Le premier texte est un arrêté abrogeant celui du 9 mai 2003 sur les conditions d’attribution de l’indication SELO sur les diplômes du baccalauréat (général et technologique). Le second texte est un décret créant une nouvelle indication, alternative, « discipline non linguistique ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante (DNL) ».

Des sections européennes qui visent le renforcement linguistique… sans financement dans les dotations horaires ?

“Les sections européennes ou sections de langue orientale (SELO) proposent :
 un horaire d’enseignement linguistique renforcé dans la langue vivante étrangère de la section ;
 l’enseignement, dans la langue de la section, d’une partie du programme d’une ou plusieurs disciplines non linguistiques ;
 des activités culturelles et d’échanges internationaux dans le cadre du projet d’établissement.”

Cet arrêté confirme le dispositif décrit dans la circulaire fondatrice de 1992 avec deux précisions.
Le renforcement de la langue vivante étrangère de la section en lycée n’est pas prévu depuis 1992. Il s’agissait du dispositif en place au collège, financé dans les DHG, supprimé par la dernière réforme, faussement rétabli par J.-M. Blanquer puisqu’il dépend aussi de choix locaux d’utilisation de la marge. Les disparités sont donc importantes d’un collège à l’autre, les élèves n’arrivent plus en seconde avec le même niveau en SELO au lycée. Le texte définitif, par rapport au projet de juillet 2018, a retiré l’indication que ce renforcement devra être d’au moins une heure hebdomadaire au cycle terminal, il évoque seulement « un horaire renforcé ». La situation de la classe de seconde n’est pas clarifiée. Ceci officialise un supplément qui, n’étant pas obligatoire, dans beaucoup de lycées n’existe pas, faute de dotation suffisante. Là où il existe, il se trouve conforté par le nouveau texte, cela constitue un point d’appui en cas de menace sur les postes en langues notamment. Pourtant, le manque de précision sur la quantité est inquiétant, et la question du financement de ce renforcement dans les DHG reste entière. Il est à craindre qu’il ne dépende entièrement de l’utilisation de la marge, dans la logique de concurrence entre disciplines voulue par le Ministère. Le Snes-FSU demande que tous les enseignements optionnels, dont les SELO, soient financés dans les DHG.
Concernant l’enseignement de DNL, la circulaire de 1992 indiquait qu’il avait lieu “sur l’horaire normal” de la discipline concernée, ce qui n’impliquait pas l’attribution de moyens supplémentaires. Le nouvel arrêté à l’article 4 évoque « l’enseignement dans cette langue de tout ou partie du programme d’une autre discipline », sans précision d’horaire. Mais plus loin, à l’article 8, il est réaffirmé qu’il faut, pour avoir la mention « DNL » sur son baccalauréat, avoir suivi « l’enseignement dans une langue vivante à raison d’au moins une heure hebdomadaire sur l’horaire normal de tout ou partie du programme d’une autre discipline ». Un horaire hebdomadaire d’une heure pour la DNL est à l’heure actuelle la situation la plus courante dans toutes les sections européennes. Mais cet horaire la plupart du temps s’ajoute aux heures de la discipline, et ne concerne QUE les élèves de la section. Des cours en DNL “sur l’horaire normal” sont par rapport à l’existant dans beaucoup de lycées une régression. En effet, depuis 1992, les sections européennes se sont considérablement développées, et les collègues soucieux de diversité linguistique et de démocratisation du dispositif ont réussi à faire admettre que l’horaire spécifique était la meilleure solution. Meilleure solution pour ne pas constituer des classes européennes homogènes socialement et scolairement, en plaidant plutôt pour des « sections euro » dont les élèves peuvent êtres issu·e·s de plusieurs classes ; meilleure solution pour permettre l’existence de SELO dans des langues autres que l’anglais, car elles ne sont pas enseignées à un nombre suffisant d’élèves pour constituer des classes complètes à 35. La diversification linguistique figurait en toutes lettres dans les objectifs de la circulaire de 1992.
A n’en pas douter, le nouveau texte, dans un contexte de restriction budgétaire, conduira à la constitution de “classes” partout où cela sera possible, et mettra en danger les “petites” sections ainsi que celles qui permettent la mixité des élèves de la voie technologique et de la voie générale. La diversification linguistique est clairement menacée par cette volonté d’économiser des moyens, avec des conséquences non négligeables sur les postes de professeur·e·s de langues. Le Snes-FSU avait souligné tous ces problèmes lors de l’examen des projets de texte en CSE !
Il est de toutes façons très illusoire de penser pouvoir profiter de l’enseignement d’une discipline non linguistique par un saupoudrage de quelques activités en langue étrangère qui ne pourront être que du cours traduit. Car les enseignant·e·s ayant en charge la DNL devront avant tout traiter le programme de leur discipline, et respecter la même progression que leurs collègues dans la perspective des épreuves communes de contrôle continu. Il ne pourra plus être question par exemple dans le cadre de la DNL de faire avancer des projets correspondant à l’axe « activités culturelles et échanges internationaux » des sections européennes.

Une évaluation spécifique maintenue au baccalauréat ?

