“Le Grand oral est une réforme de société” ! Voilà comment Cyril Delhay, l’inspirateur de l’épreuve du grand oral en présente l’enjeu. Il conclut sa tribune ainsi : “L’instauration du grand oral du baccalauréat est une grande réforme de l’éducation. Une réforme de société longtemps jugée impensable comme le furent celle des congés payés, du droit à l’avortement, de l’abolition de la peine de mort ou du mariage pour tous” (Le Monde 15 février 2015). Rien que ça.
Et la communication ministérielle de dérouler tout l’argumentaire de l’innovation pédagogique sur une épreuve centrée sur l’art oratoire… De fait, dans le rapport Delhay remis en juin dernier au ministre Faire du Grand oral un levier pour l’égalité des chances, on retrouve tous les éléments de l’architecture de l’épreuve de baccalauréat décrite dans les notes de service publiée le 13 février 2020.
Les notes de service:
Epreuve orale dite de “Grand oral” de la classe Terminale de la voie générale
Epreuve orale dite de “Grand oral” de la classe de Terminale de la voie technologique
On notera au passage que ces notes de service sont en contradiction avec les arrêtés du 16 juillet 2018 sur le baccalauréat où il est précisé: “Une épreuve obligatoire orale terminale de vingt minutes (20 minutes) est préparée pendant le cycle terminal. Elle porte sur un projet adossé à un ou deux enseignements de spécialité choisis par le candidat.” (Art. 8 pour la voie générale et 7 pour la voie technologique). Les notes de service ont fait disparaître le projet !
L’épreuve se déroule en 3 temps :
-La présentation d’une question, choisie par le jury à partir d’une liste qui en contient deux; le candidat prépare pendant 20 minutes sa réponse, prépare éventuellement un support, puis répond, debout, sans notes pendant 5 minutes;
-Un échange avec le jury de 10 mn pendant lequel le candidat peut choisir de s’asseoir; il s’agit que le candidat puisse préciser sa pensée et répondre à des questions portant sur l’ensemble du programme du cycle terminal des deux spécialités choisies.
-La présentation du “projet d’orientation” pendant 5 minutes.
Que doit sanctionner une épreuve de bac?
Tout ce petit monde nourri aux concours d’éloquence et à la rhétorique version grandes écoles de commerce et de Sciences politiques semble avoir perdu de vue le sens de l’examen du baccalauréat tel qu’il s’inscrit dans le cursus des élèves.
Pour les concepteurs du Grand oral, il semble plus important d’évaluer ce qui n’est pas de l’ordre des apprentissages: le candidat doit d’abord apprendre à faire bonne impression! Finalement , peu importe ce que le candidat aura étudié lors des cours de spécialités, l’important sera dans la manière.
Exit la question de l’articulation entre les apprentissages et l’évaluation des acquis… Exit la question de la préparation des élèves et des conditions d’enseignement…
Exit la question de la cohérence entre des programmes et l’évaluation, notamment en technologie, quand le projet disparaît de l’évaluation…
Un projet d’orientation, pour quoi faire?
Dans la partie “projet d’orientation”, on retrouve tout ce qui pourrait constituer les éléments d’un entretien de motivation ou d’embauche. Le candidat doit inscrire ses choix de « parcours » dans une réflexion qui vise à justifier le projet de poursuite d’études, voire le projet professionnel. Or, l’expérience des Psy-EN, les recherches en psychologie et en sociologie, montrent que les ressorts de la mobilisation dans les études tiennent davantage à l’intérêt pour les savoirs enseignés et à des rencontres, qu’à un plan de carrière rationnellement échafaudé. S’agit-il de juger la crédibilité d’un projet et la capacité à réussir à l’aune de comportements dont l’essentiel est le produit du milieu social ? Compte tenu des conditions d’enseignements, on ne voit pas comment ce système d’évaluation ne viendrait pas renforcer les logiques de discrimination sociales et genrées. En revanche, on voit bien comment cela assujettit l’élève aux lois d’un marché où l’offre de formation est étroitement liée à la satisfaction immédiate des besoins économiques.