(intro réactualisée mi-avril) Après la parution officielle du programme de première pour la spécialité HLP (“Humanités, littérature et philosophie”), le suspens a enfin été levé sur la nature (et la durée… réduite à 2h !) des épreuves (bas de la page 1) qui attendent les élèves dès la première session du nouveau baccalauréat, prévue pour avril/mai 2020 (évaluant la spécialité qui sera abandonnée à l’issue de la classe de première). Ainsi, le texte proposé à l’examen sera suivi d’une question d’interprétation et d’une question de réflexion (sujets 0 , voir également le point 6 des recommandations de l’igen ). On imagine cependant l’embarras des élèves de seconde de la voie générale, actuellement sollicités sur le choix des spécialités qu’ils auront à confirmer à l’issue du conseil de classe du 3e trimestre, alors que ni les enseignants, ni les familles ne connaissent pour l’heure, les attendus de parcoursup 2021.
Mais sur le fond, la question est de savoir si HLP ouvre une authentique opportunité d’initier à la philosophie dès la classe de première, ou s’il faut plutôt y voir un leurre, annonçant une dégradation programmée de l’enseignement de la philosophie dans le lycée français.
Un programme à double entrée (lettres/philo), orienté “culture générale” (4 thèmes flanqués d’une ambitieuse bibliographie) et à ancrage historique
– Chacun sera rassuré par la formulation de la page 2, précisant que cet enseignement “doit être assuré à parts égales” (philo/lettres) “sur chaque année du cycle” (et non sur la globalité des 4 semestres). On veillera donc à ce que cela se traduise bien sur le terrain, par 2 heures de philosophie en première et 3h en terminale (cf. recommandations igen point 1 ). On regrette cependant que le temps de “concertation” permettant la “coopération effective” entre les enseignants, ne soit pas pris en compte. Dans le lycée Blanquer, le nécessaire dialogue entre les disciplines continuera donc à se faire sur la base… du bénévolat.
– Le SNES, conformément à son mandat (pour une initiation à la philosophie en classe de première L) n’a pas été suivi dans ses demandes d’un renforcement de la composante philosophique du programme (en remplaçant les thèmes par des notions). Par contre, la dimension historique d’HLP a été assouplie, comme en témoigne les formulations un peu alambiquées du haut de la page 2 (“Cet ancrage historique ne doit pas exclure d’autres approches. On travaillera à approfondir les problématiques développées au cours de la période de référence en les comparant à des problématiques plus anciennes ou plus récentes“). Sur ces différents aspects, voir néanmoins les points 2, 4-a et 4-b des recommandations de l’igen
– La réécriture partielle du programme (entre la version initiale du CSP et la version définitive), atténue certaines ambiguïtés (en rebaptisant en particulier le thème 4 qui devient “l’humanité en question” associé à “Histoire et violence” en lieu et place de l’énigmatique “Expériences contemporaines” associé à “individu et communication”…). On se demande néanmoins comment préparer sérieusement à l’oral des groupes censés accueillir jusqu’à 35 élèves ! En effet, le texte définitif précise que cette spécialité a vocation, et ce “dès la classe de première”, à développer “des compétences orales” en vue du grand oral terminal (p.1). On reste enfin perplexe devant certains “assemblages” de la colonne de droite (p.2), chacun des 4 thèmes étant systématiquement associé à 3 “entrées” distinctes. Ainsi, concernant le premier thème (“les pouvoirs de la parole”), comment dissocier clairement “art”, “autorité” ou “séduction” de la parole devant de tous jeunes élèves de première ? De quoi les faire fuir, dès le premier semestre…
– Enfin, la “bibliographie indicative” (p.6) risque d’étourdir de nombreux candidats par son abondante diversité, tout en encourageant un bachotage inévitable (avec la complicité des manuels scolaires qui ne manqueront pas de proposer des anthologies thématiques fidèles à un programme, dont la maîtrise sera inévitablement valorisée dans les nouvelles épreuves du baccalauréat).
Une implantation dans les lycées et des ressources humaines qui questionnent… jusqu’au futur enseignement de tronc commun !
