La loyauté et le devoir de réserve sont ainsi brandis pour stopper toute velléité d’expression d’un désaccord et d’une mise en cause de la politique éducative ou de sa mise en œuvre[1].

Qu’en est-il des obligations des fonctionnaires aujourd’hui et quels en sont les rapports avec la déontologie ?

1.1 Les évolutions historiques du statut

Le tout premier statut général des fonctionnaires voit le jour sous le régime de Vichy (loi du 14 septembre 1941). Il s’agissait alors pour les fonctionnaires d’obéir aveuglément aux ordres. L’article 13 insiste sur la soumission des fonctionnaires en précisant qu’ « …à tous les rangs de la hiérarchie, [les fonctionnaires] sont soumis à une discipline fondée sur l’autorité des chefs, l’obéissance et la fidélités des subordonnés… Cette obéissance doit être entière. » 

Le statut de 1946 (loi n°46-2294 du 19 octobre) après la Libération, puis la loi Le Pors de 1983 (n° 83-634 du 13 juillet) transforment complètement le rapport des fonctionnaires à leur administration, en mettant en avant un équilibre de droits et devoirs, basés avant tout sur l’intérêt général[2]. Le fonctionnaire doit à la fois, servir et pouvoir exercer sa citoyenneté. Dans ce cadre, il a obligation de se conformer aux instructions données mais garde une responsabilité dans l’exercice des directives (article 28). Il ne s’agit donc pas de la simple exécution des tâches mais de la possibilité de choix des modalités pertinentes pour que les tâches demandées soient conformes aux instructions. Or, « … la conformité n’est pas l’obéissance » (P. Devin). Elle laisse aux professionnels une marge de manœuvre.

En outre, l’article 28 indique clairement que les instructions peuvent ne pas être respectées, lorsqu’elles mettent gravement en cause l’intérêt public ou sont manifestement illégales.

La loi de 2016 (n° 2016-483 du 20 avril 2016) insiste  sur la place de la déontologie dans le statut des fonctionnaires en détaillant les qualités attendues: dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité et laïcité. Mais selon P. Devin, cette insistance, qui explicite des éléments déjà présents dans les textes fondateurs, correspond à un glissement de qualités qui étaient auparavant garanties par l’intérêt général et le statut collectif, vers une obligation individuelle et morale. C’est alors l’exemplarité du fonctionnaire qui devient exigible.

C’est d’ailleurs ce que reprend la loi « confiance » de Blanquer en 2019. « L’exemplarité contenue dans l’article 1 de la loi Blanquer n’est, de ce fait, pas tant une obligation légale qu’un élément de discours institutionnel destiné à faire pression, voire à mettre en œuvre des procédures disciplinaires. » (P. Devin). Le respect de l’expression du citoyen est ainsi de plus en plus contesté voire refusé aux fonctionnaires, et ce, même en dehors de l’exercice de leurs fonctions[3].

On préfère aujourd’hui parler de « loyauté » plutôt que d’ « obéissance » comme si l’expression d’un désaccord correspondait à sorte de trahison par rapport aux principes fondamentaux.

Or, la possibilité de faire état de ses opinions est toujours bien garantie par l’article 6 de la loi de 1983 (modifié en 2019 et toujours en vigueur) et l’obligation de réserve n’empêche pas la critique à condition qu’elle soit formulée dans des termes ni injurieux ni outrageants.

1.2 Qu’en est-il des obligations du fonctionnaire aujourd’hui ?

  • Le secret professionnel, conformément au code pénal (article 226-13) punit d’un an de prison et de 15 000 euros d’amendes celui ou celle qui révèle une information à caractère secret dont il est dépositaire par sa profession.
  • L’obligation de discrétion professionnelle définie par la loi Le Pors, demande aux fonctionnaires de faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Elle relève de sanctions administratives et non pénales. Mais elle doit aussi s’articuler avec le droit des usagers à la consultation des documents administratifs les concernant et à disposer d’informations sur le service public. Cette discrétion professionnelle est bien entendue levée lorsqu’il s’agit de crimes ou délits. (Article 40 du code de procédure pénale).
  • Les notions de probité et d’intégrité interdisent à l’agent de tirer un profit personnel de l’exercice de ses fonctions.
  • Les règles visant à prévenir et faire cesser les conflits d’intérêts et à encadrer le cumul ont été renforcées

Le code de déontologie des psychologues fait appel, non pas à la morale individuelle mais à la réflexion collective de la profession, sur les conduites à tenir en fonction de la complexité des situations.

Notons tout d’abord qu’un certain nombre de dispositions présentes dans le statut des fonctionnaires figurent dans le code de déontologie des psychologues (https://www.codededeontologiedespsychologues.fr/2021/05/20/code-de-deontologie-des-psychologues-2021/) : le respect du secret professionnel (principe 2, article 7), l’intégrité et la probité (principe 3), l’impartialité / neutralité (article 5).

Mais le code comporte également d’autres principes qui ne sont pas en contradiction avec la loi Le Pors ni avec celle de 2016, mais pourraient l’être avec certaines interprétations actuelles des prétendues obligations des fonctionnaires.

En effet, si le fonctionnaire doit remplir ses missions, la loi lui laisse le choix des modalités pertinentes pour que les tâches demandées soient assurées. Toute tentative pour imposer de « bonnes pratiques » ou des protocoles entre en contradiction avec le préambule du code de déontologie des psychologues qui veut que « la complexité des situations s’oppose à l’application automatique de règles. Le code de déontologie repose sur une réflexion éthique et une capacité de discernement ». Ceci est renforcé par le principe 5 sur la responsabilité et l’autonomie professionnelle qui précise que « …le psychologue est responsable du choix et de l’application de ses modes d’intervention, des méthodes ou techniques qu’il conçoit ou met en œuvre ainsi que des avis qu’il formule. »

De même, la volonté de mettre en œuvre des logiciels compatibles entre différents ministères ou services, notamment dans la champ de l’inclusion, sous prétexte de permettre l’information de tous les acteurs concernant le suivi d’un élève, rentrerait en contradiction avec l’article 8 du code qui enjoint de ne partager que les informations strictement nécessaires pour répondre à une demande ou une question.

Nul doute que  la politique de tri social imposée par ce gouvernement, pourtant « démissionnaire », s’accompagne de dispositions risquant de mettre en cause, à la fois les articles du code concernant « le respect de l’autonomie de la personne, de son droit à l’information de sa liberté de jugement et de décision » (principe 1) et cherchent à transformer les fonctionnaires en exécutants-applicateurs de « bonnes pratiques » et protocoles en tout genre.

Ces orientations sont non seulement contraires à nos missions et au code de déontologie mais également à notre conception d’une École qui émancipe, refuse l’enfermement des destins dans des déterminismes sociaux ou de genre, et qui favorise le développement harmonieux de la personnalité grâce aux savoirs et à la culture.


[1]Dans certains cas, cela a même donné lieu à l’instruction pour fautes disciplinaires contre des personnels

[2]P. Devin, « Le fonctionnaire et la déontologie : éthique ou management ? » intervention au colloque des psychologues de la FSU, 25 novembre 2021

[3]L. De Cock en donne  plusieurs exemples dans son livre « École publique et émancipation sociale », Éds Agone, coll. “Contre-feux”, 2021


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