Le CNESCO a organisé une conférence du consensus les 7 et 8 mars derniers à Paris sur la différenciation pédagogique. Elle a donné lieu à de nombreuses interventions de chercheurs français, belges, canadiens, suisse, dressant un panorama très intéressant des avancées scientifiques sur le sujet.
D. Lafontaine (université de Liège) s’est attachée à préciser les différents types de différenciations structurelles existantes dans les divers systèmes éducatifs : filières liées à une orientation, classes de niveaux, écoles de niveaux ou de réputation différentes. Les enquêtes PISA mettent clairement en évidence que celles ci accentuent les écarts entre élèves sans pour autant élever le niveau général. Les enquêtes intra-systèmes (lorsque celui là a connu une évolution marquée de politique en manière de différentiation structurelle), comme celles menées en Pologne, vérifient le constat.
La suite des interventions était très nettement tournée vers la pédagogie différenciée, celle là même qui est dans les mains des enseignants. La majorité des recherches présentées était cependant menée au niveau du primaire.
S. Kahn (université libre de Bruxelles) a montré comment les meilleures intentions du monde pouvaient creuser les écarts et a évoqué, exemples à l’appui, les dérives potentiels des activités de projet. Et cela que ce soit au niveau de l’adaptation passive – travaux à la demande, où les élèves restent sur la première fiche à la fin de la séquence, tandis que les plus avancés ont davantage sollicité l’enseignant- ou au niveau de l’adaptation active où l’on choisit des activités différentes en fonction du niveau des élèves.
Ainsi, une différenciation « naturalisante » crée une différenciation stigmatisant les moins bons, qui restent cantonnés dans des taches de plus bas niveaux.L’intervenante a donc défendu -rejoignant ici les travaux de B. Rey- la nécessité d’une médiation entre les univers culturels, une explicitation des attendus et surtout une nécessité d’une confrontation récurrente de tous les élèves à la complexité.
Michel Grangeat (université de Grenoble) a évoqué les difficiles équilibres à trouver sur les différents temps de la classe, du fait de la complexité des systèmes. Dans une expérience menée, la grille d’évaluation par compétence, improductive, est remplacée par une grille de progression intégrée (forme d’évaluation formative) qui donne des résultats probants. Il a rajouté « le temps du changement des pratiques est un temps long durant lequel les enseignants ont besoin d’un étayage par la recherche, par la formation et par l’institution ».
A. Tricot (ESPE de Toulouse), a présenté les recherches sur la charge cognitive, pointant le problème du support ou du dispositif qui détourne les élèves des objectifs de connaissances visés, qui réclament déjà un effort cognitif important. De nombreuses expérimentations ont conduit à des découvertes inattendues, voire contre intuitives, sur ce que réussissaient ou pas bons élèves et élèves en difficultés. Elles ont montré que différencier les apprentissages, c’est avant tout travailler à différencier les supports ou le dispositif (la façon de poser un problème) tout en visant le même objectif en matière d’apprentissage de nouveaux savoirs. Le chercheur a évoqué les errances pédagogiques qui ont consisté à plaquer la façon dont les enfants résolvaient les problèmes dans leur environnement avec ce qui se passe en classe, « or, la classe, justement, existe parce que grandir ça ne suffit pas, grandir ça ne permet pas de tout apprendre ».
Ces recherches donnent des résultats contraires à des préconisations entendues. Ainsi, l’information vidéo complexe, car transitoire et fugace, s’avère plus handicapante pour les élèves les plus faibles qu’un texte sur lequel ils peuvent revenir ou s’attarder.
Quant à laisser l’élève choisir le dispositif qui lui conviendrait le mieux (utilisation possible aujourd’hui techniquement avec le numérique),cela ne fonctionne pas. Une expérience sur les aides à la demande par exemple (scénario faisable avec l’outil informatique) montre plus l’élève est en difficulté, moins il prend les décisions pertinentes en terme d’aides (paradoxe de la recherche d’aide = ce sont les élèves les plus avancés qui les plus pertinents en terme de recherche d’aide)
Il faut donc pratiquer une différenciation sur les taches et les supports pour justement ne pas différencier sur les objectifs vvisés en matière de connaissances.
B. Galand (université catholique de Bruxelles) a rappelé, à l’issue de ces deux journées, le décalage profond entre les préconisations concernant la différenciation pédagogique et les connaissances scientifiques (une absence de preuve…), invitant à la plus grande prudence quant au lien entre différenciation pédagogique et réussite de tous : « Le concept est trop large pour en faire un concept scientifique ». Mais s’il s’agit de la prise en compte de la diversité des élèves, on trouve dans divers champs de recherche des pistes porteurs d’espoir.
Souhaitons que ces deux journées débouchent sur une synthèse du jury (prévue fin mars) qui permette aux professionnels d’accéder facilement à ses travaux. Souhaitons aussi une utilisation éclairée par celles et ceceux chargés des injonctions et de la formation.
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