Malgré l’éparpillement apparent des mesures, cet ensemble fait système, pour une réforme qui entend instaurer :

  • d’une part, un processus continu de sélection des élèves dès l’entrée en Sixième et jusqu’à leur sortie du système éducatif pré-bac, soit précoce au moment de leurs 16 ans, soit au moment de leur accès au Supérieur, en lien avec les réformes précédentes des lycées et de Parcoursup. Ce tri programmé des élèves, sur la base de leur réussite, et donc pour une large part, selon leur milieu social, est opéré par étapes lors de leur parcours dans le Second degré, avec un moment-clé à l’occasion du DNB, transformé en examen couperet d’entrée dans tous les types de lycées ;
  • d’autre part une modification en profondeur de la professionnalité des personnels, enseignant·es, CPE, Psy-EN, qui programme leur dessaisissement des aspects de conception de leur métier, pour les transformer en exécutant·es soumis à des formes de standardisation des pratiques, à une évaluation permanente et « objectivée », ouvrant la voie à un renforcement des logiques managériales, dans une perspective d’en faire aussi des agent·es sans états d’âme du tri des élèves décrit ci-dessus.

Dans ce projet, la place des « Savoirs » n’est pas celle que pourrait faire croire l’intitulé du projet.

Il ne s’agit pas de doter tous les élèves des savoirs, pour leur permettre une émancipation intellectuelle, géographique et sociale, mais de mettre ces savoirs à la disposition des élèves, à les sélectionner par leurs capacités à les assimiler, à les assigner à résidence sociale après les avoir rendus responsables à titre personnel, de leur assimilation. Il ne s’agit pas non plus d’asseoir la professionnalité, notamment enseignante, sur la maîtrise des savoirs et leur transmission, dans une forme qui s’adresse à l’ensemble des élèves, mais d’encadrer leur transmission dans un cadre standardisé, le plus souvent figé, au moindre coût, et d’assurer l’interchangeabilité des personnels pour une large part de leurs missions, et la flexibilité des cadres qui les protégeaient jusque là, et notamment les cadres statutaires.

Concernant les métiers, plusieurs opérations en cours donnent un aperçu net des objectifs poursuivis par le gouvernement, dans le droit fil des annonces d’ Emmanuel Macron en août 2023 :

Dans deux lettres de saisine datées du 13 mars, la ministre Nicole Belloubet fixe la feuille de route du CSP. La mise en œuvre concrète des attentes de la ministre, les éléments principaux d’objectifs, de calendrier et de méthode sont détaillés ci-dessous.

Une réécriture du socle commun de connaissances, de compétences et de culture

Le nouveau socle devra être organisé autour de 4 grands axes :

  • connaissances et compétences fondamentales en français ;
  • connaissances et compétences fondamentales en mathématiques ;
  • compétences psychosociales ;
  • repères de culture générale 

Chaque nouveau programme devra identifier des compétences psychosociales à acquérir (dont une définition fondée sur le référentiel de Santé Publique France est donnée), ainsi que des repères de culture générale, contribuant notamment à « un sentiment d’appartenance à la communauté nationale ». L’histoire des arts, dans le cadre de cette « culture patrimoniale partagée » resurgit, et doit « trouver sa place dans les repères disciplinaires ». Ces repères de culture générale « devront pouvoir faire l’objet d’évaluations dans le cadre des enseignements et du DNB, de sorte qu’ils soient suffisamment maitrisés à la fin de l’année de Troisième ».

Certaines disciplines sortent ainsi du socle commun, et ne sont donc plus considérées comme indispensable à son acquisition. Elles sont mêmes au service des connaissances et compétences fondamentales en français et en mathématiques, puisque tous les nouveaux programmes devront identifier la contribution de chaque discipline à la « mobilisation de ces compétences fondamentales ».

Il s’agit donc d’un socle réduit à un minimum pour toutes et tous, proche de la philosophie de celui de la Loi Fillon en 2005, que la profession avait déjà vivement contesté. Il sera sans doute évalué au DNB, rénové dans une forme qui n’est pas définie à ce jour, mais dont le contrôle terminal devrait représenter 60 % de la note finale. Contestant toute logique de socle, le SNES-FSU récuse ce nouveau socle commun et ses quatre « familles de compétences »

