C’est avant tout l’amour de la discipline qui motive la plupart des étudiants à choisir la carrière enseignante. C’est particulièrement le cas des professeurs de Langues vivantes étrangères ou régionales (LVER), animés par une passion pour la langue qu’ils ont choisie, ainsi que par la culture liée à cette langue. Au-delà d’études souvent longues, ils ont presque tous vécu plusieurs mois à l’étranger pour parfaire leur pratique de la langue, approfondir leur connaissance de la culture et des habitudes de vie des populations locales. Faire partager cette passion à leurs élèves est un point commun à tous ces professeurs, quels que soient la langue et le niveau enseignés. Mais malheureusement, les professeurs n’ont pas que leur passion en commun, ils partagent aussi une profonde souffrance au travail.

Méprisés, maltraités, mais combatifs

Malaise dans la salle des professeurs : la période de la DHG est difficile pour tout le monde, mais pour les enseignants de langues vivantes, elle révèle de nombreuses tensions. Pour les langues dites à faible diffusion, comme l’allemand en collège, par exemple, c’est souvent l’occasion de subir la culpabilisation du chef d’établissement (CE) et l’annonce du regroupement de niveaux différents dans un même cours l’année suivante, sous prétexte de maintenir un nombre d’élèves propice à créer une dynamique de groupe (sic), et pour « rentabiliser » les heures consommées. Pour les autres, c’est l’assurance d’effectifs pléthoriques, sans que cela ne donne lieu à moyens supplémentaires. En lycée, la globalisation des horaires (une même enveloppe pour LV 1 et 2, 5 h 30 en Seconde, puis 4 h 30) entraîne une mise en concurrence des enseignants qui estiment chacun, de façon légitime, que la demi-heure en supplément leur revient de droit. Les équipes vivent difficilement cette situation et se déchirent pour se répartir une dotation de toute façon insuffisante. Symptomatique, l’académie de Paris : pour un professeur de LV, il est moins difficile d’obtenir une mutation en lycée qu’en collège…

Conditions de travail et d’études dégradées

Pour tout professeur, et davantage encore en LV, la question des effectifs est fondamentale : un nombre élevé d’élèves ne permet pas une pratique langagière suffisante. En collège, alors que les élèves sont quasi débutants, faire entrer plus de 30 élèves dans les apprentissages relève de la gageure ; en lycée, des effectifs pléthoriques (au-delà de 35 par classe) rendent particulièrement acrobatiques la pratique de l’oral et la préparation aux épreuves du bac. Les enseignants entraînent pourtant leurs élèves, et puisqu’ils ne disposent pas du temps nécessaire en classe, ils les évaluent oralement à l’aide d’enregistrements. Quel que soit le niveau, il leur faut courir après le temps : alors que les chercheurs s’accordent à dire que le temps d’exposition est fondamental pour s’imprégner d’une langue, les horaires disciplinaires sont de plus en plus réduits. S’ensuit une course quotidienne pour boucler le programme, préparer l’épreuve terminale et évaluer les élèves (en Terminale, deux épreuves orales doivent avoir lieu au cours de l’année). L’institution, consciente des difficultés engendrées par les réformes successives, tente d’y répondre à coup d’injonctions : c’est l’occasion pour certains IPR d’imposer des pratiques pédagogiques discutables ou incertaines quant à leurs effets. Certains prônent l’approche en classe inversée (un moyen d’externaliser le cours qu’on ne peut plus dispenser en classe, faute de temps, au risque de creuser encore les inégalités entre élèves), d’autres vantent l’organisation de la classe en îlots bonifiés. Le principe qui sous-tend ces injonctions n’est pas nouveau : il consiste à mettre en place des dispositifs qui permettent d’amortir l’absence de moyens, à les vanter comme modernes pour les imposer. Ils peuvent empêcher de s’interroger sur d’autres ressources didactiques possibles ou sur ce qui fait obstacle aux apprentissages.

