Une « omerta » institutionnelle qui en dit long…
Le site web du ministère offre une parfaite illustration du déni qui entoure la circulaire de missions d’août 2015 en définissant encore aujourd’hui l’action des CPE au travers des trois domaines du texte de 82, qu’elle abroge pourtant ! Cette circulaire vertèbre leur identité professionnelle mais n’est portée à aucun niveau : aucune action de formation continue, pas davantage de citation dans les attendus d’épreuves du nouveau concours 2022 ni dans le référentiel de formation de 2020.
Ce silence est à corréler à celui d’un ministre qui ne s’adresse aux CPE que sous la pression des évènements. En novembre 2018, il parle des « Conseillers Pédagogiques d’Éducation » à l’assemblée nationale et il a fallu la mobilisation lycéenne de décembre 2018 pour qu’il retrouve enfin le fichier des adresses mails des CPE.
Ce déni institutionnel se prolonge au fil de la crise sanitaire. Le premier cadrage de la « continuité pédagogique » (avril 2020) n’évoquait ainsi que les seuls professeurs. Ce n’est qu’à la médiatisation des « décrocheurs » que la communication ministérielle (non sans grossières manipulations des chiffres) remercie les CPE, de même que les autres catégories de personnels, à grand renfort de vidéos insincères… Depuis, les divers plans de continuité pédagogique se sont « enrichis », au gré des fréquents désaveux du ministre. Pour autant s’ils évoquent bien « d’autres professionnels » chargés d’écouter les élèves en difficulté psychologique, jamais les CPE, pourtant les plus fréquemment sollicités, ne sont cités…
Ces « absences », « silences », « oublis » sont amèrement vécus par les acteurs de terrain, comme une forme de mépris. Ils disent le réel déni du métier au plus haut niveau des sphères administratives et expriment en creux la conception portée par le ministre. Recteur, puis DGESCO puis ministre, Blanquer n’a jamais renoncé à l’idée de transformer les CPE en « managers de vie scolaire », simple fonction temporaire en appui fonctionnel de l’équipe de direction.
Des réformes de structure qui ont fragilisé le métier
D’inspiration très libérale, les réformes Blanquer pèsent lourdement sur l’exercice du métier. Celles du lycée et du bac ont eu pour effet d’atomiser la notion de classe après la seconde par la multiplication des groupes de spécialité et de langues. Le groupe classe éclaté en multiples sous-ensembles, le « vécu collectif partagé » des élèves disparaît, et avec lui la légitimité de leurs « délégués ». Déstabilisée par cet éclatement des groupes de référence, l’action des CPE pour l’accès des élèves à la citoyenneté perd de son sens… Le ministre lui a préféré s’intéresser de très près à une petite caste d’élèves qui de CAVL en CNVL et CSE, est toujours prompte à soutenir ses réformes. Ce triste épisode du vrai-faux syndicat « Avenir Lycéen », instrumentalisé de toute pièce par son administration, a bien entamé le crédit de la représentation lycéenne. Hélas, il ne peut être sans effet sur la capacité des CPE à exercer leur « contribution à une citoyenneté participative », pourtant définie comme un axe de la politique éducative.
La construction de hiérarchies intermédiaires est un des autres piliers des réformes libérales de l’école. Ainsi, la rénovation de la fonction de professeur principal opérée par la circulaire du 10/10/2018 étend très significativement ses missions dont « le bon déroulement (…) conditionne par conséquent le fonctionnement de l’établissement et participe à la construction du futur adulte responsable et citoyen ». Cette extension n’est pas sans conséquence sur celles de tous les autres personnels en charge du suivi des élèves, que ce soit les Psy-EN ou les CPE dont le cœur de métier demeure le suivi éducatif, comme le souligne la circulaire de 2015 (« impliqués dans l’appropriation des savoirs par les élèves et associés à la construction de leur projet personnel, notamment en collaboration avec les professeurs principaux »). Mais la fonction de professeur principal est à son tour affectée par la réforme du lycée qui fait émerger des « professeurs référents », chargés d’un « suivi » réduit au seul projet d’orientation de l’élève. Quant aux CPE, leur référentiel de formation de 2020 ne réfère plus la notion de suivi des élèves qu’au seul contrôle de leurs absences.
