Y a-t-il eu un impact de la réforme du collège sur les effectifs de latinistes et d’hellénistes en lycée ?
En latin
L’observation des chiffres depuis la rentrée 2013 montre une légère diminution des effectifs de latinistes, année après année. A la rentrée 2017 l’enseignement public avait un effectif de 3,3 % de latinistes. C’est le pourcentage le plus bas ; 2013 et 2014 ont connu des effectifs de latinistes qui représentaient 3,7 %. C’est le pourcentage le plus bas également dans l’enseignement privé 8,5 % des élèves étudient alors le latin contre 8,8 % en 2013 et 2014.
Sur les trois dernières années, 2017, 2016 et 2015, on ne constate pas de décrochage massif dans la poursuite de la scolarité des latinistes entre le collège et le lycée, dans le public. Autour de 14 % des élèves inscrits en latin en 5ème en poursuivent encore l’étude en classe de 2nde. Autour de 19 % des latinistes de 3ème poursuivent en 2nde, malgré un creux important à la rentrée 2016 où ce taux est tombé à 15,6 %. Entre 10 et 11,7 % (pour la rentrée 2017) des latinistes inscrits en 5ème avaient poursuivi jusqu’à la terminale. Il conviendra donc de surveiller attentivement les effectifs de la rentrée 2018. La baisse entamée depuis 2015 se poursuivra-t-elle, au carrefour des conséquences de la réforme du collège et de l’attente du vrai visage de la réforme du lycée ? Les proportions d’élèves conservant le latin de la 3ème à la 2nde seront-elles stables ?
En grec
Pour ce qui est du grec, les effectifs sont très stables et représentent, régulièrement, 1 % des élèves du public et 1,6 % des élèves du privé.
La spécialité
La spécialité concerne un public très rare. Réservée aux élèves de L, elle représente habituellement 0,8 % des élèves du public (latin et grec confondus) avec un creux à 0,6 % à la rentrée 2017. Dans le privé, la situation est très variable d’une année à l’autre, de 1 % au minimum à la rentrée 2014, jusqu’à 3,8 % à la rentrée 2016. Cette spécialité est quasi confidentielle et la part des filles y est régulièrement de 80 % ce qui est logique du fait du public de la série L.
Qu’attendre de la réforme du lycée ?
Une option facultative
Le BO du 17 juillet 2018 annonce une option facultative à hauteur de 3h hebdomadaires, de la seconde à la terminale. Les grilles horaires officielles indiquent que les options facultatives, latin ou grec, peuvent être prises en plus d’une autre option facultative. Par exemple : un élève de seconde pourrait prendre une lv3, le grec et une option technologique. Cela semble favorable mais sur le terrain nous connaissons la complexité de la réalisation des emplois du temps et il y a peu de chances que ces dispositions se traduisent concrètement, surtout avec un horaire complet. C’est déjà le cas aujourd’hui. S’ajoute à cela un système d’heures de marge similaire à celui des collèges : accompagnement personnalisé, groupes à effectifs réduits, options, devront être financés sur la marge et rien ne garantit que les options pourront ainsi perdurer partout. Par ailleurs, la réforme du lycée a laissé passer l’occasion d’offrir à tous les élèves la possibilité de poursuivre l’étude d’une langue ancienne puisque les élèves des séries technologiques en sont toujours privés.
Jusqu’aux dernières déclarations médiatiques du Ministre pour répondre aux quelques articles de presse qui tiraient la sonnette d’alarme, cette option ne devait être prise en compte pour le bac que dans une moyenne globale de toutes les notes de 1ère et de terminale (le fameux contrôle continu), moyenne globale comptant pour 10% du total du bac. Cette situation était celle de toutes les options facultatives. Le Ministre a annoncé par voie de presse qu’ en latin et en grec, les points au-dessus de la moyenne générale de 1ère et de terminale, seraient multiplié par trois et ajoutés au total. Mais quel total ? Les 10 % ? Le total final ? Il ne le dit pas et personne ne sait très bien comment se fera le calcul. Aucun texte officiel ne vient confirmer ces déclarations. En tout état de cause la situation sera moins favorable que le coefficient 3 de l’oral actuel. De nouveaux programmes doivent voir le jour et on peut consulter ici le projet de programme de seconde.
