Loi Blanquer – Obligation de réserve
Le « devoir de réserve » est inscrit dans le premier article du projet de loi « Ecole de la confiance » de Jean-Michel Blanquer. Voici ce qu’il est possible d’en dire.
L’obligation de réserve est une construction qui s’est faite dans le temps au gré de différents jugements qui font jurisprudence. Elle s’inscrit dans le cadre plus général de l’obligation de servir des agents publics régie par des impératifs déontologiques parmi lesquels on trouve : l’obligation de neutralité, de laïcité, de discrétion professionnelle… Suivant les services publics et le lieu d’exercice, ce catalogue d’obligations ne sera pas exactement le même.
Fonctionnaire et citoyen
En plus de ces obligations statutaires, le Conseil d’État a créé l’obligation de réserve pour l’agent public. Cet ajout jurisprudentiel (CE du 11 janvier 1935 – Bouzanquet) tend à limiter la liberté d’expression du fonctionnaire en dehors du service.
Pour les juges, un fonctionnaire viole son obligation de réserve lorsque l’expression de ses opinions est de nature à compromettre le bon fonctionnement du service. En conséquence, l’obligation de réserve ne concerne que l’attitude du fonctionnaire en dehors de son service public. Souvent, lorsque l’administration reproche à un agent un manquement à cette obligation de réserve, c’est en fait une obligation statutaire (discrétion, etc.) qui n’a pas été respectée. Pour les juges, cela n’interdit pas à l’agent public d’être un citoyen comme les autres.
D’ailleurs, l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 pose la notion du fonctionnaire-citoyen « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. » et l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » font qu’un fonctionnaire a la plénitude des droits du citoyen.
Réduire au silence
L’appréciation, est complexe puisque l’obligation dépend du niveau de l’agent dans la hiérarchie, des fonctions occupées, de la nature des opinions, de l’expression de ces opinions (vocabulaire…), de la publicité… Posséder un mandat politique, syndical, associatif protège.
L’autorité hiérarchique, qui a l’opportunité des poursuites disciplinaires, se sert souvent de cette obligation pour caporaliser les personnels, au mépris de bien des jurisprudences. En définitive et au besoin, le juge appréciera la pertinence du manquement à l’obligation de réserve et la proportionnalité de la sanction.
Si comme responsable syndical on affirme dans une réunion ou dans un média que les propos de Jean-Michel Blanquer sont faux et renforcent une ségrégation scolaire, aucun risque. Si c’est comme citoyen, aucun risque non plus. Si ces propos sont tenus comme enseignant, il peut y avoir un manquement à l’obligation de réserve.
Rappelons qu’un salarié du privé qui tiendrait des propos outranciers en parlant de la société qui l’emploie sera inquiété par son employeur.
La question est politique et juridique. Tout dépend de notre conviction et de notre engagement à faire prévaloir que, si le fonctionnaire n’est pas un citoyen comme un autre, il n’est pas non plus un citoyen-sujet.
Jean-Michel HARVIER
Didier ALBERT