Outre informer les familles (ou un éventuel remplaçant) de ce qui est fait en classe, communiquer aux élèves « empêchés » une partie de ce qu’ils ont manqué, évaluer pédagogiquement les enseignants, le
CTN vise des objectifs moins explicites. On devine en lisant l’arrêté que le CTN devrait servir de « point central numérique » de l’enseignement, les cours y figurant in extenso, au mépris d’ailleurs de la protection des collègues du point de vue des droits d’auteurs. Se constituerait alors une masse de ressources pédagogiques, et l’acte d’enseignement s’appuierait essentiellement sur le CTN.
C’est une vision très réductrice de ce que peut être le numérique dans l’enseignement.
Outil ambigu
L’organisation même du travail de l’enseignant est changée et contrainte : après le « visa » du chef d’établissement, pas moyen de compléter ce qui manquait ! Et quand le remplir : en classe en tournant le dos aux élèves pour le faire (si on a la chance d’avoir un ordinateur dans la salle !) ? À la
maison parce qu’il y a la queue aux ordinateurs de la salle des profs ?
L’accès par l’IPR peut aussi poser problème : l’enseignant doit parfois extraire lui-même les données pour le mettre à disposition de l’IPR.
Le CTN est ambigu pour élèves et parents : il ne doit pas remplacer le cahier de textes de l’élève, qui
a par ailleurs une valeur éducative ; il n’est pas non plus destiné à servir de moyen de comparaison
des enseignants.
Des perspectives inexploitées
Enfin, la possibilité de conserver ses propres données ou leur durée de conservation sont souvent ignorées. Pourtant, c’est un outil qui pourrait offrir de nombreuses perspectives aux enseignants, s’il n’avait pas été aussi mal défini : pour certains, c’est un gain de temps ; pour d’autres c’est un support de leur enseignement.
Le CTN est l’exemple criant d’une politique qui ne voit le numérique que sous la forme d’une modernité apparente, et pas celle d’une opportunité dont les acteurs doivent se saisir et non subir.
Le BO
Le Cahier de textes numérique (CTN) remplace le cahier de textes de la classe depuis le Bulletin officiel n° 32 du 9 septembre 2010, par décision unilatérale du ministère. C’est une spécificité française.
Utilisateurs : qui sont-ils ?
Le cahier de textes numérique s’adresse aux personnes ayant un rapport direct avec les enseignements dispensés dans l’établissement où ce service est proposé, en particulier :
– le chef d’établissement et son adjoint ;
– les professeurs ;
– les élèves ;
– les parents d’élèves ;
– les conseillers principaux d’éducation et les personnels de vie scolaire ;
– le conseiller d’orientationpsychologue ;
– les corps d’inspection, en relation avec le chef d’établissement et dans le cadre de leurs missions sont aussi concernés.
Droits d’auteur : Pas de pillage
La question des droits d’auteur se pose, tant pour les devoirs que pour les séquences pédagogiques, puisque c’est presque tout le cours de l’enseignant qui est accessible par le cahier de textes.
Il faut faire reconnaître par la loi la propriété intellectuelle de l’enseignant sur son cours et protéger ainsi ses droits à la copie ! Valorisation de « bonnes pratiques » n’est pas synonyme de « pillage » autorisé !
TÉMOIGNAGE : “Le virtuel au détriment de l’humain”
Simone Pirez, professeure d’éducation musicale, en collège à Paris
Pour moi, l’utilisation du CTN doit rester formelle. Ce que j’y note n’est que le squelette de mon cours : grands axes de ce qui a été étudié, devoirs pour le cours suivant. Je n’y explique pas les exercices, ni l’analyse des oeuvres car ça relève de ma pédagogie adaptée à chaque classe. Je n’y mets pas non plus d’oeuvres pour cause des droits d’auteurs (que je ne connais pas toujours).
Ça représente un temps non négligeable hors cours : ratés de connexion, fonctionnalités de
remplissage peu aisées… Nous en sommes à notre deuxième CTN (choisi par le principal) et les fonctionnalités de celui-ci sont fractionnées et non liées sur une même « page », donc peu ergonomiques ; par ailleurs, pas moyen de saisir plusieurs classes en même temps (j’en ai vingt !).
Les élèves ont tendance à considérer le CTN comme remplaçant leur propre cahier de textes,
alors qu’il ne devrait être qu’un pense-bête. Pour moi, le virtuel se fait au détriment de l’humain.
Chiffre
9% de la consommation électrique française est liée aux data-centers et aux ordinateurs.