Chronique d'une semaine ordinaire dans l'éducation nationale

Une opération politicienne

“Voilà une jeunesse qui se tient sage”

Courant février, l’actualité a été marquée par un enchainement de faits divers dramatiques, dont l’agression violente ayant conduit à la mort d’un collégien à Viry-Châtillon. Les récupérations n’ont pas tardé : sur la base de constats biaisés et souvent non étayés scientifiquement sur la violence des jeunes, Gabriel Attal s’est emparé du sujet pour placer dans l’opinion publique la question de l’affaissement de l’autorité et la montée de l’ultraviolence des jeunes. Le 18 février, le Premier ministre a déroulé un discours au ton martial avec notamment un catalogue de mesures, dont bon nombre empruntées à l’extrême droite, qui font de la jeunesse une cible à mettre au pas. Opportunisme politique d’un Premier ministre qui cherche toujours d’abord à se construire une stature politique ou clins d’œil très grossiers à un électorat de plus en plus en tenté par l’extrême droite ? Certainement un peu de deux…mais ces jeux politiciens se font sur le dos de la jeunesse ! Le discours de Gabriel Attal porte une vision de la jeunesse et de l’éducation extrêmement simpliste et normative, stigmatisante, très inquiétante. Le langage et la logique qui sous-tend ce discours sont ceux de la guerre, de la conflictualité, très loin d’un projet éducatif, social et socialisant.

Les mesures annoncées, qu’elles soient du domaine de la justice ou de l’éducation ont toutes un point commun : la jeunesse est vue comme une classe dangereuse qu’il faut mettre au pas. Insupportable !

La visite à Nice : une opération montée de toutes pièces

Quelques semaines après le discours de Viry-Châtillon, Gabriel Attal s’est mis en scène, avec le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti (mais sans la ministre de l’Éducation nationale) en ouvrant un séjour de 15 jours dans un internat de Nice. On notera au passage le sens inégalé du calendrier du Premier ministre (ou son courage) en se rendant dans un lycée d’une zone qui…commence ses vacances, donc dans un lycée vidé de ses élèves et d’une majorité de ses personnels. À grands renforts médiatiques, le Premier ministre tente d’incarner l’image de l’autorité. Les réponses spontanées des élèves ruinent la mise en scène prévue par le chef du gouvernement. Et contrairement à ce qui a pu être dit, ces élèves n’étaient en rien décrocheurs ou délinquants ! Et, face aux questions sur le volontariat des élèves, leur accord pour être ainsi exposés, l’écart entre les réponses de Matignon et celles des acteurs locaux est révélateur et montre toutes les ficelles d’une opération de com’ grotesque et improvisée sur le dos de la jeunesse.

La “Grande concertation”, une mascarade inquiétante

Le vendredi 3 mai, la ministre de l’Éducation nationale a réuni tous les acteurs de la communauté éducative pour lancer la « Grande concertation » sur le respect de l’autorité à l’École dans la foulée du plan annoncé par Gabriel Attal. Dans un troublant et révélateur parallèle avec la méthode éprouvée dans la séquence « Choc des savoirs », la concertation sera menée au pas de charge (8 semaines) sur des mesures déjà annoncées par le Premier ministre ! Le compte-rendu complet de cette réunion

Les mesures annoncées

L’Ecole, un lieu où placer les jeunes

Pour « lutter contre l’oisiveté », G. Attal a affirmé : « Tous les collégiens seront scolarisés tous les jours de la semaine entre 8h et 18h, à commencer par les quartiers prioritaires et les réseaux d’éducation prioritaire ». Alors ministre de l’Éducation nationale, le même avait annoncé, en décembre 2023, l’extension du dispositif 8h-18h « à tous les collèges en éducation prioritaire à la rentrée prochaine » et s’était targué d’avoir obtenu une rallonge budgétaire de 80 millions d’euros pour financer cet accueil étendu. Que sont devenus ces 80 millions ? Font-ils partie des 691,6 millions d’euros repris par Bercy en février 2024 ? Toujours est-il quelques jours après le discours de Viry-Châtillon, le Premier ministre a rétropédalé en limitant cet accueil aux seul·es élèves volontaires des établissements REP et REP+.

