De la crise de recrutement, de la pénurie de personnels, des conditions de travail et de rémunération dégradées, du nombre conséquent d’élèves sans affectation, il en est peu ou pas question. A l’ordre du jour des priorités, l’expérimentation d’une « pause numérique » totale, soit la mise en place de dispositifs visant à s’assurer que les élèves ne disposent pas de leurs portables au sein de l’établissement. 199 collèges, dit volontaires, vont tester le dépôt des portables à l’entrée de l’établissement et leur récupération en fin de journée. 50 000 collégien.nes sont concerné.es par cette expérimentation dont la généralisation à l’ensemble des collèges est annoncée pour janvier 2025. Pour l’ex ministre, l’ambition est « d’augmenter les résultats des élèves, et de lutter contre le harcèlement ».

Le choix de la contrainte

La loi de 2018 interdit déjà l’utilisation du portable dans l’enceinte des établissements (article L511-5 du code de l’éducation) et notamment pendant toute activité liée à l’enseignement en introduisant une exception pour les usages pédagogiques.  Nicole Belloubet fait le choix de durcir la loi, le choix de la contrainte plutôt que celui du travail éducatif autour de l’apprentissage de l’autonomie. Or dans l’immense majorité des collèges, la règle d’interdiction de l’utilisation du téléphone fonctionne. Même si des situations localisées ou ponctuelles de moindre respect ou de tensions peuvent perdurer, l’interdiction est aujourd’hui respectée. Ce constat est d’ailleurs partagé par la commission dite « écrans » chargée d’étudier l’impact de l’exposition des écrans sur les jeunes dans son rapport du 30 avril dernier. Ce durcissement de la règle n’est, pas plus que la loi de 2018, une garantie du respect de l’interdiction. Il ne sera pas difficile pour certains élèves d’esquiver l’interdiction en prétextant ne posséder aucun portable. Que des «casiers pour portables» soient installés ou non, il sera de fait toujours possible pour les élèves de transgresser la règle (avoir un deuxième téléphone ou ne pas déposer le sien, par exemple). La fouille au corps et des cartables sera-t-elle  la prochaine étape de « la pause numérique » ?

La lutte contre le harcèlement en milieu scolaire est un sujet crucial mais elle passe par bien d’autres éléments. Le harcèlement en ligne ayant majoritairement lieu en dehors de l’école – avec néanmoins des effets directs sur le quotidien des élèves au collège –, le fait de laisser les téléphones dans des boîtes ne va pas régler le problème.

Par cette interdiction totale, l’Éducation Nationale n’est plus à une contradiction prêt : bannir le téléphone au collège et en même temps promouvoir à tout-va la dématérialisation à l’exemple des manuels scolaires numériques, ou supprimer la technologie en sixième dans une école où le numérique prend de plus en plus de place. Et que dire des collectivités locales qui pour des raisons d’affichage politique équipent massivement les élèves de façon individuelle d’outils numériques type tablettes, sans jamais réfléchir aux usages qui en sont fait.

Un casse tête organisationnel

Une fois de plus l’État se défausse sur le local, le ministère décide et à charge pour les établissements et les équipes de faire preuve d’imagination pour répondre à la commande et résoudre les difficultés générées. Cette interdiction du portable a été décidée sans concertation ni avec les organisations syndicales et fédérations de parents d’élèves, ni avec les équipes pédagogiques et éducatives qui ont découvert pour la plupart dans la presse locale que leur collège faisait parti du dispositif. Les établissements retenus sont essentiellement avec des effectifs réduits (moins de 350 élèves) et le plus souvent en zone rurale. Lorsqu’un collège plus important en taille est retenu, l’expérimentation se limite au seul niveau sixième, façon sans doute pour le ministère de s’assurer de la faisabilité de son test.

Sur le terrain, se pose pour les équipes des questions d’ordre logistiques, budgétaire et juridiques. Or la mise en œuvre du dispositif n’a pas systématiquement donné lieu à un groupe de travail  interne associant l’ensemble des personnels. Comment d’un point de vue pratique assurer « la récolte » des portables le matin et la restitution en fin de cours ? Où et comment les stocker en toute sécurité ? Qui sera chargé.e de contrôler que les téléphones sont bien déposés ? Il ressort des remontées de terrain que chaque établissement a sa méthode : une boîte par classe dans laquelle sont rangés les téléphones placés dans des enveloppes nominatives, des pochettes anti-ondes, des mallettes de stockage ou de simples pochettes plastiques faute de financement. Certains collèges ont opté pour l’achat de casiers sécurisés (dont les prix ont flambé à l’annonce ministérielle) sur leur fond propres. Car en effet, l’État ne participe pas au financement et les collectivités territoriales se trouvent devant le fait accompli. L’association « Départements de France », associations d’élu.es, estime le coût pour les départements, de la généralisation de casiers sécurisés pour les 6980 collèges à plus de 125 millions d’euros.

