Lors de son discours de politique générale du 30 janvier devant l’Assemblée nationale, le premier ministre, Gabriel Attal a ciblé l’internat. Sous prétexte de relancer l’internat (50 000 places resteraient inoccupées), il entend en faire un lieu de « placement » des jeunes « à la dérive » : « Je ne me résous pas à ce que nous ayons des familles dépassées par les évènements avec des enfants qui ne respectent pas nos règles et qui sont violents d’un côté et 50 000 places d’internat disponibles de l’autre. Aussi désormais quand un jeune sera sur la mauvaise pente, plutôt que de le laisser plonger dans la délinquance, nous proposerons aux parents de le placer en internat (…) ». Et le chef du gouvernement d’enfoncer le clou dans l’émission « L’évènement » sur France 2 du 8 février où son discours sur la jeunesse débute par l’idée réaffirmée d’un internat pour les jeunes « à la dérive » sans plus de précision quant aux modalités de mise en œuvre.
L’internat au service d’une vision idéologique de l’école
L’internat version Blanquer s’est inscrit dans une vision libérale de l’école, celui d’Attal entend poursuivre sous l’angle du libéralisme autoritaire.
L’internat dit « d’excellence » de Jean-Michel Blanquer a marqué le retour d’un système à deux vitesses, d’un côté des structures classiques, de l’autre, celles tournées vers « l’excellence », une version libérale de la politique de l’internat scolaire : le droit au choix individuel pour quelques élèves choisis sur « motivation » et « méritants » plutôt que la qualité pour tous. Avec ce dispositif, la réussite de quelques un.es se substitue à l’objectif de réussite pour toutes et tous. Il n’a toujours pas fait l’objet d’une évaluation comme demandée par le SNES-FSU. Comment le ministère a-t-il pu parler d’un plan ambitieux quand seuls 307 internats sont censés être labellisés sur les 1618 existants et pour 30 000 places rénovées ou crées sur les 228 400 disponibles ? Le SNES-FSU demande toujours l’abandon « des internats d’excellence ». Une véritable politique éducative ne saurait se limiter à une opération partielle au bénéfice de quelques un.es mais au contraire constituer une action publique à l’intention de tous et toutes.
Les derniers chiffres de la Direction de l’Évaluation de la prospective et de la performance (DEPP) Rentrée 2022-2023 : 228 068 places d’internat disponibles réparties dans 1618 établissements dont 233 collèges, 941 lycées général et technologiques, 366 lycées professionnels et 78 EREA. Sur ces 228 068 places, 184 607 (144 307 dans les établissements publics et 40 300 dans les établissements privés sous contrat) sont occupées, soit un taux de remplissage de 80,9 %. Le régime de l’internat est plus fréquent dans l’enseignement professionnel où 12,5 % des élèves sont internes à la rentrée 2022 contre 0,5 % en collège, 5,4 % en LGT et 02,1 % en EREA. |
Surveiller et punir
Le discours de Gabriel Attal s’inscrit dans la philosophie éducative qui règne à l’Élysée : les jeunes, essentiellement ceux des milieux populaires, sont des hordes dangereuses qu’il convient de dresser. Il s’agit d’un basculement autoritaire, le président de la République parlant de « reciviliser » la société et sa jeunesse après les émeutes de l’été dernier. D’où ce projet politique axé sur l’ordre, l’autorité (« il y a un problème d’autorité dans notre société » dixit Emmanuel Macron) avec l’uniforme à l’école, le Service National Universel, l’orientation des jeunes toujours plus précoce avec la volonté de faire travailler certains élèves de plus en plus tôt. La casse du lycée professionnel au profit de l’apprentissage ne relève-t-elle pas d’un projet de société dans lequel on ne formerait plus des citoyens et citoyennes éveillé.es mais des travailleur.ses dociles ? Et que dire de la fin du collège unique programmé et la mise en place d’une école ségrégative privilégiant l’entre-soi et le séparatisme social et scolaire. Il ne s’agit plus d’émanciper par les savoirs mais de domestiquer la jeunesse par le management entrepreneurial et la discipline militaire. Pour Gabriel Attal, la « jeunesse engagée » doit apprendre à obéir aux règles, en acquérant des compétences psycho sociales valorisables sur le marché de l’emploi et l’internat doit être un outil au service de cette politique. Il est d’ailleurs significatif que dans sa déclaration de politique générale, l’internat lui serve de transition sur le « réarmement civique », la lutte contre la délinquance, l’insécurité et le renforcement de la police.
