Deux jours après les annonces du ministre P. Ndiaye, le Ministère a publié le 12/01/23 une note de service intitulée « Une nouvelle dynamique pour les mathématiques », qui détaille son plan pour l’enseignement des mathématiques, de la maternelle à la fin du lycée. Derrière le titre ronflant, l’absence totale de moyens et la mise en place des outils du contrôle resserré des pratiques pédagogiques, largement centrées sur les « fondamentaux », au risque d’assécher la diversité de l’activité mathématique dans nos classes. La volonté d’encadrer nos pratiques et le coeur de métier par le recours à des évaluations externes quasi-annuelles des élèves y est centrale et clairement affirmée, confirmant les orientations en germe depuis un an.

Dès le début, la note affiche des ambitions multiples et généreuses, notamment sur l’importance des mathématiques dans la scolarité, ce que personne ne conteste, et tente quelques renvois (approximatifs) aux programmes. Elle ne fait finalement pas grand cas de ces derniers, sans doute pour entretenir l’idée d’une continuité de ceux-ci, alors que toute la note dessine des évolutions bien plus lourdes.

Au collège, le guide de pilotage du Plan Mathématiques

Sa partie consacrée au Collège s’ouvre en insistant sur les progrès des meilleurs élèves, et sur l’accroissement des inégalités de réussite en mathématiques entre les élèves, quand la communication du ministère a plutôt commenté les bienfaits des mesures prises dans le 1er degré sur la réduction de ces inégalités… Dessinant ainsi en creux les échecs de la politique Blanquer, elle les instrumentalise avec un objectif pour le collège, posé d’emblée avec le renvoi au tout nouveau Conseil académique des Savoirs fondamentaux – à la seule main des recteurs, corps d’inspection et chefs d’établissement – : « Renforcer le pilotage pédagogique de l’apprentissage des savoirs fondamentaux ». Voilà qui fait écho au Guide du pilotage du Plan mathématiques en collège, qui y fait des chefs d’établissement les contrôleurs tatillons des pratiques pédagogiques. La note en reprend également à son compte la promotion et le développement de Clubs de mathématiques – parés de la vertu de juguler les inégalités filles-garçons, en offrant un espace d’approfondissement et d’ouverture… aux élèves les plus en réussite mathématique au collège, c’est à dire les garçons ! – mais non financés. Elle insiste aussi sur la création et le développement des Laboratoires de mathématiques, sans pour autant cadrer leur fonctionnement : s’agit-il d’y imposer ressources et pratiques, ou au contraire de développer des espaces de travail entre pairs, libérés du pilotage institutionnel, et reconnu comme lieu de travail effectif des collègues (donc intégré au service) ? Le coût de la deuxième possibilité, assumé par quelques très rares académies qui y consacrent quelques moyens, et le modèle, assez proche des constellations du 1er degré tout comme l’orientation générale de la note de service, laissent craindre un cadre rigide et prescriptif, à l’opposé de ce que porte le SNES-FSU.