Le concept de « fondamentaux » renvoie à des éléments sommaires de français et de mathématiques. Les items érigés en fondamentaux (orthographe, fluence, calcul, maîtrise de procédures et reconnaissance de situations-types et application des procédures liées) ne se polarisent que sur des objets dont l’acquisition est facilement mesurable et vérifiable par les évaluations nationales standardisées de type PISA, déconnectées de la réalité des classes. Ces « fondamentaux » instaurent une École à deux vitesses qui s’incarne dans les « groupes de niveau » instaurés dès la classe de Sixième tout au long du collège. Élément de langage récurrent pour justifier la réforme du collège, ce concept de « fondamentaux » est aussi présenté comme un continuum pédagogique qui justifierait la mise en place d’une école dite “fondamentale” ou « école du socle », qui irait du CP à la Troisième. Notons également que l’exemple de l’Allemagne, qui a réformé son enseignement des mathématiques en 2008 pour se conformer aux attentes de PISA, montre que les progrès de son système éducatif dans ses évaluations ont été de courte durée : les résultats allemands étaient en baisse, bien plus que ceux de la France et de l’ensemble de l’OCDE, lors de la dernière campagne : la preuve que la course à la réussite de court terme à ce genre de mesure n’a pas d’effets positifs durables, quand bien même elle produit des effets de court terme très passagers, mais qui tirent in fine tout le système vers le bas… ou le maintient dans un régime à plusieurs vitesses.

Quelques liens : Fondamentaux versus culture commune ; Renforcer les fondamentaux en mathématiques, de quoi parle-t-on réellement ? Note de service sur le cycle 3 et les savoirs fondamentaux : analyse pour la partie français ;

La « culture générale » s’inscrit dans une vision individualiste et utilitariste de l’éducation, proche du « SMIC culturel » avec la volonté réactionnaire de restreindre la culture à quelques éléments de patrimoine réducteurs et contestables (du type de certains jeux de société ou télévisés ? ), très prisés des nostalgiques d’une École qui n’a jamais été celle de toutes et tous, dont la transmission serait un des garants de la Nation. Elle renvoie aussi à une identité nationale, excluant de fait des éléments de diversité culturelle et sociale.

De nouveaux programmes à venir, en collège et lycée

Certains projets de textes ou de programmes devront être revus et publiés au plus tard sur le site du CSP en octobre 2024 pour une application à la rentrée 2025 (sans-doute avec une phase de consultation de la profession entre ces deux dates ) :

  • révision du socle commun de connaissances, de compétences et de culture
  • réécriture des programmes de français et de mathématiques du cycle 3
  • réécriture des programmes de LVER de la Sixième à la Terminale
  • définition de la nouvelle épreuve anticipée de mathématiques en Première GT, avec « les éventuels ajustements nécessaires des programmes du lycée général et technologique » (donc possiblement de Seconde et de Première).

Les autres projets de programmes devront être publiés sur le site du CSP au plus tard en juin 2025 pour une application à la rentrée 2026 (sans-doute avec une phase de consultation de la profession entre ces deux dates):

  • réécriture des programmes de français et de mathématiques du cycle 4
  • révision de l’ensemble des autres programmes, du cycle 1 au cycle 4, en articulation avec le nouveau socle commun.

Quant aux programmes récemment revus ou en cours de révision (sciences et technologie au cycle 3, technologie au cycle 4, EMC), il est précisé « qu’ils seront harmonisés avec l’ensemble des programmes, en tant que de besoin, dans la même logique d’annualisation et dans le cadre du socle commun révisé » (publication au plus tard en juin 2025 pour une application à la rentrée 2026).

Il s’agit d’une révision au pas de charge : les groupes de travail (GT) et les groupes d’élaboration des projets de programmes (GEPP) auront, pour le premier ensemble de textes, moins de 6 mois de réflexion, et pour le second environ un an. La composition des GT et des GEPP a commencé à être mise en ligne sur le site du CSP. On peut constater une faible représentation de professeur·es du second degré, et a contrario une très forte représentation des corps d’inspection.

La logique générale des futurs programmes (commande ministérielle publiée dans la lettre de saisine de la ministre au CSP).

– Les programmes devront être construits « à partir de ce que l’élève doit apprendre et savoir, en proposant des exemples concrets de ce que le professeur doit enseigner à cette fin… ».

« ils seront structurés en objectifs annuels, ce qui n’exclut pas des points d’étapes en fin de cycle ».

« ils devront prendre pour modèle les repères de progression et les attendus annuels publiés par le ministère en présentant des exemples de réussite et de progression d’une compétence d’une année sur l’autre ».

« Le Conseil Supérieur des Programmes prendra en compte les résultats de la recherche la plus récente, les pratiques les plus éprouvées, ainsi que les recommandations, circulaires pédagogiques, et guides pour l’enseignement des fondamentaux conçus par le ministère depuis 2017. »

Le principe de structuration des nouveaux programmes en objectifs annuels est positif. Le SNES-FSU défend des programmes nationaux, construits dans une cohérence globale, déclinés annuellement, permettant de construire des savoirs pour une culture commune ambitieuse dans toute sa diversité.

