Une ambition pédagogique étriquée
Le peu de place accordée aux connaissances et aux programmes disciplinaires, dans cette circulaire, a de quoi interroger. Que l’ambition affichée se limite à l’acquisition des savoirs fondamentaux pour chaque élève est même préoccupant. La mise en balance des quatre lignes consacrées au lycée général et technologique avec le long développement sur la réforme du lycée professionnel et son articulation avec le monde du travail, n’a pas de quoi rassurer sur les projets d’avenir qui se dessinent pour la jeunesse. Le déploiement de la Découverte des métiers dès la classe de Cinquième est réaffirmé ; il est même précisé qu’elle « a vocation à monter en charge progressivement ».
Les projets du ministère pour les professeur·es semblent eux aussi bornés et redoutables. Les conseils académiques des savoirs fondamentaux (CASF) seront chargés d’établir des feuilles de route pour les savoirs fondamentaux qui seront communiquées aux professeur·es dès la rentrée scolaire. Il est donc à craindre que les tentatives pour piloter la pédagogie soient de plus en plus appuyées, d’autant que la circulaire annonce aussi l’extension des plans mathématiques et français au collège. Ainsi, pour l’année scolaire qui vient, 30% des professeur·es devraient être « touché.es » par le déploiement de ces formations et de ces préconisations qui visent à uniformiser les pratiques et les modes d’enseignement. Il est explicitement écrit que l’heure de soutien / approfondissement en Sixième est un instrument pour « créer un continuum école-collège dans la classe et autour des pratiques pédagogiques » ; le fantôme de l’école du socle rôde en arrière-plan.
Le resserrement des ambitions dans les enseignements se lit entre les lignes des priorités fixées par le ministère. Déclarer que « le développement des compétences numériques sera renforcé avec le déploiement de Pix 6ème », alors même que la technologie a brutalement été supprimée sur ce niveau, cela revient à réduire le champ et la démarche de cette discipline au numérique et à son usage immédiat et utilitariste. De même, on aurait tort de se réjouir trop vite de l’importance affirmée et réaffirmée donnée à la « pratique régulière, systématique et conséquente de l’écriture » « du CP jusqu’à l’entrée au lycée » quand, par exemple, la nécessité de travailler et renforcer l’expression orale n’apparaît nulle part et qu’on résume en deux mots, « lecture et calcul », les apprentissages en français et mathématiques.
Le projecteur est braqué sur des compétences restreintes, laissant dans les ténèbres des pans entiers de la culture commune et des compétences essentielles pour nos élèves.
Un service public toujours plus local et dérégulé…
Une logique de contrat en pleine expansion
Selon le ministère, c’est par une logique de contractualisation que le service public d’éducation va s’améliorer.
Ainsi, les équipes pédagogiques pourront s’appuyer, pour mener à bien leurs « projets » – un mot maintes fois répété –, sur l’enveloppe Pacte (1,3 milliard d’euros) et sur le « CNR éducation – Notre École, faisons-la ensemble ! » (500 millions d’euros).
Le ministère ose ainsi, en l’espace de deux lignes, à la fois réaffirmer que l’Éducation nationale est « forte de son unité et d’un cadre national » et qu’il faut soutenir les initiatives locales !
Les mots employés dans cette circulaire sont forts : « opportunité inédite », « profonde évolution culturelle », « changement de culture », « nouveau paradigme »…
Ce sont des projets locaux, bien loin de toute idée de service public national, que le ministère promeut pour construire une école « plus juste » et « plus exigeante ».
Cette logique de contractualisation et de territorialisation serait aussi censée résoudre le problème des inégalités sociales et scolaires.
Une Éducation nationale morcelée en territoires et quartiers
Ainsi, pour rendre les territoires ruraux attractifs, le ministère entend étendre le nombre de TER (Territoires Éducatifs Ruraux) à 300, ce qui va bien au-delà des annonces d’Élisabeth Borne fin mars. Les TER, avatars des Cités Éducatives, sont un énième outil de dérégulation : ils reposent sur un principe de contractualisation et sont un terrain d’expérimentations que l’on généralise ensuite sans qu’aucun bilan soit fait, à l’instar de ce qui s’est passé avec les Sixièmes Tremplin dans l’académie d’Amiens.
