Le vadémécum « Mettre en place les groupes de besoins » tente d'imposer plus qu'une structure de tri scolaire et social au sein des collèges : il cible la nature et la pratique de notre métier de professeur·e. Le SNES-FSU vous livre son analyse pour mieux combattre ce texte qui, rappelons-le, n'a pas de valeur règlementaire.

À travers le vadémécum « Mettre en place les groupes de besoins », il est possible de distinguer, de manière plus ou moins explicite, un ensemble de mesures appelées à percuter et dégrader très lourdement les métiers enseignants, pour les collègues de lettres et de mathématiques dans un premier temps. Mais le déploiement de ces axes de destruction massive de nos métiers n’a aucune raison de ne pas trouver, tôt ou tard, un prolongement aux autres disciplines, même si la forme peut en être différente.

Pour mettre à jour les mécanismes de démantèlement, on peut distinguer 7 axes  :

limiter drastiquement la liberté pédagogique et réduire les marges de manœuvre dont disposent les professeur·es pour leur action dans la classe ;

— installer un lien entre résultats des évaluations standardisées et déploiement d’une réponse pédagogique ciblée et prédéterminée ;

— poser les jalons de méthodes pédagogiques dites « explicites » dont la conception échappe en tout ou partie aux acteurs et actrices de terrain, qui sont réduits à de simples opérateurs appliquant ces méthodes ;

morceler les apprentissages (en segmentant l’année en périodes, en fractionnant les notions en items, les tâches complexes en micro-tâches…), ce qui induit un enseignement tourné vers la réussite aux tests (teach to test) et une perte de sens dans le travail scolaire et les savoirs pour les élèves et pour les professeur·es ;

modifier les pratiques d’évaluation et, pour une large part, en faire perdre la maitrise aux enseignant·es, en instaurant une « culture partagée de l’évaluation » visant à développer une pression sur les élèves et les collègues ;

augmenter la charge de travail des professeur·es et les détourner de tâches de conception des activités de classe au profit d’un travail d’organisation et de gestion des groupes ;

développer le nombre et la nature des intervenant·es auprès des élèves, dans la même discipline.

Ces axes de transformation visent à mettre en place une forme de taylorisme dans les tâches complexes d’apprentissages actuellement conduites par les professeur·es, en les découpant en tâches déconnectées les unes des autres, pouvant de ce fait être prises en charge par des personnels plus interchangeables, remplaçables, mais aussi cantonnés à des missions limitées et éventuellement répétitives. Le risque est d’y perdre la polyvalence indispensable à l’exercice d’un métier de conception complexe et de haut niveau, requérant une maitrise large d’un ensemble plus varié de compétences professionnelles. C’est ainsi, à travers le Choc des savoirs, que se joue une déqualification de nos métiers, parfaitement articulée avec le nouveau schéma envisagé pour la « formation » des futur·es enseignant·es.

La fragilité, au plan règlementaire, de ces prescriptions (un simple vadémécum sans valeur juridique contraignante) pourrait se trouver confortée par les nouveaux programmes, dont la ministre a demandé explicitement qu’ils s’appuient sur l’ensemble des documents (guides divers, documents d’accompagnement et guides pour l’enseignement des fondamentaux d’un genre nouveau) produits par la DGESCO depuis 2017. Dans ce cadre, l’affaiblissement des corps d’inspection, et notamment l’Inspection générale, serait un rude coup porté à l’attachement de la profession à la maitrise disciplinaire de haut niveau qui fonde depuis longtemps sa reconnaissance et qui justifie l’inscription du corps enseignant dans la catégorie A de la Fonction Publique.

Verbatim pour mieux éclairer les intentions de transformation

Axe 1 : Limiter drastiquement la liberté pédagogique et réduire les marges de manœuvre dont disposent les professeur·es pour leur action dans la classe

« L’organisation des enseignements de français et de mathématiques en groupe nécessite un travail en commun de l’équipe disciplinaire pour bâtir une action pédagogique concertée et mieux suivre les élèves. » (p. 21)

p.21 vadémécum

Les mathématiques sont particulièrement gâtées, puisqu’elles font l’objet d’un focus relatif à la trace écrite :

« En fonction de l’organisation arrêtée, les professeurs de français et de mathématiques réfléchissent collectivement à :
– une programmation harmonisée des chapitres, des séquences, du traitement des questionnements littéraires ;
– une progression commune des connaissances et des compétences à acquérir.
Ils réfléchissent aussi à la différenciation des enseignements en fonction des groupes. 
» (p. 22)

Le vadémécum va plus loin, et propose des exemples de progressions en français et mathématiques (p. 23 et en annexe).