Le nouveau texte supprime l’épreuve orale spécifique terminale qui est actuellement passée par les élèves devant un double jury (professeur·e·s de DNL et de langue vivante).
A sa place, “une évaluation spécifique de contrôle continu visant à apprécier le niveau de maîtrise de la langue acquis au cours de la scolarité en section européenne” (article 2). Elle comporte, comme à l’heure actuelle, une note conjointement attribuée par les collègues de langue et de DNL qui ont suivi l’élève pendant la classe de terminale ; et une note à « une interrogation orale de langue, qui a lieu à la même période que les autres épreuves de contrôle continu de la classe de terminale ». La dimension DNL de cette évaluation spécifique est réduite à la portion congrue. Surtout, cette organisation charge la barque des nombreuses épreuves locales déjà prévues par le bac Blanquer. Les enseignant·e·s de langue ont été les “pionniers” de ces changements avec la création des ECA (épreuves en cours d’année) qui pèsent fortement sur l’organisation pédagogique de l’année de terminale, et alourdissent leurs tâches. Ils ne peuvent accepter une nouvelle épreuve qui posera les mêmes problèmes que les ECA et autres épreuves locales de contrôle continu : charge de travail pour les personnels, équité des candidat·e·s face à l’examen, etc.
A l’heure actuelle ils et elles sont interrogé·e·s sur le programme de DNL de terminale, à partir de banques académiques de sujets, et dans la deuxième partie de leur oral sur les projets qu’ils ont menés dans le cadre de la section.
Le nouvel arrêté ne semble pas admettre la spécificité du travail qui est effectué en DNL (car pour la maîtrise de la langue il y a… les cours de LV justement…) tout en imposant une évaluation supplémentaire aux professeur·e·s de langue.
Par ailleurs, le comptage des points pour le baccalauréat devient peu attractif pour les élèves inscrits en SELO. Comme les autres enseignements optionnels (deux au maximum), l’évaluation spécifique de contrôle continu est prise en compte au sein des 10 % du contrôle continu de la note finale du baccalauréat. Il y a d’ailleurs à ce jour un problème de cohérence entre le nouvel arrêté SELO et DNL et l’arrêté définissant les épreuves du baccalauréat, qui, datant de juillet 2018, ne le mentionne pas…

Des DNL déréglementées

Le Ministère propose de créer une nouvelle indication « DNL » qui pourrait se substituer à l’indication « SELO ».
“Au dernier alinéa de l’article D. 334-11 du code de l’éducation, entre les mots : « ou “section de langue orientale” » et « ou “option internationale” », sont insérés les mots : « ou “discipline non linguistique ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante” »
Par cette création il prétend ouvrir la possibilité à davantage d’élèves de recevoir un enseignement en DNL sans suivre le dispositif SELO complet tel que décrit dans le projet d’arrêté SELO et DNL (renforcement en langue vivante + DNL + projets et activités).
La libéralisation de l’enseignement en DNL se justifie selon l’administration par le fait qu’il est dommage que des enseignant·e·s possédant la certification complémentaire DNL ne puissent pas en faire profiter les élèves lorsqu’ils et elles n’ont pas obtenu un poste spécifique en section européenne. Présentée ainsi, la mesure pourrait bien séduire des collègues, des chefs d’établissement soucieux de proposer un enseignement « original » sans aucun coût pour leur DHG, ainsi que les familles et les élèves qui regretteraient de pas être inscrits dans un dispositif SELO. L’article 6 de l’arrêté précise en effet :
« Hors section européenne ou section de langue orientale, les disciplines autres que linguistiques peuvent être dispensées en partie en langue vivante étrangère ou régionale, conformément aux horaires et aux programmes en vigueur dans les classes considérées. »
L’article 7 ajoute que l’indication DNL figurera sur le diplôme du baccalauréat à condition de passer le même oral que celui prévu pour l’indication SELO « une évaluation spécifique de contrôle continu visant à apprécier le niveau de maîtrise de la langue qu’il a acquis dans une discipline non linguistique ». Il est pour le moins curieux voire disruptif d’imaginer des élèves se présenter à la même épreuve en n’ayant pas bénéficié des mêmes conditions de préparation, et de le présenter comme un progrès ! La volonté de passer cet oral et le choix de la langue devront être déclarés au moment de l’inscription au baccalauréat, et le texte indique que la DNL devra avoir été suivie pendant tout le cycle terminal à raison d’une heure par semaine (dans le cadre de l’horaire normal de la discipline, comme expliqué plus haut). En revanche « Le diplôme peut comporter, le cas échéant, l’indication de plusieurs disciplines non linguistiques ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante »  ! Comment, dans ces conditions, attester d’un niveau de maîtrise de la langue acquis dans UNE discipline non linguistique ? Pour le Ministère, on voit bien que la DNL dans ce dispositif n’est pas vue comme une autre façon d’enseigner une discipline. C’est un prétexte à faire un peu plus de langue vivante, dans des conditions d’apprentissage dégradées pour les élèves, et avec des professeur·e·s qui ne sont PAS des professeurs de langue ! Quand le Ministère voit dans cette nouveauté une montée en puissance des DNL, une possibilité de les rendre accessibles au plus grand nombre, le Snes-FSU s’inquiète du danger que représente un renvoi au local hors de tout cadrage académique et encore moins national. Aujourd’hui l’implantation des sections européennes relève de la carte des formations, et l’existence d’une section européenne dans un lycée implique un « cahier des charges » pédagogique quelque peu contraignant. Le Ministère veut permettre que des sections européennes low cost puissent exister un peu partout dans les lycées en fonction des professeur·e·s disponibles, à l’initiative des chefs d’établissement, sans horaire supplémentaire ni en langue vivante ni en DNL. Dès lors, pourquoi les rectorats se soucieraient-ils désormais de soutenir les SELO existantes voire d’en ouvrir de nouvelles ?… Le low cost risque de devenir la norme, et la richesse des projets pédagogiques menés conjointement par les enseignant·e·s de langues vivantes et de DNL depuis 25 ans de se tarir rapidement, faute de moyens horaires.
Une fois de plus, Jean-Michel Blanquer, en prétendant développer les DNL et les sections européennes dans le cadre de la réforme du lycée, est dans l’affichage de mesures qui ne lui coûtent rien, voire lui permettent d’économiser encore plus de moyens.


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