Les récentes annonces d’Emmanuel Macron à Marseille concerneraient également les « quartiers 2030 » (nom donné à un plan d’actualisation des quartiers prioritaires, basé lui aussi sur une concertation et une participation des citoyens) : extension des horaires d’accueil au collège, systématisation des stages de réussite pendant les vacances, extension des cités éducatives.
Aucun mot sur l’éducation prioritaire, aucune mesure ambitieuse pour une réelle mixité sociale et scolaire. Ne sont rappelés que les mesurettes de mai dernier et le protocole signé avec l’enseignement catholique qui n’est pourtant à l’avantage que des établissements privés.
Des annonces tous azimuts
Dans la suite de la circulaire, consacrée à l’épanouissement des élèves, au milieu d’un pot-pourri de mesures, on nous annonce tout de même la transformation des PIAL et la mise en œuvre des rapprochements entre les instituts médico-sociaux et les établissements scolaires. Ces annonces, pourtant noyées au milieu d’autres, sont porteuses de profonds changements.
Par ailleurs, on apprend :
– la saisine du CSP (Conseil Supérieur des Programmes) pour élaborer un programme correspondant aux 3 séances annuelles d’éducation à la sexualité, dont l’importance est réaffirmée ;
– l’extension à 10% des collèges des « deux heures de sport en plus » (c’est-à-dire assurées par des associations en dehors du temps scolaire) ;
– l’extension de la part collective du pass culture aux classes de Sixième et Cinquième ;
– la mise en œuvre de mesures bien minces au regard des enjeux écologiques : un guide, la diffusion des gestes qui comptent, la formation des écodélégués…
Lutte contre le harcèlement
La lutte contre le harcèlement et la volonté de protéger les élèves et les personnels sont érigées en « priorité absolue ». Aux dispositions déjà en place s’ajouteront, à la rentrée prochaine, l’affichage renforcé des numéros d’alerte, le déploiement du programme Phare dans tous les établissements et l’organisation régulière de sessions de sensibilisation en y associant « autant que possible les parents d’élèves », et le référent harcèlement sans qu’il ne soit fait mention du Pacte à ce sujet.
La circulaire insiste aussi sur le respect des valeurs de la République, et notamment des principes de laïcité et de neutralité au sein de l’École. En ce sens, le programme d’EMC sera revu dans la perspective de la rentrée 2024.
Enfin, l’engagement est pris d’octroyer la protection fonctionnelle à tout personnel dans le cas d’une remise en cause de son enseignement, de menaces ou d’agressions physiques et verbales.
La santé mentale des élèves
Un chapitre concerne la santé mentale des élèves. Il revient sur les mesures annoncées dernièrement par le ministre ( https://www.snes.edu/article/plan-sante-mentale-des-jeunes-une-nouvelle-operation-de-com/) et élude la question des personnels manquants dans les établissements scolaires et les temps d’échanges nécessaires. L’externalisation notamment le dispositif MonPsy et l’inscription des numéros « utiles » ne peuvent être les seules réponses quand les personnels manquent dans l’école et le service public de soins (Centres médico-psychologiques, maisons des ados, service pédo-psychiatriques) est sous l’eau (https://www.snes.edu/article/communiques/le-service-de-sante-scolaire-nest-pas-la-solution-pour-les-eleves/ ). Le travail d’analyse, d’observation et d’échange en équipe pluriprofessionnelle (enseignants, CPE, direction, AS, PsyEN, infirmières, etc.) est essentiel pour apporter des réponses aux difficultés diverses rencontrées dans les collèges. Encore faut-il que le ministère leur donne les moyens en les dotant de personnels ! Ce dernier a trouvé la réponse à la pénurie : la protocolisation et l’externalisation vers le libéral !