Axe 2 : Installer un lien entre résultats des évaluations standardisées et déploiement d’une réponse pédagogique ciblée et prédéterminée

Le vadémécum incite à réunir les équipes pour qu’elles prédéfinissent en commun les actions pédagogiques à mettre en œuvre en fonction des difficultés ou des réussites des élèves aux items des évaluations nationales.

« Les professeurs proposent les régulations utiles en croisant leurs observations avec l’ensemble de l’équipe pédagogique. » (p. 18).

p.18 du vadémécum

Mais l’uniformisation et la systématisation des réponses aux difficultés révélées par les évaluations ont une dimension encore plus préoccupante à la fin du vadémécum quand sont évoqués les outils et ressources que la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) met en ligne à destination des professeur·es :

Axe 3 : Poser les jalons de méthodes pédagogiques dites « explicites » dont la conception échappe en tout ou partie aux acteurs et actrices de terrain, qui sont réduits à de simples opérateurs appliquant ces méthodes 

Pour cet axe, les choses sont davantage « codées » dans le vadémécum et ne sont peut-être pas immédiatement perceptibles à qui n’est pas familier avec ce que les Québécois nomment « enseignement explicite ». « L’enseignement explicite » est une pratique qui se prévaut d’être fondée sur des données probantes (« Evidence based Practice»), c’est-à-dire qu’il est censé être basé sur des faits observables démontrant une efficacité statistique (par ailleurs très discutée par les scientifiques spécialisé·es dans les sciences de l’éducation et des apprentissages).

Quelques passages-clés illustrent la tentative d’introduction de ces méthodes très standardisées, qui prescrivent un déroulé immuable à chaque séance (p. 24) :

Un exemple de méthode concerne directement les mathématiques. Il est développé dans un encadré spécifique qui s’ouvre sur « le triptyque Manipuler-Représenter-Abstraire», caractéristique de la méthode dite « de Singapour », dont on nous vante « le cadre structurant apprécié » (p. 26). On trouve aussi, dans ce développement, les mots imagés du principal promoteur de l’enseignement explicite, Steve Bissonnette, qui enjoint les professeur·es puis les élèves à « mettre un haut-parleur sur leur pensée », c’est-à-dire à verbaliser systématiquement ce qu’ils font étape par étape.

Le vadémécum renvoie par ailleurs sans aucune ambigüité à l’enseignement explicite, tel que présenté par le CSEN (Conseil scientifique de l’Éducation nationale) dans une note en bas de la page 25.

Axe 4 : Morceler les apprentissages (en segmentant l’année en périodes, en fractionnant les notions en items, les tâches complexes en micro-tâches…), ce qui induit un enseignement tourné vers la réussite aux tests (teach to test) et une perte de sens dans le travail scolaire et les savoirs pour les élèves et pour les professeur·es

L’objectif de l’enseignement et singulièrement des évaluations est détourné. Les évaluations servent à classer les élèves selon des seuils, à cibler des points précis à travailler avec les différents groupes.

« L’ensemble des pratiques d’évaluation – formelles (évaluations nationales, travail écrit sur un temps long, épreuves…) et informelles (observations, vérifications à l’oral…) participent de la connaissance que les professeurs ont des élèves. […] Ces évaluations permettent d’ajuster la composition des groupes durant l’année. À cette même occasion, des évaluations diagnostiques non notées peuvent également servir à des fins prospectives afin d’ajuster les groupes.

p.29 du vadémécum

« Entre chaque période déterminée par l’établissement, la composition des groupes est reconsidérée sur la base de l’expertise croisée des professeurs. »

p.18 du vadémécum

Le risque est de perdre le sens général des notions à enseigner et même de l’enseignement, la composition des groupes conditionnant doublement les apprentissages : de façon matricielle puisque les besoins définis pour chaque groupe fixent le contenu des cours et les stratégies pédagogiques à déployer ; de façon téléologique, l’aboutissement d’une séquence d’enseignement devenant l’ajustement des groupes.