Pour quel projet éducatif ?
Pour le SNES-FSU, l’internat doit s’inscrire dans un projet éducatif, il n’est pas seulement une solution d’hébergement. L’internat est avant tout un lieu de socialisation, d’épanouissement personnel, de réussite scolaire, d’ouverture et d’épanouissement culturel de nos élèves. L’internat doit être un vecteur de promotion sociale permettant une scolarité sereine et structurante. Or le premier ministre ne défend pas l’idée d’un internat éducatif mais celle d’un lieu de redressement et d’enfermement voire de rééducation. Il a beau évoquer le volontariat des familles, il est très vite question de « placement ».
Avec quels moyens ?
La mise en place d’un tel dispositif pose beaucoup de questions qui restent sans réponse à ce jour. De quels jeunes parle-t-on ? Sur quels critères seront-ils « sélectionnés » ? Dans quelles conditions les établissements vont-ils pouvoir accueillir le public visé ? Quels dispositifs d’accompagnement ? Comment assurer une cohabitation sereine entre toutes et tous les internes ? Quelle adéquation entre les besoins du jeune, son projet scolaire et les places disponibles ? Avec quels moyens ? La mise en œuvre de moyens humains et matériels reste posée mais le sujet n’est pas évoqué. C’est pourtant un enjeu crucial pour l’avenir de l’internat : quid des moyens humains en CPE, AED, infirmières scolaires, assistantes sociales, Psy En, agents de service… ?
Il y a urgence à promulguer une loi de programmation et un collectif budgétaire pour répondre aux besoins humains du service public d’éducation. Or c’est tout l’inverse dans lequel s’engage le gouvernement. Le décret publié le 22 février par le ministère de l’économie, portant réduction des dépenses publiques de 10 milliards d’euros, démontre une nouvelle fois le mépris de ce gouvernement pour la République sociale et son école. 582 millions d’euros sont retirés à l’école publique dont 382 auraient dû servir à rémunérer des personnels d’enseignement, d’éducation et d’accompagnement des élèves. Cette saignée confirme une fois de plus le renoncement de ce gouvernement à recruter des personnels en améliorant leurs conditions de travail, de rémunération, d’avancement, pour rendre les professions attractives et garantir la bonne réalisation des missions de service public auprès de tous les élèves.A toutes ces questions le ministère de l’éducation nationale botte en touche renvoyant au ministère de la justice, le dispositif devant relever d’une mesure interministérielle.
Les métiers réorientés
Le ministère ne manquera pas également de voir une nouvelle occasion de redéfinir les métiers comme Jean-Michel Blanquer s’y est déjà employé à l’occasion des internats d’excellence : « manager d’internat », « chef de projet », profilant toujours plus de postes de CPE au prétexte de la présence dans l’établissement d’un internat.
Après l’avis du conseil supérieur des programmes (CSP) qui entend renvoyer les missions des CPE aux prérogatives autoritaires du surveillant général, Gabriel Attal envisage-t-il de faire des CPE des éducateurs et éducatrices spécialisé.es voir des personnels pénitentiaires ? Pour le SNES-FSU, il est primordial de redonner la main aux personnels avec une formation initiale et continue de qualité pour des pratiques professionnelles réellement démocratisantes et respectueuse des métiers.
Le SNES-FSU refuse le principe d’une éducation qui fait de la mise au pas de la jeunesse son unique objectif que ce soit par des pseudo-stages en entreprise, des simulacres de service national ou l’instrumentalisation de l’internat à des fins répressives. Pour le SNES-FSU, la jeunesse est une priorité : il faut lui redonner une ambition, un avenir désirable dans une société plus juste. Tous les jeunes doivent pouvoir accéder et réussir à l’École. Or la dimension sociale des inégalités est ignorée au profit d’une vision qui fait porter sur l’individu l’entière responsabilité de son destin scolaire. Les gouvernements de E. Macron construisent un projet éducatif clivant et idéologique attaché à développer des élites très bien formées, assorti de dispositifs « prétextes » pour promouvoir quelques jeunes des catégories populaires dont on vantera et la volonté et le mérite. Pas de volonté émancipatrice globale, pas de bouleversement de l’ordre social. Tout le contraire des ambitions du SNES et de la FSU pour la jeunesse.