Des dérives managériales qui s’inscrivent dans un cycle long
Les pressions managériales sur le métier de CPE ne datent pas d’hier. Recrutement local des AED au détriment des MI-SE (2003), rapport Thélot visant à faire des CPE des « directeurs de la vie éducative » adjoints du chef d’établissement (2004), protocole d’inspection évaluant leurs qualités de « conseillers techniques du chef d’’établissement » (2007) ont ainsi rythmé la décennie 2000-2010.
Entretenue par le ministre lui-même, cette conception managériale du métier s’est traduite sous ce quinquennat, par l’extension sans précédent des pratiques de profilage des postes. Pour y prétendre, il faut donc complaire à un chef d’établissement recruteur de « ses collaborateurs » et savoir se plier au contournement des textes réglementaires. Mais la novlangue néo-libérale ne s’arrête pas là et vient de créer un « manager d’internat » à l’occasion de son dernier plan de relance… Fonction nouvelle, promise à un « maître CPE », adoubé pour ce faire par la hiérarchie alors que « l’organisation et l’animation éducative de l’internat » relèvent réglementairement de tous les CPE. Le même risque prévaut avec les « référents AESH », chargés de la coordination de leurs activités. De toutes parts, ce ministère a donc lui aussi cherché à décentrer le métier de ses fondamentaux.
Mal protégée, l’expertise professionnelle des CPE subit toujours trop l’extériorité d’un corps d’inspection devenu fer de lance du néo-management. Le discours de l’ESEN puis de l’IHEEF a accentué ces pressions pour réorienter le métier vers un appui fonctionnel aux équipes de direction, confondant loyauté au service public et loyauté au chef. La parole institutionnelle ainsi délivrée contraint encore trop souvent les CPE à des postures professionnelles intenables, écartelées entre les injonctions managériales et leur cœur de métier. Cette fragilité fait écho à la notion de « précarisation subjective du travail » de la sociologue Danièle Linhart.
Les textes de 2013-2015 : point d’appui et enjeu
La parution d’un référentiel de compétences professionnelles (2013), puis d’une circulaire de missions (2015) en phase avec la profession auraient dû porter un coup d’arrêt aux dérives managériales qui la fragilisent. En inscrivant les trois domaines de responsabilité du métier dans une perspective éducative, ces textes confortent un CPE concepteur de son activité en lui assurant une autonomie professionnelle. Hélas, le déni institutionnel dont ils font l’objet et les réformes structurelles mettent à nouveau en tension le cœur du métier. Tant les choix éducatifs néo-libéraux que l’inexistence d’un corps d’inspection spécifique issu du corps rendent incertain le pronostic posé sur cette crise identitaire d’un métier à peine cinquantenaire.
Faire vivre des textes réglementaires dans un environnement sinon hostile au moins très défavorable, est donc devenu un enjeu pour « reprendre la main sur le métier ». Paradoxalement, la crise sanitaire donne des raisons d’espérer dans ce sens. Malgré des éléments de contexte tout à fait contraires (comment être un « interlocuteur privilégié » à distance ?), l’expertise professionnelle des CPE et leur connaissance plus fine des situations individuelles ont été convoqués au moment où le corps enseignant perdait contact avec certains. Le suivi éducatif, cœur de métier, et le lien des CPE à la sphère pédagogique sortent renforcés de cette parenthèse, malgré des tensions professionnelles … si peu différentes du quotidien. L’autre raison d’espérer à l’issue (?) de cette crise tient à la perception nouvelle de l’importance des collectifs de travail qui ont tant fait défaut durant cette période. Avec elle, surgit aussi la nécessité du travail en équipes pluri-professionnelles complètes et la reconnaissance de l’apport de chacune…