Une spécialité
Une spécialité Littérature, langues et cultures de l’antiquité, qui existera en latin et en grec, sera dispensée pour 4h en 1ère et pour 6h en terminale. Elle sera choisie en parallèle avec deux autres spécialités en 1ère et avec une autre seulement en classe de terminale. Le coefficient au bac de cette spécialité sera de 16. La note du CSP préalable à l’élaboration des programmes indiquait que cette spécialité serait destinée aux élèves ayant étudié le latin ou le grec en option facultative depuis le collège. Cela nous semble une erreur de réduire ainsi les possibilités d’accueil des élèves. Cette spécialité ne pourrait pas se combiner, toujours d’après le CSP, avec l’option facultative (ce qu’a contredit le Ministre ces derniers jours par voie de presse). Selon la même source, qui est la seule que nous ayons à notre disposition, elle serait assurée par des professeurs de Lettres Classiques. L’Inspection Générale, lors de notre audience de mois de juin, nous avait parlé d’une spécialité uniquement consacrée à de l’enseignement des langues anciennes. Cela nous semblait un pari pour le moins risqué : quels élèves pourraient vouloir suivre un enseignement de 4h puis 6h de latin ou de grec ? Il semblerait qu’une dimension interdisciplinaire, en lien avec la littérature au sens large, soit prévue. Nous n’avons aucune certitude pour l’instant. On ne sait rien sur les programmes.
Cette spécialité pose des problèmes à plusieurs niveaux : d’abord elle fait partie des spécialités qualifiées de “rares” dans le BO ; cela signifie qu’elle ne sera pas ouverte dans tous les établissements mais, comme le texte le dit, fera l’objet d’une carte académique (au mieux). Dans la presse, le Ministre évoque la possibilité de cours à distance via la « maison numérique des Humanités » qui va voir le jour et précise que la situation se clarifiera en janvier. Il est donc difficile pour les enseignant·es de conseiller à des élèves le choix de cette spécialité puisque personne ne sait dans quel établissement elle sera dispensée. Actuellement, la spécialité langues anciennes se concentre sur la série L et n’attire que 0,8% des élèves de terminale, latin et grec confondus. Le nouveau bac verra-t-il augmenter le recrutement ? Il est permis d’en douter si les élèves ne peuvent pas la suivre dans leur établissement d’origine, voire doivent se contenter de cours à distance.
Conclusion
Selon nous, la réforme du lycée ne sauvera pas l’enseignement des LCA au lycée. L’option facultative existera-t-elle dans un aussi grand nombre de lycées qu’aujourd’hui si elle doit être financée -pour une si petite proportion d’élèves- au détriment d’autres enseignements qui en concerneront davantage ? Là où elle existera, il y a fort à craindre que les élèves se détournent d’une option qui ne « rapportera » plus les points que permettait d’obtenir l’oral du baccalauréat, même si ceux-ci ne jouaient finalement qu’à la marge dans l’obtention du bac ou d’une mention. Autre inquiétude, l’absence de toute évaluation finale autre que le pur contrôle continu risque de conduire vers un enseignement vidé de toute exigence puisqu’il n’y aura plus un niveau minimum à atteindre. Ce type d’enseignement pourrait, à terme, être dispensé par n’importe qui, ou par les professeurs titulaires de la mention complémentaire qui vient, fort à propos, d’être mise en place.
Quant à la spécialité, il faut attendre de savoir dans combien de lycées elle sera proposée pour pouvoir faire des projections. D’ores et déjà, les chiffres relevés plus haut concernant la proportion de latinistes et d’hellénistes en lycée ne nous laissent guère espérer. Si autour de 4 % des élèves de seconde étudient le latin, combien parmi eux se détermineront pour une spécialité ? La situation paraît plus critique encore avec le grec et son taux de 1 % des élèves de seconde.