Des vies scolaires sous pression

Gérer l’arrivée et la dépose puis le départ et la récupération des téléphones portables nécessite du personnel. Une fois de plus la pression des directions est forte pour utiliser la vie scolaire comme variable d’ajustement de dispositifs qui s’empilent sans cohérence éducative. Les CPE et AED sont ainsi les personnels tout trouvés. Or la rentrée s’effectue sans emploi de CPE supplémentaires et avec des suppressions d’emplois d’AED. Trop de CPE ont aujourd’hui des effectifs d’élèves à suivre incompatibles avec un exercice serein de leurs missions. Des collèges sont encore sans CPE. Les tâches des vies scolaires sont déjà bien lourdes lors des entrées et sorties d’établissements pour en ajouter (présence au portail, surveillance des cours, préaux, couloirs, sanitaires, mise en rang…). Le ministère s’est bien gardé d’appréhender la complexité d’une telle interdiction au regard du fonctionnement réel d’un établissement. Quid des entrées et sorties échelonnées de centaines d’élèves. De véritables usines à gaz commencent à se mettre en place à l’image de ce collège où la direction a décidé pour la fin des cours de trois sonneries distinctes par niveau qui seront décalées de quelques minutes afin de permettre aux élèves de récupérer leurs portables dans le calme : 6ème-5ème puis 4ème et enfin 3ème. Le laps de temps de cinq minutes pris sur le temps de cours étant récupéré sur la pause méridienne.

Quid des horaires décalés des élèves d’une même classe par le jeu des options ? Des élèves en retard ? Ce sont des sollicitations incessantes pour les personnels qui se retrouvent accaparés au détriment d’autres missions. Quid de l’usage pédagogique du portable dans certains cours ? Les enseignant.es devront-ils et elles y renoncer alors que la loi de 2018 ne l’interdit pas ? Quid de l’articulation avec les horaires des transports en commun ? Parfois les élèves ont juste le temps de ranger leurs affaires et courir vers le bus pour ne pas le rater. La question des collégiens internes n’est pas plus envisagée.

Quelles responsabilités pour les établissements à conserver 300 à 900 portables, voire plus, dans un même lieu  au vu des sommes représentées ? Quelles responsabilités pour les personnels en cas de vol ou de dégradation ?  Tous les établissements auront-il d’ailleurs des locaux disponibles et sécurisés pour stocker cette masse de portables ?

C’est également la question du règlement intérieur qui doit être modifié. Sur quelle base procéder en l’absence de texte réglementaire et législatif autre que la loi de 2018 ? Quelles sanctions ou /et punitions en cas de non respect de la règle ? La déclinaison d’une telle interdiction ne risque telle pas de contrevenir au principe de l’égalité en ne reposant que sur une simple annonce ministérielle lors d’une conférence de presse ?

Pause numérique versus téléphone portable : l’arbre qui cache la forêt.

Pour le SNES-FSU une généralisation précipitée d’une telle mesure n’est pas envisageable. Quatre mois ne sauraient suffire pour l’étendre à l’ensemble des collèges, le coût financier et la mobilisation en personnels étant conséquents. De telles orientations exigent de se faire en concertation avec les équipes mais aussi en dialogue avec les organisations syndicales et fédérations de parents d’élèves dans les différentes instances représentatives. Retomber dans la période Blanquer avec les annonces faites dans la presse, qui plus est par une ministre démissionnaire donc sans légitimité démocratique, n’est pas acceptable. Un tel gaspillage de l’argent public et des ressources humaines déjà indigentes est inadmissible !

Alors que le ministère met le numérique au centre de l’École, le présentant comme une panacée, poussant à la mutation de la forme scolaire avec une utilisation omniprésente des outils numériques, « la pause numérique » qui nous est vendue ne peut se limiter à la seule question des téléphones portables des élèves. Pour le SNES-FSU, une véritable « pause numérique » doit reposer plus largement sur une politique de prévention visant à limiter une utilisation excessive du numérique : création d’espaces « sans écrans » dans les établissements, promotions d’activités non numériques,  réflexion sur l’intégration de temps identifiés sans écrans, « pauses numériques » dans les apprentissages dans le respect de la liberté pédagogique, droit à la déconnexion…


Vos questions
Le Snes défend les droits individuels et collectifs. Vos représentants vous répondent, vous conseillent et vous accompagnent.
Accès à la FAQ

Vous ne trouvez pas votre réponse, posez-nous votre question