Le suivi des élèves : un processus complexe rendu encore plus difficile.
Le « Choc des savoirs » a, semble-t-il, débouché sur un refus massif des collègues de français et de mathématiques enseignant en 6e et 5e de continuer à exercer la fonction de professeur·es principaux. Et pour cause ! Ils et elles ne voient tout simplement plus les élèves en classe entière. Si certain·es acceptent, c’est parfois de façon provisoire, comme en témoigne cette collègue enseignante dans une grande agglomération du sud-ouest à propos du nombre insuffisant de volontaires :
« Ça a bloqué sur plusieurs classes. Finalement j’ai accepté d’être professeur principal en 6ème jusqu’aux premières vacances. Là aussi c’est du provisoire et du compromis… »
La rentrée s’est donc déroulée avec un manque accru de professeur·es principaux et une pression exercée en retour par les directions d’établissement sur les autres professeur·es ou les nouveaux et nouvelles arrivant·es pour accepter cette mission.
Dans certains établissements, ces dysfonctionnements pèsent sur les vies scolaires.
La mise en place des groupes de niveau pèse aussi sur la vie quotidienne des élèves, leur prise en charge et leur suivi, notamment à un âge où s’effectue une rupture importante : entre le passage de l’école primaire au collège. Pour les collègues de français et de mathématiques qui sont professeur·es principaux de classes de 6ème ou de 5ème, c’est un vrai casse-tête :
« Pour moi, professeure principale d’une classe de 6ème dont je n’ai que 6 élèves en cours de français répartis sur 2 groupes, la situation est véritablement inextricable ! Il m’est quasiment impossible d’avoir un réel suivi de la classe ou même une attention quotidienne, surtout pour les 6ème arrivant au collège, dont on sait qu’ils ont un besoin de repères avec beaucoup de questions. Je suis obligée de solliciter les surveillants et les collègues de français intervenant dans le même niveau pour faire ce travail de vie de classe quotidien. Je pense qu’il me sera nécessaire de réunir des heures de vie de classe au-delà des 10 heures réglementaires ».
Le même problème se pose pour ce qui est de l’information effectuée par la vie scolaire à destination des élèves :
« Si l’administration, la vie scolaire ou un enseignant a une information urgente à donner à une classe de 6ème ou de 5ème, on doit désormais déranger tous les groupes de Français et de mathématiques pour informer les élèves », note cette collègue enseignant dans un collège de la Somme ».
Du côté des élèves, l’addition de toutes les difficultés qui entravent le travail des adultes qui doivent les prendre en charge n’est donc pas sans conséquence. D’autant que cela se cumule à une éventuelle attente, voire inquiétude, pour savoir dans quel groupe elles et ils seront réparti·es. Au minimum, la découverte du collège apparaît peu rassurante pour les élèves de 6ème et les personnels prennent encore sur eux pour tenter d’atténuer cet effet.
Une angoisse latente.
Si l’option d’un fonctionnement en classe entière pendant les premières semaines de l’année rassure pour le moment les collègues, cela n’efface pas l’anxiété qui s’empare de certain·es lorsqu’ils et elles songent à la façon dont les groupes vont ensuite se mettre en place, à l’image de cette enseignante de français d’un collège d’un département au nord de la France :
« Une grande sensation d’angoisse me vient lorsque je pense à la manière dont cela va ensuite se mettre en place. Qui va se charger de concevoir les groupes ? Les enseignants de français et mathématiques ? Sur quels créneaux ? »
Les interrogations des collègues sont nombreuses et croisent des problématiques tout à la fois organisationnelles et professionnelles. La reconfiguration des groupes selon les « besoins » des élèves suppose un travail monumental en amont afin de distinguer, comme l’envisage le ministère, les « faibles » des « forts » pour constituer des groupes de niveau rebaptisés « groupes de besoins ». Ce travail va venir alourdir un emploi du temps déjà chargé.
On aurait cependant tort de réduire l’angoisse des collègues à cette seule perspective de l’alourdissement de la charge de travail. À cela s’ajoute la façon dont chaque agent·e conçoit son métier, son travail et sa conception du service public. Dans ce cas précis on demande aux collègues de prendre en charge le tri, la sélection des élèves, alors même qu’ils et elles y sont opposé·es. C’est en ce sens qu’il faut aussi interpréter la question angoissante de savoir « qui » va s’occuper de « concevoir » ces groupes. Le « Choc des savoirs » débouche, au sens propre du terme, sur une perte de sens de l’activité.
Ce qui prévaut dans un certain nombre d’établissements, c’est un grand sentiment d’incertitude, à l’image de ce que ressent cette collègue de français du sud-ouest :
« Au collège X, en 6ème, il y a autant de classes que de groupes, [avec des effectifs]entre 20 et 25 élèves. Jusqu’aux premières vacances, les groupes sont les mêmes que les classes. Après, on ne sait pas, on verra… En 5ème, on a prévu 7 classes et 9 groupes en français à partir de la rentrée de novembre. Pour l’instant deux professeurs sont surnuméraires sur deux classes. On ne sait pas quels seront les critères pour faire ces deux groupes supplémentaires. Dans l’équipe la grande majorité ne souhaitent pas cette organisation, donc la réflexion ne se met pas en place collectivement. Des idées sont lancées, mais ce qui revient c’est la crainte de regrouper le [nom d’un quartier de la commune1] dans les groupes à “besoins”.
L’incertitude qui plane quant à la constitution de ces groupes de niveau pèse lourdement sur les collègues. Qui va s’en charger ? Qui va trier les élèves ? Comment éviter que les élèves issu·es de quartiers réputés difficiles et scolarisé·es dans cet établissement public prestigieux du centre-ville se retrouvent tous et toutes dans le même groupe de « besoins » ? En réalité la situation est dramatique et témoigne du désarroi dans lequel se trouvent plongé·es nombre de nos collègues. Ce « on ne sait pas », cette impression de naviguer à vue, traduisent assez nettement le profond sentiment de perte de sens du métier qui secoue la profession. Dans cette situation, la volonté de la ministre de « garder le cap », alors que, profondément, pour les collègues il n’y a pas de cap, ne peut que générer de l’angoisse. Si le but du « Choc des savoirs » était de déstabiliser la profession. l’objectif est atteint.
1 Le quartier en question est un quartier défavorisé relevant de la politique de la ville dont les élèves, et les habitant·es sont déjà stigmatisé·es de manière générale.
Prochain et dernier épisode : « Trouver du sens là où il n’y en a plus ».
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