En effet, depuis 2017, on compte pas moins de 6 rapports[1] d’institutions différentes sur le sujet, des textes interministériels, des feuilles de route, la création de plusieurs instances et de leur direction : le comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie et de son délégué ministériel, la nomination d’un délégué interministériel pour les TND et l’autisme, et la désignation par le premier ministre de 3 personnes[2] qui doivent incarner le chantier Santé Mentale et dont il faut constater l’orientation neuroscientifique affirmée.

Ces décisions traduisent des évolutions majeures dans la conception de la santé mentale, de l’organisation des prises en charge par les politiques publiques, de la place dévolue aux psychologues dans ce schéma, qui concerne aussi les PsyEN.

La première interrogation vient de cette focalisation sur la santé mentale, dont les contours conceptuels sont très flous, alors que l’emploi du terme « psychiatrie » semble être devenu inconvenant. Certes, le souci d’une « déstigmatisation » des difficultés psychologiques est à prendre au sérieux, en particulier dans un contexte où les troubles anxio-dépressifs et les tentatives de suicide notamment chez les jeunes femmes sont en hausse. Mais la conception de ce qu’on entend par santé mentale interroge.

L’OMS définit la santé, non pas comme une absence de maladie, mais comme « un état complet de bien-être physique, mental et social ». Il s’agit de « se réaliser, de surmonter les tensions normales de la vie, d’accomplir un travail productif et de contribuer à la vie de [sa] communauté ». La santé mentale est désormais conçue comme englobant la psychiatrie, sur un même continuum, et les troubles psychiatriques sont censés pouvoir être évités par une prévention alimentée par la verbalisation des problèmes et un peu de psychologie positive. Donc, non seulement la conception des troubles psychiatriques change ; mais la valeur accordée au bien-être dans les années 70 également.

Parallèlement, comme le souligne Bruno Falissard, l’autisme et la schizophrénie sont désormais à considérer comme des TND. Or, aujourd’hui aux dires mêmes de plusieurs chercheurs en neurosciences, les effets probants de celles-ci pour le traitement des maladies psychiatriques sont très minimes.

Ces conceptions focalisent les interventions sur le dépistage. Une étude récente menée auprès d’enfants de 6 à 11 ans[4] invente la notion de troubles psychologique probables inférés à partir de l’observation des enfants. Ainsi, 13% des enfants de 6 à 11 ans présenteraient au moins un « trouble de santé mentale probable », dont 6,6 % un trouble oppositionnel probable (colère, comportement querelleur ou provocateur) et 5,6% un trouble émotionnel probable (anxiété de séparation, phobie, état dépressif). Où sont passés les résultats de la recherche sur les phases du développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent·e ? Effacés au profit d’une vision statistique des troubles !

Le bien-être est devenu depuis les années 2000 une préoccupation économique. Dans le domaine du travail, les burn out, la souffrance psychique sont présentés comme des obstacles à l’efficacité productive, générant des coûts pour les entreprises, grevant le budget de l’assurance maladie. Ainsi, s’explique l’intérêt actuel des économistes pour l’École, qui selon eux, doit en priorité faire acquérir des compétences psychosociales afin de permettre aux futurs travailleurs de s’adapter. « Nous montrons que le capital humain doit devenir un levier prioritaire, en commençant par l’éducation et l’acquisition de compétences mathématiques et socio comportementales. Ces compétences jouent en effet un rôle prépondérant pour la croissance de la productivité dans les économies modernes » [5]

Les préoccupations idéologiques et économiques semblent donc se rejoindre pour légitimer une conception du parcours de soins qui mise sur une préparation socio-comportementale des jeunes pour réduire les problèmes d’adaptation à des formes de travail de plus en plus contraignantes et la prévention de l’entrée dans la psychopathologie.

À partir des années 90, les politiques publiques ne ciblent plus la santé mentale mais la « bonne santé mentale », la « santé mentale positive ». Le centre de gravité se déplace des préoccupations portant sur les pathologies psychiatriques vers toutes sortes de syndromes : dépression, anxiété, mais aussi Troubles des Conduites Alimentaires, addictions, souffrances psychosociales.

La politique de santé mentale concernant les individus souffrant de maladies mentales avérées passe donc au second plan au profit d’une politique de santé publique qui concerne toute la population. Cette politique vise, non seulement à responsabiliser les acteurs mais aussi à compenser le déficit de psychiatres et à réduire les demandes d’hospitalisation.

Le schéma proposé repose sur 3 niveaux d’accès :

  • Un premier niveau dit primaire, vise à diminuer les risques d’entrée dans la maladie et confie à des non spécialistes des fonctions dans le repérage des difficultés.
  • Un deuxième niveau secondaire, concernant le dépistage, l’adressage et  l’intervention précoce.
  • Un troisième niveau visant l’accompagnement par des services de psychiatrie hospitaliers spécialisés et des centres de références.

