Une instrumentalisation des faits de violence à des fins politiques

Suite à l’agression au couteau d’un lycéen de Bagneux (Hauts-de-Seine) début février, Élisabeth Borne a annoncé la mise en place de fouilles aléatoires sur les élèves par les forces de l’ordre à partir du printemps. Ces fouilles feront suite à une décision conjointe de la préfecture, du parquet et des services de l’Éducation. La ministre évoque aussi le durcissement du Code de l’Éducation en cas de détention d’armes blanches avec le renvoi systématique en conseil de discipline pour les élèves fautif·ves et un signalement au parquet. L’objectif pour la ministre : lutter contre les violences à l’école et aux abords des établissements scolaires.

Pour le SNES-FSU, ces annonces relèvent surtout d’une nouvelle opération de communication servant à alimenter une politique éducative de plus en plus répressive. L’intrusion d’armes demeure exceptionnelle à l’échelle de la population scolaire et les contrôles aléatoires seront inapplicables sur la durée, mais surtout inefficaces. Tout comme la systématisation des conseils de discipline qui sont déjà la règle en de tels cas ou le signalement au parquet.

Ces mesures « dissuasives » ne régleront pas la situation ni les faits de violence qui ne sont le plus souvent que le surgissement de faits de société au sein de l’École. Ils résultent ou s’aggravent du fait du démantèlement des Services publics de proximité, de la dégradation de la situation sociale et économique, de la brutalisation des rapports sociaux…


Les CPE supplétives et supplétifs des forces de l’ordre ?

A la foire des surenchères, le Sénat a répondu présent. Suite à l’annonce de la ministre, il a adopté en première lecture, le 6 mars dernier, une proposition de loi visant « à protéger l’école de la République et les personnels qui y travaillent ». Ce texte dispose qu’ « en cas de menace pour l’ordre et la sécurité au sein de l’établissement, le chef d’établissement, son adjoint ou le CPE peut procéder à l’inspection visuelle des effets personnels d’un élève et, avec l’accord de celui-ci ou dans le cas d’un élève mineur de son représentant légal, à la fouille des effets personnels ».

C’est donc, au prétexte de protéger les personnels que CPE et personnels de direction sont sommé.es de se substituer aux forces de l’ordre opérant un glissement dangereux de la notion de sécurité à celle du maintien de l’ordre. Inacceptable pour le SNES-FSU !

Nous avions déjà souligné le risque de telles dérives à l’occasion des annonces sur la pause numérique où l’interdiction des téléphones portables risquait de déboucher à terme, dans un contexte toujours plus sécuritaire, sur la fouille des élèves. Prochaine étape la fouille au corps ?

« Pause numérique », vers une interdiction totale du portable dans les collèges ?

Un tel dispositif dénature profondément les missions des CPE et la nature éducative du métier. La fouille des affaires personnelles des élèves relève de la seule compétence de la police et de la gendarmerie et dans des conditions encadrées par la loi. Les CPE n’ont pas vocation à se substituer aux forces de l’ordre. Comment s’étonner d’une telle dérive quand déjà, le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) rendait l’année dernière, un avis sur « l’organisation des enseignements au collège » en réclamant très clairement le retour au maintien de l’ordre assuré par les CPE, et appelant à redéfinir leurs missions uniquement sous un angle sécuritaire ! Cet avis trouve sa source dans un contexte réactionnaire, avec la mise en place du Service National Universel (SNU), le « réarmement civique », les « classes engagées », l’uniforme à l’école, l’utilisation « des internats Attal » comme mesure coercitives. Comment s’étonner alors du sujet du concours externe CPE session 2025 qui entend interroger les aspirant.es au métier sur la punition et la sanction ?

Le SNES-FSU réaffirme avec force et clarté ses mandats quant aux missions des CPE, définies de haute lutte dans la circulaire de missions de 2015. Les CPE ont comme cœur de métier le suivi éducatif et pédagogique de l’élève comme l’animation socio-éducative, et ne portent pas la responsabilité, plus que les autres personnels dans les établissements, de la surveillance et de l’ordre.