Axe 5 : Modifier les pratiques d’évaluation et, pour une large part, en faire perdre la maitrise aux enseignant·es, en instaurant une « culture partagée de l’évaluation » visant à développer une pression sur les élèves et les collègues

Le vadémécum ne s’embarrasse pas de fioritures, et annonce sans ambigüité le programme :

  • l’exhortation à « construire des progressions partagées et [à] mettre en place des évaluations communes, garantes d’un niveau d’exigence concerté et commun. Les professeurs proposent les régulations utiles en croisant leurs observations avec l’ensemble de l’équipe pédagogique » (p. 18)
  • le développement d’une banque nationale d’évaluations standardisées dans laquelle puiser tout au long d’une année scolaire : « Début novembre 2024, outre les évaluations nationales en début d’année scolaire, la DEPP prévoit de mettre à disposition des professeurs une bibliothèque d’outils de positionnement, de tests organisée par grands domaines de compétences, permettant aux professeurs de mesurer les acquis des élèves en s’appuyant sur des outils standardisés. » (p. 30)
  • la montée en charge de cette banque, en deux temps : « Dans un premier temps, la DEPP mettra à disposition des outils de positionnement sur les niveaux 6e et 5e au format pdf à télécharger sur Eduscol […] Dans le courant de l’année scolaire 2024-2025, cette bibliothèque sera enrichie d’autres tests en 6e et en 5e. À partir de novembre 2025, des tests seront mis à disposition sur les niveaux 4e et 3e. » (p. 30-31)

Axe 6 : Augmenter la charge de travail des professeur·es et les détourner de tâches de conception des activités de classe au profit d’un travail d’organisation et de gestion des groupes

Les évaluations envisagées qui resteraient à la main des collègues intervenant dans les groupes représentent une masse de travail colossale pour « Évaluer finement les progrès des élèves » :

Mais la liste n’est pas limitative, et on appréciera l’art de pointer la charge de travail induite :

« Toute autre pratique peut être envisagée, dès lors que la réflexion de l’équipe a permis de l’identifier comme favorable aux progrès des élèves dans le cadre du travail en groupes, comme permettant d’associer élèves et parents au suivi de ces progrès, et comme soutenable dans la durée pour les professeurs. »

p.30 du vadémécum

Naturellement, le ministère produisant des évaluations standardisées toutes faites, la tentation de les utiliser de manière systématique et permanente est renforcée…

Au passage, le vadémécum insiste sur le rôle du conseil de classe, dans cette nouvelle organisation des enseignements de mathématiques et de français et déclare qu’il peut aussi être « intéressant d’ajuster son organisation » :

Toutes ces pistes sont évidemment très chronophages mais, comme si cela ne suffisait pas  :

« La liaison école-collège, le conseil de cycle 3, les conseils pédagogiques, les conseils d’enseignement par niveau sont également des instances à mobiliser pour identifier les besoins des élèves en se fondant sur les résultats obtenus et sur la connaissance que les professeurs ont de leurs élèves. »

p.17 du vadémécum

La charge de travail induite et cumulée pourrait enfin bien conduire nombre de collègues à se détourner des tâches de conception des activités de classe au profit d’un travail quasi permanent d’organisation des groupes et de gestion des données produites par les évaluations. C’est dans ce cadre que les manuels « labellisés » pouvant de fait remplir le rôle de « prêt-à-enseigner » pourraient entrer en jeu, et finir de déposséder les professeur·es d’une activité habituellement prisée : une atteinte grave à notre professionnalité !

Axe 7 : Développer le nombre et la nature des intervenant·es auprès des élèves, dans la même discipline.

Les professeur·es des écoles sont ainsi appelé·es à intervenir toujours davantage au collège, jusqu’à la classe de Troisième comprise :

« Les professeurs des écoles continuent d’intervenir au collège.
Ils interviennent dans Devoirs faits […] 6e et […] 5e, 4e et 3e. Ils prennent en charge prioritairement les heures supplémentaires de soutien prévues en 6e […] à destination des élèves les plus en difficulté.
En co-intervention, ils interviennent prioritairement auprès du groupe des élèves à besoins en français et mathématiques. »

p.23 du vadémécum

Mais les collègues du collège sont également des éléments qui peuvent agir sur la classe d’un autre collègue :

« Lorsque les élèves sont regroupés en classe entière, le professeur surnuméraire peut intervenir en co-enseignement favorisant ainsi la cohésion de l’équipe et la capacité d’agir auprès des élèves »

p.23 du vadémécum

La condition en est évidemment que le professeur surnuméraire existe (donc qu’il y ait eu une dotation supplémentaire) et qu’il soit disponible… Cela implique, au passage, une forme de modulation accrue de son service par rapport aux autres collègues, ouvrant la porte à des formes d’annualisation des services.

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