Enseignants concepteurs : garder la main sur le métier

Tous les enseignants s’accordent à dire que sous l’effet des réformes, leur charge de travail augmente avec l’ancienneté… Pour les uns, la réduction des horaires signifie une ou deux classes supplémentaires, pour les autres c’est un complément de service dans un autre établissement. Il faut aussi compter avec des réunions d’équipes, pour s’approprier des programmes de cycles et établir des progressions. Les enseignants tentent malgré tout de faire vivre leur liberté pédagogique, et de garder la main sur la conception de leurs cours. Mais les obstacles sont nombreux : un même programme « inter langues » pour toutes les disciplines a pour conséquence de minorer les aspects linguistiques et culturels. Il y a peu de repères dans les programmes (ce qui laisse place aux inégalités) et, en collège, les enseignants doivent jongler entre socle, programmes et CECRL qui, s’ils sont identiques parfois sur certains points, ne le sont pas en tous, ce qui oblige les enseignants à jongler entre trois prescriptions. Les enseignants subissent de plein fouet une perte de sens de leur mission, qui vient s’ajouter à la pénibilité accrue de leur tâche. Le découragement est donc souvent de mise. Il existe pourtant des solutions simples pour permettre un enseignement de qualité des LVER : le SNES-FSU développe, avec la profession, des reven­dications accessibles qui changeraient ­radicalement la donne : des horaires d’enseignement corrects (3 heures hebdomadaires minimum), des effectifs réduits qui permettent des pratiques langagières orales, des examens terminaux nationaux à valeur européenne (et donc la fin des certifications privées), une véritable politique de diversification des LVER. Les enseignants de LVER font vivre leur discipline malgré tous les obstacles, ils organisent des voyages et des échanges pour en faire vivre la dimension culturelle et garder intacte la motivation de leurs élèves. Quant à la motivation des enseignants, malmenés et parfois méprisés, il serait bon que l’institution s’en préoccupe pour permettre la poursuite de cet enseignement de qualité.

Rubrique réalisée par Véronique Ponvert

Langues à faible diffusion et régionales : sacrifiées
L’allemand, le portugais, l’arabe, l’italien… sont des disciplines fragilisées ; les enseignants doivent « aller chercher » les élèves et « vendre » leur LV pour en assurer la pérénité. Ils ont aussi à subir des conditions de travail très dégradées (emplois du temps, regroupements d’élèves de différents niveaux…). Les langues régionales ont subi une nouvelle dégradation depuis la réforme du collège : sorties du tronc commun des enseignements, elles deviennent désormais « enseignement de complément » et sont maintenues selon le bon vouloir des CE, financées sur les heures marge, donc précaires. Toutes ces LVER font aussi l’objet d’EPI qui permettent difficilement de travailler des notions linguistiques.

Témoignage
Georges Thai, professeur d’anglais au lycée Jean-Jaurès de Reims (51)
Depuis quelques années, les professeurs d’anglais (de langues en général) en lycée doivent faire face à une importante surcharge de travail, notamment en raison de l’introduction d’Épreuves en cours d’année (ECA) pour le baccalauréat. L’organisation de ces épreuves, deux fois dans l’année, entraîne de nombreuses perturbations dans les cours dont les horaires sont déjà réduits à la portion congrue (2 heures en Terminale). Comment pouvons-nous préparer nos élèves à des épreuves multiples alors que le peu d’heures dont nous disposons permet à peine d’assurer le minimum ?
Dans mon lycée, nous sommes 8 professeurs d’anglais, 4 d’espagnol, 4 d’allemand, 1 de russe, 1 de portugais et 1 de chinois. Nous avons tous constaté une dégradation de nos conditions de travail et une multiplication de tâches n’ayant pas toujours de rapport direct avec notre mission première, assurer nos cours.
D’autre part, dans les lycées disposant d’une section européenne (anglais ou espagnol), la pression est forte pour que les enseignants participent aux certifications mises en place avec des organismes privés. Il est d’ailleurs étonnant qu’une mise en place nationale soit possible pour une telle évaluation alors que les épreuves du baccalauréat ne bénéficient d’aucun cadrage précis.
Il est à noter que nous avons parfois des difficultés à rendre compatibles deux formes d’évaluation dont les logiques ne sont pas du tout les mêmes. Comment concilier de façon cohérente une évaluation par niveaux de compétences langagières et une notation sur 20 ?
Dans de telles conditions, il est difficile de travailler correctement toutes les activités langagières et cette situation est très frustrante pour les professeurs et les élèves. De plus, les horaires étant réduits, le nombre de groupes par enseignant a sensiblement augmenté, et par conséquent le nombre d’évaluations et de copies également. Comment alors dispenser un enseignement satisfaisant et efficace ?


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