Il n’en reste pas moins que, dans les orientations données par le Premier ministre, l’École est avant tout conçue comme un lieu clos où contenir voire enfermer les jeunes pour éviter qu’ils et elles « trainent dans la rue », aient « de mauvaises fréquentations ». Les établissements scolaires sont donc, dans la logique de G. Attal, définis par la négative : l’anti-rue, l’anti-oiseveté. Ce que les jeunes vivant dans des quartiers populaires vont faire de 8h à 18h dans leur collège importe peu : ce qui compte, c’est qu’elles et ils soient consigné·es jusqu’à 18h dans un établissement !

Les internats, un lieu de redressement

C’est la même conception au sujet des internats : ceux-ci deviennent des unités servant à extraire les jeunes de leur milieu, à les « tenir » dans un endroit fermé voire à les redresser. Le Premier ministre parle de « places » vacantes en internat mais pas de l’offre éducative des établissements scolaires dans lesquels les internats s’insèrent, comme si on « plaçait » un·e jeune dans un internat sans tenir compte de son parcours scolaire ni de ses vœux d’orientation. Ce qui disparait, c’est un projet éducatif établi en cohérence avec les savoirs et savoir-faire en concertation avec les jeunes et leurs familles, offrant de meilleures chances d’adhésion et donc de réussite.

Le SNES-FSU ne peut que s’opposer au projet du gouvernement d’instrumentaliser le collège et spécifiquement l’internat, sous prétexte de créneaux ou places disponibles, pour en faire des outils d’enfermement ou de redressement d’une « jeunesse délinquante » ou sur la pente de la délinquance. Les collèges, les lycées et les internats qui en font partie doivent avant tout être des lieux d’instruction et de formation tournés vers la réussite scolaire, des espaces de socialisation, d’épanouissement personnel, d’ouverture et d’apprentissage émancipateur de la citoyenneté.

Bac mention “fauteur de troubles” ?

Avant même que la mission « Choc de l’autorité » qui doit rendre ses conclusions dans les 8 semaines ne commence à réfléchir à la question, G. Attal s’est déclaré favorable au fait que des comportements perturbateurs, des actes de dégradation ou d’agression aient des conséquences sur « les examens et les bulletins scolaires ».

« Lorsque l’on gêne les cours, lorsqu’on défie l’autorité, lorsqu’on dégrade, qu’on menace voire que l’on agresse, cela ne peut pas rester sans conséquence sur les examens et les bulletins scolaires ». Ne distinguant guère comportements perturbateurs, frondeurs et actes d’infraction au règlement intérieur voire à la loi, le ministre suggère de sanctionner doublement les élèves contrevenant·es : en plus des punitions ou sanctions prononcées par les professeur·es , les CPE ou les chef·fes d’établissement à la suite des incidents, il est envisagé de retirer à ces élèves des points, des mois plus tard, à leur examen (brevet, CAP ou bac) ou même de ruiner leurs chances de poursuite d’études avec une mention « Fauteur de trouble » indiquée dans Parcoursup. Les établissements de formation supérieure auraient alors vite fait de programmer l’algorithme pour écarter tout dossier porteur de cette marque d’infamie…

S’il est évident que les propos et les actes répréhensibles doivent être suivis de punitions ou sanctions à la hauteur de leur gravité, ce système de « double peine » pourrait conduire à un résultat totalement contre-productif. En compromettant leurs chances de réussir à un examen ou d’accéder à une formation, on risquerait de marginaliser certain·es jeunes et de réduire gravement les conditions et perspectives de leur insertion dans la société.

Une urgence : investir dans les services publics !

Le SNES-FSU dénonce une vision de la jeunesse et de l’éducation extrêmement simpliste et très inquiétante. La jeunesse est vue comme une classe dangereuse qu’il faut mettre au pas (en lien avec le SNU), très loin d’un projet éducatif et émancipateur pour la jeunesse.

Pour le SNES-FSU, un système scolaire et universitaire puissant est la clé de l’insertion dans la société et de l’émancipation de la jeunesse. L’École publique doit avoir les moyens matériels et humains d’assurer partout et pour tous et toutes un haut niveau d’éducation. Il faut développer des propositions pour former et qualifier l’ensemble des jeunes car toutes et tous sont capables de réussir. C’est à la fois une marque de confiance dans la jeunesse, mais c’est aussi une revendication quand trop de jeunes sont laissé·es de côté. Nous avons besoin de la jeunesse pour construire une société plus juste, plus écologique, plus solidaire, plus féministe !

Pour aller plus loin

Le communiqué du collectif “Justices des enfants” dont la FSU est signataire “La jeunesse mérite mieux que des caricatures”

Le dossier de l’US Mag


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