Des objectifs plus ou moins avouables…
Les objectifs officiels poursuivis par le MEN et les Académies sont de plusieurs ordres.
D’une part, à partir des constats de désaffection des études scientifiques, associés à un fort déséquilibre filles/garçon dans ces filières, ainsi qu’aux résultats aux tests PISA de « littéracie scientifique » très moyens, il est important de « redonner le goût des sciences et de la technologie » au collège, tout en créant davantage de cohérence entre les sciences et la technologie.
Autre argument, la fusion des trois disciplines, avec un seul intervenant devant les élèves, pourrait atténuer la rupture du passage école-collège.
Enfin, des considérations plus pédagogiques sont invoquées : développer une « pédagogie active » sous la forme d’une démarche d’investigation (D.I.) érigée en dogme dans toutes les présentations de l’EIST, favoriser l’interdisciplinarité, inscrire les disciplines concernées dans le Socle commun de 2005…
D’autres buts moins avouables ne peuvent être ignorés, même s’ils ne sont pas explicitement présentés : économies d’effectifs, retours à une plurivalence au collège, plus de souplesse d’organisation dans les petits établissements…
Si certains objectifs ne sont pas, ou peu, critiquables, de nombreux postulats de départ, et les relations de causalités qu’ils sous-entendent, sont loin d’être avérés :
– « désaffection des sciences » : les explications en sont très complexes (B. Convert, 2006) et aucune preuve n’a été apportée qu’elle puise sa source dans l’enseignement des sciences au collège – les études montrent plutôt que les sciences sont appréciées, principalement dans les classes de 6ème & 5ème ;
– « pédagogie active », démarche d’investigation, de projet… : la diversité des pratiques pédagogiques n’est pas dépendante de l’EIST – qui sont d’ailleurs très souvent déjà mises en œuvre par les enseignants dans les classes depuis de nombreuses années. De plus, l’EIST est utilisé comme prétexte pour imposer « LA bonne pratique » de mise en place systématique de la démarche d’investigation, qui en devient caricaturale ;
– interdisciplinarité : la dimension structurante d’une approche disciplinaire ne peut être remplacée par le dogme du « tout interdisciplinaire » – ces approches doivent être complémentaires, portées par une construction cohérente des programmes disciplinaires qui ménage des points de rencontre entre les disciplines. Sa mise en œuvre nécessite aussi des temps de concertation importants qui ne sont jamais pris en compte. Enfin, cette interdisciplinarité imposée est réduite à un « pôle scientifique et technologique », relativement artificiel (voir ci-dessous), ignorant des possibilités de rencontre avec les sciences humaines, les mathématiques, les enseignements artistiques…
– les présentations de l’EIST se sont toujours inscrites dans une logique du « tout compétences, chère au socle commun de 2005 et qui semble revenir par la fenêtre du socle de 2016 – idéologie qui est loin de faire l’unanimité.
Mise en œuvre : d’une expérimentation favorisée à une tentative de généralisation forcée
Le principe fondamental de l’EIST est qu’un seul professeur prend en charge l’ensemble des enseignements de PC, SVT et Technologie. Or, outre l’étendue importante du champ de la connaissance scientifique et technique, nous soutenons que les champs des Sciences et de la Technologie, s’ils partagent nombre de concepts et de connaissances, procèdent cependant d’objectifs et de démarches radicalement différentes et doivent faire l’objet d’enseignements distincts.
Lors de l’expérimentation, l’horaire d’EIST en 6ème réunissait les horaires de SVT (1h30) et de Techno (1h30), augmentés de 0h30 pour justifier l’introduction de la PC à ce niveau. Cet enseignement était réalisé avec des groupes à effectifs réduits (3 groupes / 2classes – groupes qu’il devenait très difficile d’obtenir pour effectuer un enseignement disciplinaire de PC, SVT ou Techno), et une heure de concertation était attribuée à chacun des trois enseignants intervenant sur cet enseignement. En 5ème, l’EIST « utilisait » la fusion des 4h30 hebdomadaires par élève. La mise en place de l’EIST possédait donc un « coût » horaire élevé : il s’élevait à 5h30 pour deux classes de 6ème, avec les concertations, et de 7 h en 5ème…
A partir de 2011, le statut de l’EIST étant passé « d’expérimentation » à « dispositif », les moyens affectés ont été sensiblement réduits, en particulier par la disparition des heures de concertation.
L’implantation dans les établissements expérimentaux s’est théoriquement faite sur la base du volontariat, quelquefois fortement incité par des pressions des corps d’inspection ou des chefs d’établissement. D’autres arguments qui dépassent le strict cadre pédagogique ont stimulé certains collègues à s’y engager, notamment lorsque cela permettait d’éviter un complément de service à effectuer dans un autre établissement, voire évitait une fermeture de poste…
La mise en place de l’EIST a eu d’importantes conséquences sur le programme de Technologie : la « démarche de projet technique », spécifique à cette discipline (« répondre à un besoin » en étudiant les outils et les démarches de conception, de fabrication, de maintenance des objets techniques), associée à des productions individuelles et collectives, a été délaissée au profit d’une démarche d’investigation du « comment un objet fonctionne », transformant de fait la Technologie en une « sous-science physique ».
Il faut aussi noter que les sujets traités lors de l’EIST permettent rarement de couvrir le programme, souvent basés sur des démarches de projets issus d’effets de mode (EDD : éoliennes…, « comment se chauffer sur Mars »…).
Enfin, la mise en œuvre de l’EIST incite fortement au développement de partenariats dont la pertinence et les objectifs ne sont pas nécessairement ceux de l’école républicaine.
Place de l’EIST dans la réforme du collège2016
L’« esprit » EIST a soufflé sur la réforme du collège par l’introduction en 6ème d’un enseignement indifférencié de « Sciences et Technologie » de 4 heures, associé à la rédaction d’un programme commun de PC-SVT-Techno.
En principe, la liberté d’organisation de cet enseignement revenait à la décision des équipes – discours relayé par les inspections générales des disciplines : dans la réalité, des pressions ont été effectuées, dans des académies, par les recteurs, corps d’inspections, chefs d’établissements, pour que cet enseignement soit effectué sous une forme EIST. Au final, autour de 6 % des établissements auraient mis en place un tel enseignement en 6ème.
Evaluations et bilan
Deux évaluations de l’EIST ont été menées, l’une par l’inspection générale en 2009, l’autre par la DEPP en 2011, aucune n’ayant mesuré de façon rigoureuse un bénéfice objectif en terme de formation scientifique des élèves.
D’autres études ont montré [Coquidé et al., 2013] que la collaboration entre enseignants n’est pas toujours très féconde et que la construction de l’interdisciplinarité se rapproche davantage d’une juxtaposition disciplinaire sur la base d’un « plus petit dénominateur commun aux trois disciplines ».
Des équipes d’enseignants ont montré un réel enthousiasme, certes, mais au prix d’une quantité de travail très chronophage. Un signe symptomatique : de nombreuses équipes ont aussi quitté le dispositif, et cette tendance semble s’accentuer avec la réduction des moyens.
De nombreux témoignages d’enseignants font remonter une difficulté importante d’enseigner une autre discipline que la leur, tordant le cou à l’illusion d’un « auto-enseignement » entre collègues lors des phases de concertation.
L’ensemble des éléments en faveur de l’EIST exprimés par les enseignants – plus d’autonomie pour les enseignants, davantage de liens entre les disciplines, du temps de concertation, les groupes à effectifs réduits – pourraient largement être institués dans le cadre des disciplines en respectant leurs spécificités et l’expertise des professeurs.