La Sixième dans le viseur

On retrouve dans la note l’annonce principale du ministre le 12 janvier : la mise en place d’une heure pour tous les élèves en français et en mathématiques, sur la base de groupes de besoin, que ce soit sous la forme de soutien, ou d’approfondissement. La séparation ainsi créée paraît assez peu opératoire, surtout pour ce qui est de lutter contre les inégalités de réussite … en mettant en place les conditions de leur aggravation. Elle se double d’un processus de création et de modulation de groupes de besoin qui tient de l’usine à gaz : ils sont à reconfigurer au moins 3 fois par an en fin de trimestre, sur la base des résultats des élèves à d’évaluation d’entrée en Sixième, puis sur les progrès réalisés sur un programme limité de notion à travailler, alternant les sujets abordés. La possibilité de panacher les classes, tout comme le soutien en français et en mathématiques, complexifie les choses : on a connu des organisations plus souples et simples à mettre en œuvre, notamment en restant dans le cadre de la classe !
Cette gymnastique qui attend les équipes est rendue nécessaire par l’insuffisance de financement du dispositif, par ailleurs particulièrement problématique puisque pris sur l’enseignement de Technologie qui serait supprimé en Sixième ! La « dynamique nouvelle » n’est donc pas à rechercher du côté de l’investissement public dans notre discipline, mais plutôt du côté d’un raidissement sur la maîtrise de quelques « fondamentaux » techniques, au détriment de formes plus ouvertes de mathématiques, et notamment de la résolution de problèmes.
Enfin, « la participation des professeurs des écoles [à ce soutien doit] être encouragée » et s’inscrit quant à elle dans un mouvement plus large et plus problématique d’instauration de liens organiques et institutionnalisés Ecole-Collège dans divers Conseils, dont un propre aux mathématiques, et pouvant à terme prendre la forme d’échanges de services avec nos collègues Professeurs des Ecoles (cf l’expérimentation menée à Amiens depuis septembre). Ces pistes étaient déjà évoquées notamment dans le Guide du pilotage du Plan mathématiques en collège.

Fin Troisième, une certification nouvelle de plus …

Comme si l’existant ne suffisait pas, est instaurée « afin d’attester du niveau des élèves en fin de collège, une certification nationale de compétences en mathématiques (CNCM), à l’instar du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) ». Cette certification supplémentaire, déjà annoncée fin novembre par le ministre, trouve dans la note de service une première concrétisation, même si son format doit encore être précisé ce printemps.
Rappelons au passage que le ministère prévoit déjà des tests de positionnement à l’entrée de Sixième et de Seconde, et compte par ailleurs en instaurer en fin de Quatrième ; qu’il prévoit aussi des outils de positionnement des élèves en Troisième et en Seconde… A ce rythme, on s’approche d’une évaluation externe en mathématiques des élèves pratiquement tous les ans pendant les 4 années qui séparent l’entrée de la fin du collège …
Enfin – et ce n’est pas rien -, l’arrivée de cette certification, posera à coup sûr à court terme la question de l’avenir du DNB, ou tout du moins de son épreuve de mathématiques.

… et son prolongement au lycée

La même logique évaluative se retrouve à l’entrée au lycée, où « Les tests de positionnement passés par les élèves entrant en seconde générale et technologique permettent d’identifier les acquis de chaque élève d’une part, et d’offrir un enseignement personnalisé », non prévu par les grilles horaires. « En LP comme en lycée général et technologique, les chefs d’établissements et les équipes pédagogiques sont invités à s’appuyer sur les résultats de ces tests de positionnement pour, dès le début de l’année de 2nde ou de première année de CAP, instaurer des dispositifs de remédiation » … non financés !

Au lycée, relégitimer et stabiliser la réforme, entretenir ses mythes

La note de service acte « un enseignement de tronc commun […] désormais instauré pour tous les élèves de première générale n’ayant pas pris la spécialité mathématiques » : merveilleuse formule que celle de l’enseignement « de tronc commun » … pour la moitié seulement des élèves ! Elle propage également un mythe : « L’enseignement spécifique de mathématiques proposé, en classe de première, dans le tronc commun de la voie générale permet aux élèves n’ayant pas choisi la spécialité mathématiques en première de suivre l’option mathématiques complémentaires en terminale ». C’est à la fois réglementairement faux (les élèves peuvent suivre cette option sans avoir fait de mathématiques en Première), et pédagogiquement improbable, personne ne semblant croire que suivre l’enseignement spécifique de Première soit de nature à garantir la réussite en Mathématiques complémentaires… Mais la note de service n’aborde évidemment pas ce sujet, se contentant de tenter de graver dans le marbre le caractère définitif du règlement (bancal et probablement inopérant) des nombreux problèmes posés par le Lycée Blanquer.

