L’interdisciplinarité, entre risques et opportunités :

L’omniprésence de l’interdisciplinarité provient du développement de discours qui mettent en cause les disciplines parce qu’elles seraient des systèmes trop fermés ou trop élitistes pour susciter la motivation des élèves et la démocratisation de leur réussite. La FSU s’inscrit en faux contre ces discours mais également contre ceux qui rejettent l’interdisciplinarité. Elle considère que ces oppositions binaires desservent la notion de culture commune, une culture qui serait « un réseau de savoirs et de compétences », permettant de susciter des liens entre les champs du savoirs, orientée vers la créativité, l’esprit critique, la construction d’un regard structuré sur le monde.

Les EPI sont le témoignage du recours à l’interdisciplinarité sans la réflexion sur sa complexité. Ils méconnaissent que la motivation de l’élève ne vient pas que d’une réalisation pratique. Ainsi, Terrail dans L’Ecole de l’exigence intellectuelle, insiste sur le fait que l’effort intellectuel revêt une importance capitale dans le plaisir d’apprendre et de comprendre. Par ailleurs, échapper au « carcan » des disciplines n’est pas la solution miracle pour sortir de la difficulté d’apprentissage. On sait bien que seuls des savoirs disciplinaires solidement construits permettent d’établir des liens pertinents entre les disciplines.

Dans beaucoup de domaines, de nombreux problèmes demandent de croiser des champs différents pour être résolus. En procédant ainsi on met en avant la richesse des points de vue proposés, on dépasse le découpage en disciplines. Les progrès de la science se font souvent grâce à l’interdisciplinarité.

Mais pour que celle-ci fonctionne, il faut mobiliser les savoirs disciplinaires de façon consciente. Les dérives des pratiques interdisciplinaires mal maîtrisées sont l’holisme (fusion des contenus sans distinction, sans référence à des disciplines), l’éclectisme (juxtaposition d’éléments provenant de plusieurs disciplines sans articulation), l’hégémonie (domination d’une discipline sur les autres). On peut ajouter le pseudo-interdisciplinaire (par exemple, on fait une visite et ensuite on fait un travail disciplinaire à propos de la visite).

Il faut donc apprendre ce qu’est un mode de raisonnement lié à un thème de travail, penser les savoirs comme ressources, utiles dans leur complémentarité et constituant une pluralité de points de vue possibles. Cela revient à transformer les élèves dans leur façon de penser, à les conduire à un questionnement du monde en dehors de l’école. Mais rien ne dit que c’est ce registre de travail exigeant que les élèves vont investir ; le risque avec les EPI est que certains restent au niveau de la réalisation pratique, sans apprentissage nouveau.

La réalisation écrite ou langagière du travail interdisciplinaire présente également des difficultés. Le texte, ou l’oral, issus de la mise en relation d’une pluralité de sources sont très complexes, à l’intérieur même d’un champ disciplinaire. L’interdisciplinarité risque de renforcer cette difficulté car les sources y sont multipliées. En revanche, si on parvient à former les élèves à ce type de travaux, c’est un pas important vers la réduction des inégalités.

Un des problèmes rencontrés actuellement par les enseignants est leur adaptation nécessairement très rapide et reposant sur du bricolage. Comment faire autrement ? Il n’y a pas eu le temps de réfléchir, de se documenter, de se former ; l’expérimentation se fait sur le tas, en une forme de « recherche action » sauvage.

La question de la transversalité : en finir avec les compétences transversales ?

Le français, comme langage, est transversal et le socle dit bien qu’il est l’affaire de tous. Mais c’est tout. Le français comme langue scolaire existe-t-il ? Une langue d’usage, commune à toutes les disciplines, existe-t-elle ? Si oui, est-ce du français ? Toutes les activités disciplinaires sont des activités langagières, étape par étape. Mais l’apprentissage de ces activités (analyser le sujet, recenser les connaissances, synthétiser, organiser les connaissances, expliquer, etc) relève-t-il du français ? Est-ce que le professeur de français peut se livrer à un apprentissage « hors-sol » de savoirs/savoir-faire que les élèves transfèreront dans les autres disciplines ? Ainsi, pour décrire un lieu de façon scientifique on ne met pas en œuvre les mêmes usages langagiers. Chaque discipline repose en effet sur un rapport spécifique au monde : on ne décrit pas un lieu lacustre en français, SVT ou géographie de la même manière. Certaines disciplines construisent un rapport à la fiction, d’autres un rapport à la réalité et à la raison et les élèves passent d’un univers à l’autre en fonction des disciplines, du « ça ne se peut pas » au « et si ça arrivait » et pas toujours à bon escient.

Le rôle de l’école est d’aider les élèves à construire les positions énonciatives pertinentes pour être efficaces dans chaque discipline et les études faites à ce jour ne révèlent pas l’existence d’objets transversaux qui pourraient s’apprendre de façon décontextualisée. L’enseignant de français ne peut pas apprendre à décrire dans toutes les disciplines, à identifier ce qui est pertinent pour chacune, il ne peut pas apprendre à argumenter « en général », la valeur des arguments relève bien de chaque discipline.

Le français transversal c’est donc l’orthographe, la ponctuation, la conjugaison. Les types de discours ne sont pas transversaux : on ne raconte pas en français comme en histoire, on ne décrit pas en français comme en SVT…Même la syntaxe diffère d’une discipline à l’autre (recours au passif, à la nominalisation), le lexique, également, est soit spécifique, soit polysémique avec des usages propres à chaque discipline. Le français mis en œuvre dans chaque discipline appartient aux professeurs de celles-ci. Cela signifie que le professeur de français doit aussi s’intéresser aux spécificités des discours liés à sa matière, en étude de la langue et en littérature. Il est fondamental de parvenir à formuler explicitement les savoirs. C’est important pour que les élèves comprennent les visées de chaque discipline. Il serait important aussi que la classe de français puisse devenir le lieu de la comparaison des usages de la langue dans les différentes disciplines (arguments, description, explication, narration). La classe de français est bien le lieu d’une formation à la maîtrise réflexive du langage, aux usages langagiers en toutes disciplines mais c’est un travail surplombant et il revient d’abord à chaque discipline de mettre en œuvre et d’observer les pratiques langagières qui lui sont propres.


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