Enthousiaste à l’idée de devenir Professeur d’anglais, Jérémy Borel-Garin est entré dans le dispositif des AED en préprofessionnalisation. Son récit confirme les réticences du SNES-FSU à l’égard de ce dispositif.

Jérémy n’est pas là par hasard, sa candidature est née de son envie de devenir pro­fesseur d’anglais : « Que cela soit au collège, au lycée ou dans l’enseignement supérieur, j’aimerais pouvoir transmettre ». Il a appris l’existence du dispositif par l’université, avec un mode de recrutement pas forcément très clair. « C’était sur dossier, il devait y avoir un entretien, il n’y en a pas eu. Je pense que tout le monde a été pris de court. Dès le début ça commençait un peu mal. J’ai juste reçu une réponse fin août, juste à temps pour me rendre à la réunion de prérentrée. » Au moment de débuter, il ne dispose que d’une plaquette d’information qui ne lui permet pas de savoir clairement ce qui sera attendu de lui.

Il s’est cependant lancé ; l’absence de suivi et d’accompagnement une fois le contrat signé a pesé sur les débuts. Ce manque de considération est symptomatique de la méthode Blanquer. La circulaire qui cadre le dispositif n’a d’ailleurs été publiée qu’après le recrutement des premiers AEd ­prépro… « On se sent parfois isolé, entre le boulot, la fac, le métier, notre vie personnelle. » Jérémy a été chanceux, avec une principale qui a tout fait pour lui faciliter la vie, mais ce n’est pas toujours le cas, et la communication avec le rectorat n’est pas toujours aisée. « Il faudrait que ce triangle rectorat / établissement / tuteur fonctionne. Il faudrait que le rectorat soit à l’écoute, qu’il réponde aux demandes, aux mails, aux appels téléphoniques. »

Improvisation du Ministère

Les errements du ministère ont ajouté des craintes supplémentaires : recrutés au départ pour trois ans en L2, les AEd étaient laissés sans solution en M2, avec le décalage du concours du M1 au M2. Le ministère a attendu le mois de décembre 2021, presque un an et demi après la création du dispositif, pour modifier les textes, et permettre une quatrième année de contrat en M2… sans toutefois répondre à toutes les inquiétudes, notamment sur les missions et l’établissement d’affectation.

Les mots qui reviennent le plus souvent dans nos échanges avec Jérémy sont « inquiétudes », « manque de temps » et « crainte ». Sans que l’expérience d’AEd prépro s’y résume, ainsi que l’exprime clairement Jérémy, ces mots révèlent un quotidien difficile. Ces « assistants profs », comme ils s’appellent entre eux, doivent jongler entre l’université et leurs missions au sein de l’établissement, avec des chefs qui sont plus ou moins arrangeants. « Je manque des cours toutes les semaines » témoigne Jérémy. Les missions annexes (remplir le cahier de textes, assister aux conseils de classe et à diverses réunions…) sont également très chronophages et les AEd prépro y sont peu préparés. « L’année de M2 sera doublement difficile parce qu’il faudra concilier mémoire, concours et métier en même temps. Nos professeurs sont très clairs avec nous, ça va être compliqué. »

Sur le terrain

Mais l’expérience de Jérémy n’en reste pas moins globalement positive. Le dispositif, à tout le moins sur les deux premières années, a pour avantage de permettre une connaissance progressive de la réalité professionnelle dans les établissements scolaires, ce qui facilite l’entrée dans le métier : « Je suis sur le terrain depuis trois ans, cette année j’ai ma classe, j’ai appris énormément de choses, parfois quand je vais en cours à l’INSPÉ, on me parle de choses que j’ai déjà vécues. Du coup, c’est intéressant de les revoir, de les étudier et de les analyser ; je pense qu’on ne perd jamais son temps. Il y a plein de choses que je sais déjà, je peux vraiment relier la théorie et la pratique, c’est ce qui me plaît vraiment. C’est un réel avantage pour les oraux du CAPES ». La progressivité du dispositif est aussi un avantage, les étudiants entrent progressivement dans le métier jusqu’aux concours, ils passent du statut d’observateur en L2 à celui d’acteur en M1, en prenant en charge une séquence de cours, sur le temps de service de leur tuteur. Cette entrée progressive dans le métier permet de faciliter les débuts : « Le plus gros avantage, on est confronté dès la L2 à tous les problèmes de l’enseignement. On a beau savoir que l’entrée dans le métier peut être très violente, cela n’empêche pas de la vivre très difficilement quand on débute. Commencer à être confronté aux difficultés dès la L2 permet d’être mieux armé par la suite ».

