L’enquête menée auprès des professeur.e.s de Lettres classiques par le SNES-FSU entre septembre et octobre 2022 a recueilli près de 500 réponses, émanant de quasiment toutes les académies. En voici le bilan en deux temps : le sentiment d’abandon des professeur·es de Lettres classiques et la situation des LCA dans les établissements (lire ici).
SUR LE FRONT DES POSTES
Selon notre échantillon, 66,75% des établissements n’ont qu’un seul poste de Lettres classiques. 24% en ont deux. Cela contribue à un sentiment d’isolement. Généralement, les professeur·es de Lettres classiques n’exercent que dans un seul établissement et les compléments de service ne sont signalés que par 4% des collègues. Les professeur·es de Lettres classiques enseignent dans la très grande majorité des cas le français et les langues anciennes. Seulement 9,5% des collègues qui ont répondu effectuent la totalité de leur service en LCA. Parmi elles et eux, 9% sont en complément de service.
Trop souvent les postes ferment suite à un départ à la retraite ou bien les options ferment quand bien même les collègues restent en poste. Les remplacements sont inexistants. Les mutations sont impossibles ce qui rend toute perspective d’évolution irréalisable lorsqu’il n’y a plus de LCA dans un établissement, que l’on a été affecté·e loin de chez soi, ou simplement lorsque l’on a envie de muter.
UN ÉCŒUREMENT GÉNÉRALISÉ
Des horaires de cours punitifs
Ce problème intervient en collège comme en lycée : début et fin de demi-journées, pause méridienne, mercredi après-midi ou soir dans les lycées. Ces horaires semblent punitifs aux élèves (de nombreux témoignages soulignent les demandes d’abandon une fois les emplois du temps connus) mais ils le sont également pour les professeur·es qui ont des plages de présence dans l’établissement très importante, avec des emplois du temps morcelés.
Se conjuguent, pour les directions, la volonté d’éviter la présence des non latinistes-hellénistes en étude et celle de les diluer dans différentes classes, ce qui conduit ensuite fatalement à des acrobaties d’emplois du temps. La crainte des classes de niveaux perdure même si, les collègues le soulignent, l’époque où les élèves étudiant les LCA n’étaient que de très bon·nes élèves est révolue, en collège comme en lycée.
« Les LCA sont la dernière roue du carrosse dans la constitution des emplois du temps pour les groupes (sur mes 5h de LCA, deux sont sur l’heure du midi). »
« Les latinistes ont cours sur les heures du soir entre 16h30 et 18h15, 2 ou 3 jours dans la semaine, ils s’épuisent et finissent par abandonner l’option. »
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Concurrence à tous les étages et impact de la réforme du lycée
Un fort sentiment de concurrence entre les disciplines ou les dispositifs optionnels est souligné en collège comme en lycée. Cette concurrence porte d’une part sur l’obtention d’heures dans le cadre désormais généralisé de l’autonomie des établissements et, d’autre part, sur une lutte pour recruter des élèves. Au collège une rivalité malheureuse s’installe de fait avec la LCE (l’enseignement de langues et cultures européennes), les sections sportives, les classes à horaires aménagés.
La réforme du lycée et du bac apparait catastrophique : les combinaisons de spécialités, la concurrence des options (en particulier celles de mathématiques), la spécialité LLCA qui n’est pas ouverte ou avec des conditions d’enseignement insuffisantes (horaires incomplets pour des élèves qui sont souvent des débutant·es de Seconde), la disparition du bonus et, pire encore, la possibilité qu’une option facultative pénalise les élèves, tout cela nuit considérablement à l’enseignement des LCA.
« Difficile de devoir justifier l’intérêt de ces disciplines chaque année et d’être en concurrence avec les groupes de langue et autres… »
« Le latin est en concurrence avec l’option spéléologie, dès la 4è les élèves sont obligés de faire un choix, je perds souvent les meilleurs élèves de chaque groupe latiniste. »
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Un stress permanent
Les professeur·es de Lettres classiques indiquent vivre dans un stress permanent : elles et ils craignent de ne pas obtenir d’heures sur la marge d’autonomie, de ne pas recruter suffisamment d’élèves, et donc de voir les horaires et les groupes diminuer peu à peu. C’est leur poste qui est en jeu. Stress et épuisement sont liés au combat pour préserver à la fois la discipline et le poste, dans l’établissement et au-delà, quand il faut faire le tour des collèges ou des écoles de secteur, sur son temps libre et sans rémunération, sans que le temps investi ne soit forcément récompensé par une augmentation des effectifs. Il y a aussi une forme de dégout devant ce qui s’apparente au sentiment de se vendre sans cesse, à la nécessité d’une séduction permanente.
Même avec des conditions correctes, le problème reste entier. En effet, le statut d’option déclenche un réflexe consumériste, en collège et en lycée. La volonté d’abandon intervient dès lors que le contenu est jugé insuffisamment attractif, qu’une autre option parait plus intéressante, qu’il semble y avoir trop d’exigence et de travail. Sorties et voyages restent des vecteurs de recrutement mais nombreuses et nombreux sont les collègues qui soulignent que l’obtention des financements est de plus en plus complexe.