Le SNES sera attentif à l’implantation de la spécialité HLP dans les lycées, notamment là où était proposée la série L. Mais nous savons d’ores et déjà que cet “héritage” littéraire “n’est précédé d’aucun testament” obligeant à l’ouverture d’HLP à la rentrée 2019. Les premières remontées de terrain laissent entendre cependant que la fermeture pure et simple de la voie littéraire ne sera pas la règle, du moins dans un premier temps. La rentrée 2019 sera donc un premier test grandeur nature, sachant que la mise en place d’HLP viendra en plus du maintien des anciennes séries, obligeant – comme le prévoient opportunément les textes – à recourir aux heures supplémentaires ainsi qu’à la cynique variable d’ajustement des non-titulaires, le temps que la réforme s’installe sur la totalité du cycle…
– D’autre part, le groupe philo a souvent avancé l’argument de ressources humaines notoirement insuffisantes pour assurer la survie d’HLP en terminale. La répartition actuelle entre les séries générales est grosso modo de 1 TL pour 2 TES et 3 TS (2.8 plus précisément)*. La fin des séries et le passage aux 4 heures hebdomadaires de philosophie dans le tronc commun de terminale à la rentrée 2020, absorbera donc l’essentiel des heures de philosophie économisées sur la TL. Certes, une petite marge pourra bien être dégagée afin d’alimenter – autrement qu’en HSA (heure supplémentaire année) – la spécialité HLP en première, mais elle sera en proportion de la montée en charge des effectifs élèves dans les classes de tronc commun. Dit autrement, nous estimons qu’en dessous de 31 élèves par classe de tronc commun (soit la moyenne nationale actuelle en TS), il ne sera pas possible de pérenniser la parité entre ouverture de la spécialité HLP en première et fermeture d’une TL. Quant à l’avenir d’HLP en terminale, sa survie dépendra – comme beaucoup d’autres spécialités… – de notre capacité à accepter des effectifs de tronc commun à 35 (en sus d’effectifs d’HLP chargés en première) et au pris d’un siphonnage généralisé des rares heures dédiées aux dédoublements et à l’AP…
Voilà pourquoi nous sommes fondés à craindre qu’HLP ne soit qu’exceptionnellement l’occasion d’heureux prolégomènes à la philosophie. Mais pour le plus grand nombre hélas, la réforme Blanquer se traduira par une très hypocrite “promotion” de l’enseignement de la philosophie, venant aggraver une situation volontairement dégradée dans les séries technologiques . Sans parler du changement qualitatif du climat général dans les lycées, induit par le contrôle continu perpétuel (dont HLP en première, pour ceux qui ne la conservent pas en Tle) et par le tri sélectif universel… bien loin des humanités et du précieux loisir de philosopher !
Pour nous aider à mettre en place une cellule de veille, n’hésitez pas à contacter le groupe philo : (en nous indiquant dans quelles conditions se met – ou ne se met pas – en place HLP dans votre lycée : en HP ? en HSA ? en siphonnant d’autres horaires ? dans quel contexte relativement à l’implantation de la série L ?)
– ce qu’en pense le groupe lettres du snes
– les recommandations de l’IGEN . Le programme d’HLP (BO du 22/01) est néanmoins inséparable de ces recommandations de février. Si l’inspection avait été tenue à l’écart de la rédaction initiale du programme (et de son orientation “culture gé”), elle semble bien – avec ce texte – reprendre la main. D’où une insistance sur la dimension “disciplinaire authentique” (point 2), “problématique et conceptuelle” (4-a) de cet enseignement… à l’exact opposé d’un “enseignement d’histoire de la culture” et des idée ! Devant ces prescriptions “hybrides”, souhaitons que les collègues et leurs jeunes élèves s’y retrouvent…
* Les effectifs élèves étaient de 47969 élèves en TL, 102062 en TES et 155962 en TS dans le public, selon les données du ministère pour l’année 2017-2018 (RERS 2018 chapitre 4.9). Si l’on convertit ces effectifs élèves en nombre de classes, on observe un ratio de 1 TL (à 27 élèves en moyenne selon le MEN), pour 2 TES (à 30) et 2.8 TS (à 31).