Pour contourner les critiques légitimées par les études et cautionner ces groupes de niveaux, le ministre leur accole l’adjectif « flexibles » et brandit une étude de Vincent Dupriez, datant de 2003. Or, c’est clairement un détournement des conclusions des chercheurs mentionnés dans cette étude !
En effet, il y est écrit que le groupe classe hétérogène est à privilégier mais que « cela n’empêche pas d’organiser de manière épisodique des groupes homogènes selon des besoins spécifiques dans une matière ». Les chercheurs qui évoquent la possibilité d’effets positifs pour ce type de groupes insistent tous sur le fait qu’ils doivent être provisoires et centrés sur un besoin spécifique. Certains précisent que, pour contrer l’effet négatif lié à la séparation par niveau, les déplacements entre les groupes doivent être fréquents : « par exemple, des groupes de niveaux différents doivent parfois travailler ensemble afin de permettre à un groupe d’élèves forts de coopérer avec un groupe d’élèves faibles ».
L’organisation choisie par G. Attal pour sa réforme du collège n’a rien d’épisodique, de temporaire, de ciblé : les groupes sont bel et bien des groupes de niveaux et non de besoins, seront constitués dès le début de l’année et modifiables à la marge au mieux deux fois dans l’année : ils formeront donc un instrument de tri scolaire et social.
L’enseignant-chercheur en sciences de l’éducation Sylvain Connac l’a tout d’abord récemment rappelé : « Du point de vue de l’intérêt collectif, les classes de niveau sont une véritable catastrophe. » Il évoque notamment l’altération de la confiance en soi que provoquent les classes de niveau parmi les élèves les plus fragiles. Ainsi, il ne fait selon lui aucun doute qu’un tel dispositif ne ferait qu’augmenter les inégalités.
D’après une note de synthèse de 2004 de la Revue française de pédagogie, les groupes les plus faibles sont, davantage que les autres, entraînés à des tâches répétitives et peu soumis à des exercices d’analyse et de réflexion. C’est exactement le projet de pédagogie proposé cette année par le ministère dans les groupes de soutien en Sixième (fluence, dictée, calcul mental). Par ailleurs, des données ethnographiques suggèrent que les professeur.es les plus expérimenté.es et considéré.es comme les plus qualifié.es sont affecté.es aux groupes les plus performants.
Dans les études, les effets des groupes de niveau sur les acquisitions des élèves semblent s’expliquer par le fait qu’ils amènent les enseignant.es à moduler la quantité, le rythme ou encore la qualité des activités d’instruction, au détriment des élèves placé.es dans les groupes faibles. Cela a pour conséquence un accroissement des différences initiales entre élèves. Les professeur.es offrent ainsi inconsciemment aux meilleur.es élèves les plus grandes chances de s’améliorer.
Pour Duru-Bellat et Mingat (1997), l’appartenance à tel ou tel groupe retentit sur le processus de construction de l’identité sociale de l’élève et a des répercussions dans le travail d’apprentissage. Sachant combien la représentation que l’on a de soi-même est déterminante dans les processus d’apprentissage, on peut clairement comprendre que la manifestation d’attentes élevées contribue à leur réalisation tandis que la manifestation d’attentes modestes ne représente pas un atout pour le travail des élèves.
En 1997, Boaler a mené un travail pour montrer que les classes de niveau ne sont même pas forcément bénéfiques pour les meilleur.es élèves du fait d’une pression permanente qui s’exerce au détriment de la compréhension source de tension, d’anxiété et d’esprit de compétition mal vécu par beaucoup d’élèves, en particulier les filles.
On mesure là toute l’ironie d’un rapport qui préconise de refondre le socle commun dont un des piliers serait les compétences psycho-sociales. A l’heure où le ministère glose sur le bien-être à l’École, s’agirait-il au contraire de cultiver la résilience chez des élèves à qui seraient imposées des conditions d’études encore dégradées ? L’objectif ne semble plus être l’enseignement avec un collectif d’élèves mais du coaching d’élèves isolé.es dans leur parcours, à qui on devrait faire croire que leur bien-être ne dépend que de leurs propres compétences psycho-sociales.
En 1997, toujours d’après Duru-Bellat et Mingat « Tout élève a, au regard de ces résultats de recherche, intérêt à se retrouver dans une classe de niveau élevé afin de maximiser ses possibilités d’apprentissage. ». Cet effet est sensiblement plus fort pour les élèves dont le niveau individuel est inférieur à celui de leur classe. « La constitution de classes hétérogènes est sans doute la meilleure façon d’élever le niveau moyen de l’ensemble des élèves, au bénéfice des plus faibles et sans pénalisation notable des plus brillants. »