CPE : le SNES-FSU à l’offensive pour un métier centré sur la réussite et l’émancipation de l’élève

Les CPE savent l’importance d’un travail quotidien auprès des élèves dans lequel l’autorité n’est qu’une composante parmi d’autres. Ils et elles œuvrent à inventer des alternatives au tout punitif, à leur éducation citoyenne, à conforter des comportements responsables. Aussi, un autre élément de la proposition de loi sénatoriale visant l’EMC n’en est que plus inquiétant en ce qu’il entend « simplifier le contenu de l’enseignement moral et civique et le recentrer sur la connaissance des institutions ». Quid, encore une fois, de la démocratie scolaire ?

CPE Nouveau programme d’EMC : Et la démocratie scolaire dans tout ça ?

Le toujours plus de discipline, le recentrage de l’activité des CPE sur le maintien de l’ordre témoignent d’une méconnaissance inquiétante de la diversité de ses missions, et d’une non moins inquiétante méconnaissance des conditions de l’exercice de l’autorité et de la sanction.

A noter également que le dispositif initié par le Sénat interroge quant à sa constitutionnalité, d’autant qu’un décret est prévu pour instaurer une autorisation parentale de fouille à l’année. Qui sera habilité à déclarer que l’état « de menace pour l’ordre et la sécurité au sein de l’établissement » est constitué et ainsi déclencher la possibilité de fouilles par les personnels : le recteur, le chef d’établissement, le juge administratif ? Quelle légalité pour une autorisation parentale de fouille à l’année quand le simple droit à l’image requiert une autorisation spécifique pour chaque projet éducatif et pédagogique ?

Le « choc d’autorité », c’est toujours non !

Lors de son passage à Matignon, après un passage tout aussi rapide rue de Grenelle, Gabriel Attal n’a cessé de se saisir des faits divers dramatiques impliquant des adolescent·es à des fins de récupérations politiques, prétendant décréter et organiser « un choc d’autorité ». Sur la base de constats biaisés et souvent non étayés scientifiquement sur la violence des jeunes, il s’est emparé du sujet pour instiller dans l’opinion publique l’obsession de l’affaissement de l’autorité et la crainte de la montée de « l’ultra-violence » dans les rangs de la jeunesse. S’en est suivie toute une litanie de mesures dont bon nombre empruntées à l’extrême droite : travaux d’intérêt général si les jeunes contestent l’autorité, scolarisation de 8 heures à 18 heures dans les quartiers populaires, « internats de redressement », conséquences sur les « examens et bulletins scolaires » pour les « fauteurs de troubles » (un retour de la note vie scolaire ?), mention sur Parcoursup des comportements perturbateurs, « responsabilisation des parents défaillants » … Les lieux d’instruction et d’éducation sont instrumentalisés, devenant des outils servant à « tenir » les jeunes hors de leur milieu dans un espace fermé, voire à les redresser.

L’internat scolaire version Gabriel Attal : un outil au service de la lutte contre la délinquance !

Si la dissolution de juin 2024 est venu perturber ce projet, elle ne l’a point enrayé. Aussitôt redevenu député, Gabriel Attal n’a eu de cesse de poursuivre ce travail idéologique à l’instar de sa proposition de loi adoptée par l’Assemblée le 13 février visant à « restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents ». Au menu, procédure de comparution immédiate pour les mineurs à partir de 16 ans, mise à mal de « l’excuse de minorité », durcissement des sanctions envers les parents de mineurs délinquants…, bref, une volonté de détruire les fondements d’une justice spécialisée pour les enfants et les adolescent·es. Il s’agit pourtant d’un principe fondamental, à valeur constitutionnelle et consacré par le droit international (Convention internationale des droits de l’enfant) qui repose sur le postulat qu’un·e enfant est un·e adulte en construction et doit à ce titre faire l’objet d’une prise en charge et d’un suivi spécifique. Il doit avant tout être protégé·e et accompagné·e.

Mobilisation de nos camarades du SNPES-PJJ-FSU : Syndicat National des Personnels de l’Éducation et du Social de la Protection Judiciaire de la Jeunesse

« Choc d’autorité », « choc des savoirs » même combat !