Pour limiter l’engorgement des CMP et le passage aux urgences, il s’agit donc de bâtir des « parcours selon une échelle distinguant de manière individualisée les troubles légers, modérés et sévères ». Parallèlement, est préconisé le recours aux plateformes de coordination, guichets uniques dédiés à la santé mentale  portés par les collectivités territoriales.

Nombre de PsyEN, mais aussi de certains responsables hiérarchiques s’étonnent de l’absence des PsyEN dans tous les dispositifs annoncés sur la santé mentale.

La création de référents en santé mentale constitue le premier niveau de repérage.  Ces référents, enseignant·es ou CPE, formé·es en quelques jours, sont chargé·es de repérer le mal être des adolescent·es notamment grâce à des questionnaires avant adressage vers les équipes ressources (médecins, assistant·es de service social, infirmier·es, PsyEN).

Les professionnel·les de l’équipe ressource sont chargé·es de l’évaluation et de l’adressage soit vers des structures de prise en charge (CMPP, services pédopsychiatriques), soit vers des psychologues en libéral par le dispositif mon soutien Psy, les structures de soins, étant censées ne s’occuper que des troubles sévères. Le parcours de soins devient donc un système de filtrage successif pour accéder à des interventions qualifiées.

C’est un choix politique qui privilégie la délégation au privé de l’accompagnement des jeunes, instaurant du même coup un tri entre ceux qui pourront s’adresser à mon soutien-Psy et les autres.

En amont de ces 3 niveaux, le dispositif s’intéresse aussi à la prévention par le déploiement des compétences psychosociales (CPS) ainsi que l’instauration d’une éducation à la santé mentale.

La circulaire interministérielle de 2022 enjoint à la mise en place de programmes d’acquisitions de CPS dans tous les ministères et pour toute une génération, d’ici 2037. À l’École, avec l’annonce du choc des savoirs, le premier ministre avait annoncé sa  volonté d’introduction des CPS dans le socle commun, ce qui signifie les évaluer.

Il existe déjà plusieurs instances censées coordonner les acteurs entre eux[6], mais leur fonctionnement semblant très inégal sur le territoire amène les rapporteurs à demander un coordinateur de tous ces dispositifs. Les PsyEN peuvent être concerné·es puisqu’il s’agit de réunir et de coordonner les actions de tous les acteurs concernés par la santé mentale.

Ces préconisations rejoignent des propositions déjà émises dans le rapport Réda pour la création d’un service de santé scolaire, reprise dans le rapport sur les assises de la pédiatrie. Il s’agirait de « créer un nouveau Service de santé des élèves , qui mobilise tous les professionnels de santé du territoire sous la coordination du médecin scolaire, et dont l’objectif affiché est le bien-être des enfants et des adolescents ». L’École étant considérée comme offrant un terrain privilégié pour le dépistage grâce à l’obligation scolaire, l’extension des interventions des PsyEN pour les PMI ou les MDA en termes de bilans n’est donc pas à exclure.

Les motivations de ces dispositions sont à la fois gestionnaires et idéologiques quant au développement des enfants et des adolescent·es, et des difficultés psychologiques qui peuvent les affecter. Valorisant une origine interne à dépister précocement, elles négligent les contextes sociaux et les histoires familiales et singulières qui influent positivement ou négativement sur le développement.

La·le Psychologue qui exerce en milieu scolaire est confronté·e à des demandes qui concernent aussi bien les difficultés scolaires que les problèmes relationnels,  les troubles des conduites ou les aléas du développement liés à la période adolescente, les inquiétudes liées à la projection dans l’avenir. Ces différentes dimensions ne peuvent pas être traitées isolément, car elles renvoient à la vie psychique du sujet dans sa globalité.

Les PsyEN disposent d’une formation de haut niveau qui doit leur permettre de prendre du recul par rapport à tous ces projets et à leurs traductions pratiques. Prenons appui sur la recherche en psychologie, sur notre code de déontologie et  ne restons pas isolé·es !

Suite à l’évocation par la ministre de l’organisation d’assises de la santé scolaire, un GT préparatoire s’est tenu le 27 novembre à la DGRH avec les organisations syndicales. Les annonces faites à cette occasion sont très inquiétantes avec des annonces ministérielles en mars 2025.


[1] Rapport du sénat de 2017, Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en 2021, Rapport de la cour des comptes en 2023, Rapport des assises de la pédiatrie en 2024, Rapport des assises de la SFPEADA en avril 2024, Rapport du Haut-Commissariat au plan en juin 2024.

[2] Il s’agit : de Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie, d’Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale de l’alliance pour la santé mentale et proche de l’institut Montaigne et de la fondation FondaMental et de Daniel Fasquelle, dépositaire d’une proposition de loi  pour l’interdiction de la psychanalyse et des psychothérapies dans le traitement de l’autisme.

[3] Nadia Garnoussi

[4] Enquête Enabee de Santé publique France, juin 2023

[5] Note n° 75 du Conseil d’analyse économique, septembre 2022.

[6] La communauté professionnelle territoriale de santé, le conseil local de santé mentale et le projet territorial de santé mentale


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