enseignées. En distinguant explicitement la phase d’appropriation de la phase de communication écrite normée qui efface les traces de l’élaboration, on reconnaît l’importance de ces étapes invisibles dans le travail final. Pouvoir les observer est une source importante d’information pour l’enseignant. On a souvent tendance à réserver la trace écrite à la fin du cours, comme un bilan définitif de ce qui a été dit. Il semble important de ne pas s’y cantonner, d’insérer des temps d’écriture ou de prise de notes, libres, ou guidés. Ces moments sont en effet pour les élèves des temps d’appropriation et, pour le professeur, ils offrent la possibilité de repérer des écarts, des malentendus. Ainsi, l’écriture est doublement réflexive : elle est travail sur les contenus de pensée qu’on cherche à exprimer mais elle permet aussi de voir la pensée, le travail de celle-ci. Elle donne forme au contenu de la pensée et elle permet de voir le cheminement de cette pensée.

La sémiologie : élargir notre vision de l’écriture

L’intérêt pour les écrits intermédiaires implique, dans une certaine mesure, de redéfinir l’écrit : listes, prise de notes, distribution spatiale libre de l’écrit sur la feuille, éléments graphiques divers en plus des éléments verbaux, schémas… Quand l’écrit émerge, il prend des formes hétérogènes. Il y a, pour le professeur, tout un travail à mener sur des opérations qui relèvent de l’écrit intermédiaire d’appropriation mais auxquelles on entraîne rarement les élèves en les enseignant de façon explicite : tout le travail d’annotation d’un écrit (souligner, encadrer, prélever, etc), tout le travail de « transcodage » (production d’écrit à partir d’une image, d’un schéma à partir d’un texte…).

Approche clinique et dimension sociale de l’écriture

Toute activité d’écriture met en jeu des émotions et l’image de soi, d’où l’existence de réticences et d’angoisse lors du passage à l’écrit, pour certains élèves. Ecrire, c’est une prise de risque. Souvent, la mise aux normes de l’écrit scolaire a tendance à gommer l’implication personnelle et la dimension affective, mais n’est-ce pas ce qui ressort dans ce que l’on nomme « les difficultés à l’écrit » ? De ce fait, les corrections génèrent des tensions, peuvent être vécues par les élèves comme des intrusions, comme un rappel des manques. Comment peut-on alors accompagner les élèves dans leur cheminement à l’écrit et quel rôle peuvent jouer les écrits intermédiaires ? Dans l’écrit fini, on mesure la distance avec la norme. Dans les écrits intermédiaires, on peut valoriser ce qui est positif tout en demandant aux élèves de développer, réorganiser, reformuler, etc. L’écrit intermédiaire suscite un échange alors que l’activité d’écriture est souvent perçue comme solitaire. On perçoit alors la dimension sociale de l’écriture dans l’activité de correction. Cette activité sociale autour de l’écrit est ancienne dans notre culture (on peut penser aux Salons, aux comités scientifiques) et il est intéressant de familiariser les élèves avec elle. Enfin, donner de la valeur au travail en conservant les traces de celui-ci (dans un cahier ou un carnet) permet aussi à l’élève de mesurer concrètement le travail accumulé.

Résolution de quelques tensions professionnelles

Pas de doxa pour l’utilisation en classe des écrits intermédiaires. Ce qui importe c’est d’être clair dans le contrat et d’expliciter le sens des tâches données, de distinguer, par des supports distincts, les écrits intermédiaires des écrits achevés. Les autres points importants sont la conservation, l’attention portée au travail en cours d’élaboration et la démonstration d’une évolution. Mais ces travaux n’ont pas toujours vocation à être corrigés ; il est possible de se contenter d’une lecture car on ne peut pas revoir intégralement tous les textes.

La question de la norme se pose alors. Le professeur de français peut-il accepter des écrits non corrigés, surtout si ceux-ci sortent de la classe ? Il faut garder à l’esprit que des élèves impliqués dans l’écrit sont généralement en quête de norme et questionnent leur enseignant ou consultent des utilitaires. Cependant, la norme n’est pas l’objectif premier. La finalité des travaux d’écriture intermédiaire est de penser grâce à l’écrit et le processus de la pensée n’a pas à être bloqué par le souci de la norme. Il existe un débat sur les risques de la tolérance des erreurs dont certains pensent qu’elle peut figer des formes fautives dans l’esprit des élèves mais il n’y a pas de travaux sur les risques de cette tolérance. En revanche, certaines études de cas montrent que l’évolution du rapport à l’écriture fait évoluer le rapport à la norme linguistique.

A travers les écrits intermédiaires on vise donc pour l’élève un apprentissage de l’écriture pour travailler, pour réfléchir, et pour l’enseignant un « observatoire individuel des élèves au travail ».

Groupe Lettres du SNES-FSU, Mai 2017


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