Pour le SNES-FSU, le « choc d’autorité », c’est toujours non. De la même façon, il poursuit son opposition au « choc des savoirs » qui cherche à mettre en place une école ségrégative privilégiant l’entre-soi et le séparatisme social et scolaire. Il ne s’agit plus d’émanciper par les savoirs mais de dompter la jeunesse par le management entrepreneurial et la discipline militaire. La « jeunesse engagée » doit apprendre à obéir aux règles, en acquérant des compétences psychosociales valorisables sur le marché de l’emploi. Cette politique n’est pas sans effets sur les vies scolaires, qui cherche à recentrer le métier de CPE sur le seul rétablissement de l’ordre et en appelle à un retour de la figure du surveillant général. C’est l’École du vivre ensemble, chère aux CPE, qui est attaquée sous prétexte de lutte contre la violence des jeunes. Cette réorientation ne peut qu’interpeller les CPE dont l’histoire du métier est liée à la massification du système éducatif et à l’accueil de nouveaux publics scolaires. La question du climat scolaire et des violences qui peuvent toucher les jeunes est complexe et multidimensionnelle. Elle ne peut être réduite à ce catalogue de mesures qui porte une vision de la jeunesse et de l’éducation extrêmement simpliste, normative, stigmatisante et très inquiétante. Une jeunesse vue comme une classe dangereuse qu’il faudrait mettre au pas.

Service National Universel : mettre la jeunesse au pas ?

Encore et toujours les vieilles solutions simplistes

« Restaurer l’autorité » est donc devenu le leitmotiv des politiques éducatives des gouvernements successifs à la faveur de faits divers grossis par la loupe déformante des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux. Comme si l’École était devenue un coupe-gorge où chacun vit dans la peur de l’autre et où seule la menace de sanctions pourrait ramener un semblant de sérénité. La réalité que démontrent les enquêtes sociologiques et les enquêtes de la DEPP est que 9 élèves sur 10 déclarent se sentir bien à l’école.

La communauté des chercheurs qui travaillent sur la question de la jeunesse et les chiffres donnés par les statistiques officielles se rejoignent pour décrire une réalité identique : non, la délinquance des mineurs n’explose pas, c’est même l’exact inverse. La part des mineurs « mis en cause pour des infractions élucidées par la police ou la gendarmerie », a connu une baisse entre 2016 et 2024 de 16 % (source ministère de l’intérieur). La part des mineurs dans la totalité des mis en cause baisse également de façon continue de 17 % en 2016 à 12 % en 2024. Cette tendance se retrouve de façon encore plus spectaculaire dans les chiffres du ministère de la justice. Depuis 2016, le nombre de mineurs poursuivis par la justice a baissé de 25 % (passant de 64 934 à 48 389 en 2023), là encore de façon quasi continue. On retrouve une baisse similaire dans le nombre de condamnés. Cependant, ce sont les actes les plus violents chez les mineurs, très minoritaires mais médiatisés qui augmentent assez fortement. Le nombre d’adolescents poursuivis pour assassinat, meurtre, coups mortels ou violence aggravée a ainsi quasiment doublé depuis 2017 passant de 1 207 à 2 095 en 2023.

Derrière cette augmentation, le sociologue Fabien Jobard voit une vraie mutation, une violence criminelle tournée aujourd’hui, non pas vers l’extérieur, mais vers les jeunes eux-mêmes. Ceci, notamment à travers des rixes ou des règlements de comptes entre bandes rivales sur fond de trafic de stupéfiants de plus en plus généralisé. A trop caricaturer cette réalité complexe, les responsables politiques entretiennent non seulement un climat de défiance, mais apportent aussi des solutions inadaptées car répondant à des problèmes mal posés.

Réaction d’Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France, à l’adoption à l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs familles.

Pour une autre politique en faveur de la jeunesse

Ainsi les bonnes vieilles solutions simplistes du tout répressif visant à encadrer une jeunesse « ensauvagée » ne cessent de montrer leurs limites. Ces politiques faites de dissymétrie entre annonces et absences de réponses adaptées renforcent surtout le sentiment d’abandon des personnels et des élèves quand elles ne les mettent pas en danger.