Un dispositif critiquable

Cependant, les AEd prépro ne se considèrent pas comme de vrais enseignants, ni comme des acteurs à part entière du monde de l’éducation alors qu’ils sont pourtant pleinement dans le métier. Le dispositif est méconnu et peu reconnu, ce qui rajoute aux difficultés quotidiennes des étudiants. Par ailleurs, les atouts offerts par l’expérience sur le terrain ne sont pas suffisants pour préparer les concours, ils sont davantage utiles pour les oraux que pour les écrits. Encore faut-il être admissible, ce qui suppose d’avoir le temps de préparer. La formation pratique se fait donc en partie aux dépens de la formation académique, pourtant essentielle.

La façon dont est pensé le « prérecrutement » des AEd prépro est donc loin d’être idéale. Les parcours sont de plus en plus incompréhensibles et peu attractifs, la volonté de s’engager dans une formation initiale pour devenir enseignant s’amenuise, notamment à cause de la fatigue accumulée. « Rien n’est facile dans le métier de professeur : ni y accéder, ni s’y former, ni l’exercer. »

Camille Audé

Jérémy Borel-Garin est AEd prépro depuis 2019, et syndiqué au SNES-FSU. Il tient un blog et une page Facebook consacrés aux AED.

Le dispositif
Depuis la rentrée 2019, le dispositif des Assistants d’éducation (AEdD) en préprofessionnalisation accueille des étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement de la deuxième année de licence (L2) à la première année de master (M1), avec depuis peu la possibilité de prolonger leur contrat durant la seconde année de master (M2), qui est aussi celle de la préparation des concours de recrutement. Même s’ils ont statut d’AED, leurs missions ne sont pas du domaine de la vie scolaire, ils ne sont pas surveillants. Leurs tâches sont pédagogiques et s’effectuent sous la supervision et la responsabilité d’un enseignant tuteur. Au fur et à mesure de leur avancée dans le cursus, ces missions s’élargissent, s’enrichissent et s’alourdissent : en L2 et L3, il s’agit de l’observation de cours ; en master, ils prennent en charge des séquences pédagogiques complètes sur le service de leur tuteur. Leur service hebdomadaire est de huit heures pour les L2 et L3, et six heures pour les M1 et M2. Ils effectuent ce service en parallèle de leur cursus universitaire, qui est censé être prioritaire, puisque leur statut prévoit de « garantir une bonne articulation entre leur travail et leur emploi du temps universitaire », ce qui limite normalement ce que le chef d’établissement peut exiger d’eux. Lors de la première année, qui se fait en parallèle de leur L2, ils perçoivent une rémunération mensuelle de 700 euros ; celle-ci atteint 980 euros en master (963 euros en L3).
Quelle formation pour les enseignants ?* Pour endiguer la grave crise de recrutement que connaissent nos métiers, renforcer la formation des futur·es enseignant·es et répondre aux besoins de tous les élèves, la FSU revendique des prérecrutements massifs dès la L1 et à tous les niveaux du cursus universitaire, sous statut d’élève-professeur. Pour qu’ils se consacrent exclusivement à leur formation et leur réussite, aucune contrepartie ne doit être exigée des étudiants prérecrutés, à l’exclusion d’un engagement à servir après leur titularisation. La FSU défend une formation de haut niveau intégrant progressivement les dimensions scientifiques et professionnelles (savoirs à enseigner, savoirs pour enseigner), théoriques, didactiques et pratiques, ancrées dans la recherche. Le terrain est un des éléments essentiels de la formation initiale, mais la FSU s’oppose à toute mise en responsabilité des étudiants pendant leurs stages d’études. […] Extrait de la publication de la FSU intitulée Quelle formation pour les enseignants ? (2019)

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