L’intégration de l’intelligence artificielle au sein de l’école est une promesse de Gabriel Attal lors de son discours de la BNF du 5 octobre 2023. Erigée en étendard, l’application MIA Seconde conçue par la société EvidenceB, devait, après une phase d’expérimentation de quelques mois, être gracieusement offerte à toutes et tous les élèves de seconde à la rentrée 2024.
Les choses ne sont pas déroulées comme prévu, l’expérimentation s’est réduite à huit académies et à environ 150 lycées, selon le ministère. Son entrée en vigueur pour toutes et tous a été repoussée à septembre 2025. Plus que l’intelligence artificielle promise, MIA Seconde, outil numérique d’adaptative Learning, est composé d’algorithmes permettant la différenciation et la personnalisation de l’aide apportée aux élèves sur les savoirs dits « fondamentaux », c’est-à-dire le français et les mathématiques.
Une phase d’expérimentation qui se fait attendre
La phase d’expérimentation est censée avoir fait l’objet de « retex » qui n’ont pas été rendus publics. Il semblerait que l’application ne donne pas toute satisfaction sur le plan technique, ce qui expliquerait les retards, la période fulgurante d’essai d’un spécimen en ligne ainsi qu’un site compagnon affichant invariablement son inaccessibilité. On peut regretter qu’une levée de fonds de 4 millions d’euros ait été réalisée pour une phase expérimentale aussi floue.
Plus grave, l’installation dans les classes et hors de la classe de l’application révèle un véritable impensé en termes professionnels, pédagogiques et politiques.
Alléger la tâche des enseignant.es, vraiment ?
Sur le plan professionnel, les discours ont beau être rassurants, rien ne dit qu’une partie des possibilités offertes par l’intelligence artificielle et ses avatars ne remplacera pas des pans entiers de nos métiers. MIA Seconde, par exemple, offre d’ores et déjà, avec son module MIA Tube, des tutoriels vidéos ou audios conçus sur le plan didactique par des professeures de CPGE qui ajoutent une « légitimité » et une « plus-value » aux contenus proposés. En outre, parmi les sept algorithmes de l’application, l’un d’entre eux pourra même formuler des recommandations aux élèves. La relation professeur.e/élève s’en trouve redéfinie et réduite à une fonction d’accompagnement plus que d’enseignement. On notera aussi que les promesses récurrentes de suppression des tâches rébarbatives du métier d’enseignant.e seront désormais prises en charge par la machine. Or, rien n’indique, qu’au contraire, la gestion des échecs et des réussites d’élèves devant leurs écrans ne sera pas tout aussi, voire plus, laborieuse.
Une relation pédagogique bouleversée
Sur le plan pédagogique, la relation professeur.e/élève est aussi considérablement modifiée par un outil où le rôle de l’enseignant.e est parfois limité à une sélection d’exercices en fonction des résultats des tests de positionnement d’entrée en Seconde. Le tout s’opérant derrière un « tableau de bord » dont on n’a pas encore mesuré l’effet chronophage, ni l’(in-)utile complexité technique. À cela s’ajoute la question de l’utilisation en classe ou à la maison. MIA Seconde va-t-il se substituer à des heures de cours dites « normales » ou être relégué à un travail maison, facteur de surcharge de travail pour les élèves, d’inégalité numérique et de surexposition aux écrans ? Par ailleurs, pour Catherine de Vulpillières, cofondatrice de la société EvidenceB, MIA Seconde propose « autant de parcours personnalisés qu’il y a d’élèves ». C’est l’atomisation du groupe classe qui est en marche. De plus, dans le domaine de l’évaluation, MIA Seconde se veut une évaluation formative prenant appui sur les évaluations diagnostiques d’entrée en Seconde. En toute logique, une application qui validerait une évaluation sommative devrait fermer la boucle. Dès lors, tout le domaine de l’évaluation serait renvoyé à la machine et à des algorithmes opérant des sélections plus que des adaptations.
Des intérêts financiers colossaux
Il faut savoir que l’association EdTech France (EdTech, contraction d’Educative Technologie, ensemble des acteurs des technologies de l’éducation) affiche un chiffre d’affaires en 2023 d’1,6 milliards d’euros pour la filière et une croissance moyenne de 11 % depuis 2021. On voit par là que l’Éducation nationale ouvre des appétits colossaux aux start-up tournées vers la formation et le numérique (avec ou sans IA, parfois simple étiquette marketing). Par excès de langage, les défenseurs de l’application MIA Seconde prétendent s’attaquer aux difficultés scolaires, voire au décrochage scolaire. 4 millions d’euros pour redresser les résultats d’un niveau, en l’occurrence la classe de Seconde, on peut imaginer que cela fasse rêver les dégraisseurs du service public d’éducation. L’enjeu est éminemment politique, l’EdTech constitue bel et bien le cheval de Troie des intérêts privés et entrepreneuriaux au sein de la forteresse École, théoriquement préservée des appétits capitalistiques.
Un écosystème à questionner
Enfin, MIA Seconde est paradigmatique, comme l’intelligence artificielle générative, de son perfectionnement par ses propres utilisateurs. Pendant la phase d’expérimentation, les professeur.es sont expressément invité.es à signaler toutes sortes de dysfonctionnements techniques ou erreurs de contenus. Il s’agit, à partir d’un outil inachevé, d’inciter les utilisateurs à fournir un travail gratuit au service d’un produit initié par une start-up privée. C’est ce qu’on appelle la boucle EdTech/École/Laboratoires scientifiques, l’École étant à la fois cliente des entreprises de technologies éducatives et fournisseuse de données pour les laboratoires scientifiques. Ainsi, EvidenceB, qui prétend s’appuyer sur « l’éducation fondée sur la preuve de la recherche fondamentale récente et des données mesurables et vérifiables » pour légitimer son intrusion dans l’École, est accompagnée par l’INRIA et Paris Université. La garantie de scientificité par les laboratoires fait fonction d’argument d’autorité.
En conclusion, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et c’est bien ce qui se dessine avec de tels outils imposés au pas de charge sans recul ni regard critique. Plutôt que de s’engager dans une fuite en avant à l’aveugle, pour le SNES-FSU il est nécessaire de mesurer plus prudemment les bénéfices et les risques de ces outils dont on connait mal les conséquences à court, moyen et long terme.
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