« Le plus difficile est de maintenir les effectifs et de rendre attractive notre option. Notre poste repose sur des groupes et la perte d’un groupe peut entraîner un complément de service pour certains. C’est stressant. »
« Remise en cause annuelle de l’avenir de la discipline et stress intense pour recruter les futurs élèves.»
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Des contenus d’enseignement inadaptés et une charge de travail méconnue
La perte de sens du métier est également liée aux contenus d’enseignement : le décalage entre les programmes et la réalité de l’enseignement est souligné en collège comme en lycée. De fait, avec des conditions dégradées (diminution des horaires, regroupement des niveaux, élèves qui ne peuvent suivre tous les cours ou arrêtent quand bon leur semble), il est impossible de les mener à bien.
La charge de travail est pointée à maintes reprises. Enseigner les LCA, cela signifie a minima préparer des cours sur 3 niveaux en latin (auxquels peuvent s’ajouter le grec en Troisième, un enseignement de spécialité en lycée, de l’ECLA, des regroupements de niveaux qui compliquent encore la mise en œuvre) et à côté préparer des cours de français, souvent sur deux niveaux. Ceci sans compter les situations dans lesquelles les heures de LCA s’ajoutent en heures supplémentaires aux heures de français !
Cette charge de travail n’est pas reconnue par les autres collègues qui pensent que les heures de LCA sont récréatives et qu’avec ses petits effectifs et ses élèves « choisi·es », le ou la professeur·e de Lettres classiques est tranquille.
« L’écart entre la richesse des programmes et le nombre d’heures attribuées est très difficile à gérer. »
« Mélanger 3 niveaux qui ont des programmes et des aptitudes différents est compliqué pour moi et désagréable pour eux. »
« La charge de travail liée au fait d’avoir 5 niveaux d’enseignement n’est pas toujours reconnue par les collègues. »
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Toute-puissance des chef·fes d’établissement
Les directions d’établissement exercent une forme de toute-puissance : elles ajustent les horaires à leur guise, regroupent les niveaux, obligent à choisir entre ouverture de groupes à horaire réduit ou sélection des élèves, imposent de prendre les heures de LCA en HSA après répartition des heures de français. Tant que la direction est favorable aux LCA, la situation reste vivable ; dans le cas contraire, elle devient très difficile. C’est d’elle également que dépendent la pérennité des groupes et la facilité ou non avec laquelle les élèves abandonnent. En effet, l’abandon des élèves en cours de cursus est un problème très fréquemment souligné et la circulaire de 2018 n’y a rien changé.
« La principale difficulté consiste dans le maintien des effectifs et le maintien des heures qui ne sont pas fléchées dans la DHG et qui restent à l’appréciation du chef d’établissement »
« Certains chefs d’établissement sont anti-LCA et mettent des bâtons dans les roues (emploi du temps pourri, regroupements de plusieurs niveaux etc.) »
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Le sentiment d’une absence de légitimité
Ainsi, tout concourt au sentiment d’une absence de légitimité. Ce dernier est renforcé par les relations, parfois tendues avec les professeur·es de Lettres modernes, titulaires ou non de la certification, et qui peuvent être préféré·es pour effectuer les heures de LCA. Dans certaines académies, les Lettres modernes peuvent postuler sur les postes de Lettres classiques et pas l’inverse, etc. La rédaction des ventilations de service, mentionnant les heures de français comme un complément de service, en de trop nombreux endroits, contribue également à ce sentiment que la spécificité des Lettres classiques n’est pas reconnue, avec le risque de voir un complément de service se déclencher, voire une mesure de carte scolaire.
Par ailleurs, comment peut-on se sentir légitime lorsque les élèves volontaires sont présent·es mais que les moyens ne sont pas débloqués ou lorsque les heures de LCA sont considérées comme des heures devant être effectuées en plus ?
« J’ai l’impression de perdre ma spécificité. D’être un prof de français qui fait un peu de latin. Je ne me sens pas à ma place. Je perds ce que j’aime. »
« Aucune sécurité, aucune considération. Toujours prouver que l’on n’est pas un imposteur et que l’on ne vole personne en réclamant des moyens pour les élèves à la DHG. Toujours devoir se battre, les attaques venant de toutes parts. »
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Des professeur·es isolé·es
Par conséquent, les termes solitude, isolement, reviennent très fréquemment dans les réponses, de même que ceux de fatigue, épuisement et stress. Solitude et isolement sont liés au fait que le ou la professeur·e de Lettres classiques est souvent unique dans son établissement et que même ses collègues de Lettres modernes ne lui tiennent plus forcément lieu d’équipe disciplinaire. L’absence de formation continue en Lettres classiques, souvent évoquée, crée également ce sentiment d’isolement car les rencontres avec les collègues sont très rares. Pour les stagiaires, avec un·e tuteur/trice parfois en dehors de l’établissement, la situation est préoccupante. L’absence de soutien de l’inspection revient fréquemment.
« Supporter la solitude dans l’établissement, et dans la discipline car même les IPR se détournent des LCA et les tiennent pour négligeables. »
« L’isolement au sein des équipes pédagogiques : nous sommes considérées comme des privilégiées. »
Enquête LCA du SNES-FSU, rentrée 2022
Le SNES-FSU est aux côtés de la profession pour porter les revendications, contribuer à une meilleure reconnaissance des Lettres classiques par les directions et les professeur·es des autres disciplines, et pour lutter contre l’image élitiste de cet enseignement.