En effet, cette liberté peut être prônée par les tenants d’ une vision libérale du métier qui rejettent l’idée d’un contrôle de l’État. Mais cela revient à nier son rôle dans la défense de l’intérêt général et aussi à prendre le risque d’un contrôle par des groupes de pression défendant des intérêts particuliers.
Mais loin d’être un privilège corporatiste dénoncé par ailleurs, la liberté pédagogique est pourtant une responsabilité tout autant qu’une nécessité. Nécessité démocratique, inscrite dans le projet de Condorcet dès la Révolution Française, d’une indépendance du savoir et de sa transmission par rapport à l’autorité politique2. Nécessité de l’ordre de l’efficacité dans la mesure où l’enseignement ne peut être une application à la lettre de prescriptions, ignorantes des contingences et imprévus des situations d’apprentissage. L’enseignant est nécessairement concepteur de son travail, faisant en permanence des choix face à des situations qui n’ont pu être toutes modélisées. Nécessité pragmatique enfin, l’enseignant étant seul dans sa classe, l’institution doit faire confiance à ses agents dans l’exercice de leurs missions.3
La liberté pédagogique, dans le quotidien du métier, s’exerce de manière individuelle, mais elle a aussi une dimension collective car les conditions d’exercice du métier relèvent aussi des choix qui ont été faits localement, par les équipes : choix du manuel, choix des sujets d’examen blancs ou d’épreuves communes, choix parfois de progression, etc. L’articulation des deux est l’objet de transactions jamais définitivement tranchées et qui doivent pouvoir être rediscutées. C’est un enjeu démocratique important à l’échelle d’un établissement.
Une liberté pédagogique remise en cause
Les réformes de ces dernières années apparaissent bien souvent comme une tentative de contrôle renforcé sur l’activité pédagogique, sous couvert de favoriser « les bonnes pratiques ». Les témoignages abondent de ces réunions de « formation », où à l’occasion de présentation de nouveaux programmes ou de nouveaux dispositifs, les enseignants se sont vus sommer d’adhérer à l’évaluation par compétences, aux îlots bonifiés, aux tâches complexes, etc. Les IPR (faute de temps?) court-circuitant toute discussion et débat ouvert sur l’efficacité de telle ou telle méthode, ont souvent tenté d’imposer ces « innovations » confondant de façon malheureuse volonté politique de lutte contre l’échec scolaire et autoritarisme d’État.
Pourtant, lorsque les objectifs sont flous ou inaccessibles, les enseignants sont renvoyés à la responsabilité de gérer les contradictions des prescriptions : Ils sont invités à user de leur liberté pédagogique, mais qui sonne alors comme un “débrouillez -vous”!
L’autonomie de l’établissement favorise-t-elle ou contrarie-t-elle la liberté pédagogique ?
Les collèges et les lycées disposent depuis 1985 d’une autonomie pédagogique qui porte notamment sur l’emploi de la dotation en heures d’enseignement et d’accompagnement personnalisé, les modalités de répartition des élèves (classes, groupes), le projet d’établissement, les expérimentations, les voyages scolaires…
Ce cadre juridique donne aux équipes la possibilité d’exprimer via leurs représentants en conseil d’administration leur volonté pour ce qui relève de ces domaines.
La réforme du lycée (Chatel) a élargi ce champ de l’autonomie, en laissant aux établissements le choix de l’emploi des « heures de marge », comme les 10h par division en 2de, l’organisation des enseignements d’exploration, de l’accompagnement personnalisé… La réforme du collège a repris ces dispositions auxquelles s’ajoute le conseil de cycle devant définir les progressions.
Dans les deux cas les conséquences sur les pratiques de classe sont très importantes.
Ce développement de l’autonomie sous couvert de vouloir libérer les initiatives ont a mis en place un système basé sur la concurrence entre les établissements et entre les individus, chaque établissement étant renvoyé à la responsabilité de traiter seul ses difficultés. Les chefs ont des pouvoirs renforcés et les équipes pédagogiques sont mises sous tutelle des conseils pédagogiques, de cycle, école collège. Le vrai travail d’élaboration des choix collectifs pertinents est de plus en plus difficile.
Comment contrer ces offensives de déréglementation et agir pour que puissent s’exercer la démocratie et la liberté pédagogique à tous les niveaux ?
Le SNES-FSU a toujours agi pour que les décisions d’ordre pédagogique prises dans l’établissement relèvent des enseignants. C’est son intervention dans les débats parlementaires qui avait permis la rédaction dans la loi Jospin de 1989 de l’article « le projet d’établissement est voté par le CA sur proposition des équipes pédagogiques ». En effet, l’autonomie pédagogique des établissements et donc certaines prérogatives du CA, ne doivent pas venir en contradiction avec la liberté pédagogique des enseignants.
Le SNES s’est opposé dès 2005 au conseil pédagogique créé par la loi Fillon. Conçu comme une instance de contrôle à la main du chef d’établissement, ce conseil ne répond pas au besoin pour les équipes d’avoir le temps et les moyens d’une réflexion entre pairs.
Il revendique que les conseils d’enseignement soient revitalisés et puissent se réunir pour délibérer hors de toute pression hiérarchique.
Il est à l’initiative de réunions et d’heures d’information syndicale permettant de construire des positionnements collectifs autour des élus en CA sur la DHG, les voyages, le règlement intérieur …
Cela ne dédouane pas l’administration de ses responsabilités : donner aux équipes éducatives les moyens d’un fonctionnement réellement démocratique afin que les arbitrages sur les questions pédagogiques transversales ne soient pas laissés au chef d’établissement ou à une pseudo instance de concertation.
1 Code de l’éducation L912-I-I
2 Condorcet, Projet de décret sur l’organisation générale de l’enseignement public, 1793
3Paul Devin, Dialectique de la liberté pédagogique et de l’intérêt général, in Carnets Rouges, juin 2016