Politique de quota

Il en est de même sur la question des inégalités filles-garçons au lycée, où elle institue les recommandations du rapport Mathiot du printemps 2022, qui suggérait une logique de quota, considérant que le problème des choix de filles quant aux mathématiques pouvait être résolu par une politique du chiffre, « à portée de main », de l’ordre de quelques unités dans chaque classe (2 ou 3 au grand maximum) : la note de service indique ainsi qu’ « une attention particulière est portée par les chefs d’établissement et équipes pédagogiques aux choix des jeunes filles, afin de les encourager à poursuivre la spécialité mathématiques et à suivre l’option mathématiques expertes ». On est donc très loin de se donner des moyens réels de lutter contre ces inégalités, notamment en interrogeant la structure même du lycée Blanquer, mais on tente de sauver la face …

Déclaration d’intentions généreuse ou faux-nez d’une reprise en main pédagogique ?

« Enseignement méthodique et progressif, dispositifs de remédiation dans les classes charnière, élévation du niveau général, réduction des inégalités et renforcement de l’attractivité de la discipline, capacité collective à certifier le niveau de nos élèves : tels sont les priorités pédagogiques pour l’enseignement des mathématiques » : au-delà de cet inventaire à la Prévert repris de la note de service – qui fait quand même douter de la possibilité de mettre en œuvre sans pratiquement aucun moyen autant de priorités en même temps pour notre discipline – se dessine une critique forte de ce qui se fait actuellement (enseignement « non méthodique et non progressif »), traduisant une nouvelle fois le manque de confiance de l’institution envers ses professeurs, et a contrario, la promesse d’une doxa pédagogique à venir qui doit trouver à s’appliquer sans discussion possible.

Si la conclusion de la note s’ouvre sur une formulation aimable et flatteuse – un tantinet démagogique aussi – (« [Le] succès repose sur l’investissement remarquable des professeurs des écoles et des professeurs de mathématiques au collège et au lycée, qui a déjà commencé à porter ses fruits »), elle est d’une part factuellement fragile compte tenu du manque de recul sur la pérennité des progrès observés sur une seule année lors des évaluations de CP et d’entrée en Sixième et, d’autre part, surtout destinée à justifier que, au terme de 5 ans de ministère Blanquer, on poursuive sa politique, en l’amplifiant avec assiduité comme le fait l’actuel ministre. En perspective, une évolution majeure, dont le sens est clair : « toutes les organisations doivent se doter des outils qui leur permettront d’accompagner les équipes et de suivre les progrès de tous élèves ». La note de service est sans ambiguïté lorsqu’elle pose qu’ « Il nous appartient désormais de faire des mathématiques une priorité dans toutes les enceintes de pilotage pédagogiques : dans le projet d’école ou d’établissement, en conseil d’inspecteurs pour le premier ou le second degré, sous la responsabilité des directeurs académiques des services de l’éducation nationale et du recteur » : les professeurs de mathématiques seront surveillés de près.

Contrôle et transformation des pratiques

La note de service vise clairement la transformation profonde des pratiques enseignantes – sans jamais le dire –, en mathématiques pour commencer, en instituant tous les outils pour les mener par la contrainte extérieure. Il s’agit au final d’encadrer et de réguler les pratiques pédagogiques par un contrôle accru des « performances » des équipes et des professeurs, mesurées par une impressionnante batterie d’évaluations externes et de leur imposer une pression inédite.

Cette pression permanente de l’évaluation est bien éloignée de l’effet, certes normatif, mais bien moindre, d’un examen unique en fin collège ou de lycée, au terme de cycles de trois ou quatre ans. Pour le SNES-FSU, la dérive vers l’imposition de normes de réussite et donc de pratiques pédagogiques standardisées, vers le formatage par l’évaluation (“teach-to-test”) et vers les biais systématiquement relevés dans les pays qui ont tenté de s’engager sur cette voie, est un danger réel pour nos métiers, et la conception que nous en avons.


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