Pour le SNES-FSU, le traitement et la prévention de la violence en milieu scolaire ne peut se faire qu’avec des moyens humains conséquents. La création de 600 postes d’AEd et de 150 postes de CPE dans le cadre du plan « Pour la tranquillité scolaire » ne doit pas servir uniquement une politique « d’amélioration du climat scolaire » au sens sécuritaire cherchant avant tout à faire des CPE des gardien·nes de l’ordre.

Des groupes de travail académiques se tiennent actuellement pour décliner ce plan. Le SNES-FSU exige l’implantation de postes CPE pérennes car certaines académies entendent instaurer à cette occasion des « CPE mobiles », ce qui va à l’encontre d’un travail éducatif sur le long terme.

Le SNES-FSU porte une vision ambitieuse du climat scolaire : il ne s’agit pas de normer les comportements et les parcours scolaires, mais bien d’offrir à chacun.e le cadre scolaire permettant de construire son autonomie intellectuelle, sociale, personnelle pour être pleinement acteur et actrice d’une société démocratique. Cette vision ambitieuse nécessite des moyens, notamment des équipes pluriprofessionnelles complètes, pour lesquelles les qualifications et les métiers sont respectés. Il convient de faire confiance aux personnels de terrain, leur permettre un travail réflexif sur leurs pratiques de façon collective : croiser les regards et les approches avec les personnels sociaux et de santé, les éducateurs et éducatrices, la vie scolaire et les psy-EN permet de résoudre bien des conflits ; associer les familles, renforcer le lien éducatif avec les jeunes ; améliorer les conditions de travail et remettre l’institution face à ses responsabilités ; renforcer le taux d’encadrement dans les établissement ; maintenir l’exigence de l’accès aux savoirs…

Le SNES-FSU continuera de dénoncer l’approche managériale et sécuritaire qui est faite du climat scolaire : il ne peut se satisfaire de la communication et des réponses à moindre coût qui se font de fait au détriment des personnels et des élèves.

La place des jeunes constitue un sujet de société central qui renvoie aux problématiques des droits de manière transversale, avec une question cruciale : quelle société veut-on offrir aux jeunes, à tous les jeunes ? Cela à un moment où beaucoup d’entre eux et elles sont confronté.es à de nombreuses difficultés (insertion, précarité…) et où les politiques publiques à leur égard sont loin d’être à la hauteur de leurs besoins et de leurs aspirations, quand elles n’aggravent pas les inégalités (sociales, territoriales…) maltraitant toujours davantage les plus fragiles. Il est nécessaire de penser la responsabilité collective de notre société plutôt que de renoncer aux principes éducatifs qui fondent le sens même de l’École.

La question de la violence à l’École est une question grave qui ne peut se traiter par une surenchère sécuritaire irresponsable.

Face aux enjeux, remettre du collectif et réaffirmer nos valeurs

Pour le SNES-FSU, la vigilance éducative doit être partagée, la sécurité renforcée et adaptée mais toujours mise en œuvre dans une perspective éducative. Les dérives sécuritaires ne sont en aucun cas de bonnes réponses. L’enjeu pour l’École est de faire de l’autorité une aventure moins solitaire, plus collective avec les ressources du travail en équipe.

L’École n’est pas un sanctuaire. Les débats et la violence qui traversent la société l’affectent aussi. Mais elle est avant tout un lieu d’enseignement et d’éducation. Les équipes ont à cœur d’y prévenir la violence par un travail collectif quotidien de l’ensemble des personnels.

Dans le contexte d’extrême droitisation des discours, les valeurs de l’école doivent être réaffirmées. Le SNES-FSU s’inscrit dans une conception ambitieuse pour les métiers et les élèves, attaché aux valeurs démocratiques et émancipatrices de l’école avec l’éducabilité de tous pour projet : toutes et tous sont capables de réussir. Nous avons besoin de la jeunesse pour construire une société plus juste, plus écologique, plus solidaire, plus féministe.


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