Ces programmes devront être « facilement compréhensibles pour les familles »dans la perspective – optimiste – de leur bonne acceptation par les parents, ou, plus préoccupante, de leur encouragement à aider ou, le plus souvent, faire aider leurs enfants quand ils le pourront…

Le cadre général de cette réécriture des programmes est très clairement fixé par la citation évoquant « les recommandations, circulaires pédagogiques, et guides pour l’enseignement des fondamentaux conçus par le ministère depuis 2017 », et il est inquiétant. Il s’agit de parachever la transformation de l’École engagée depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, surtout portée par Jean-Michel Blanquer. En effet, les pièces du puzzle ont été mises en place et s’assemblent dorénavant, au travers de cadres et textes qui, bien que publiés sur Eduscol, n’avaient jusqu’à présent qu’une portée limitée et surtout non contraignante.

Ces guides multiples qui s’empilent sur Eduscol (en lettres et surtout en mathématiques depuis plusieurs années, notamment dans le cadre des Plans lettres et mathématiques), pourraient bien trouver à l’occasion de la réécriture des programmes du collège une certaine légitimité.

Des cadres pédagogiques normatifs


La multiplication des prescriptions et la mise en avant de méthodes, de formation dans des cadres pédagogiques normatifs interrogent.
Ainsi, la mention sans ambiguïté des « résultats de la recherche » et des «  pratiques les plus éprouvées » font écho à ce que les Nord-américains nomment  « enseignement explicite » ou « enseignement basé sur les preuves » (evidence-based), déployé au Québec, aux USA, en Australie, dans le cadre d’une dépossession des choix pédagogiques exercés par les professeur·es.

La méthode de « l’enseignement explicite », censée permettre à tous les élèves de progresser dans tous les contextes et tous les cadres, est désormais porté par le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN).

Un des exemple de méthode d’enseignement explicite est la « méthode de Singapour » en mathématiques, dont la transposition hors de son cadre de conception initial, et sans en reprendre les conditions sociales ni professionnelles de mise en œuvre, est surtout le signe d’une grave attaque contre les libertés pédagogiques des enseignant·es.

Ainsi, les textes issus des travaux du CSP devront permettre « d’accompagner les professeurs dans l’organisation, la conception et la mise en œuvre de leur enseignement », dessinant là les contours de cette pédagogie officielle à laquelle devront être soumises leurs pratiques de classe…

Si les saisines du CSP ne l’évoquent évidemment pas, nul doute que la formation continue sera mise à contribution pour transformer les pratiques dans le sens des choix opérés par la commande de la ministre.

C’est le modèle des « Lesson studies » qui semble avoir les faveurs ministérielles, après avoir déjà été recommandées par le rapport Villani-Torrossian pour les mathématiques, et déployées dans les dispositifs de formation accompagnant le déploiement des Plans français et mathématiques du Premier degré depuis 7 ans, dans le cadre des « Constellations ». Pour le Second degré, des tentatives pour le moment isolées sont d’ores et déjà recensées, plaçant parfois des collègues en position traumatisante de « cobayes », lors de journées de formation où ils sont, par exemple placés en situation d’évaluation par des « pairs » (collègues présents en formation et IPR !) au cours d’une mise en oeuvre, devant une classe totalement inconnue, d’une séance préparée collectivement le matin même…

Mieux cerner la nature et l’ampleur des évolutions en cours

Sur l’ensemble de ces questions, le SNES-FSU documente et recense les objectifs, pratiques et méthodes d’enseignement et de « formation », et mettra à disposition des collègues ses analyses. Quelques références peuvent tout de même déjà être consultées :

– Enseigner plus explicitement ou enseignement explicite ? Dossier de l’IFE 

– Pédagogie explicite, par Patrick Rayou, chercheur en sciences de l’éducation : https://journals.openedition.org/rechercheformation/3546

Méthode de Singapour :

https://www.univ-rouen.fr/actualites/maths-la-methode-de-singapour-remede-ou-mirage/

https://irem.univ-grenoble-alpes.fr/revues/grand-n/consultation/numero-104-grand-n/3-la-methode-de-singapour-surface-emergee-de-l-iceberg-singapourien-581126.kjsp

Lesson studies :

https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2021/02/210202_Notes-experts_Gyori.pdf

https://irem.univ-rouen.fr/lesson-study

Analyse des lettres de saisine de la ministre au CSP : éléments de cadrage disciplinaires.

Le SNES-FSU propose ici des éléments d’analyse, des attentes de la ministre Nicole Belloubet, exprimées au travers des lettres de saisine. Il s’attachera à faire partager à la profession la réflexion sur les évolutions en cours de nos métiers, au travers de la défense des enseignements du Second degré, des disciplines et des collègues.

L’écriture des nouveaux programmes de français pour les cycles 3 et 4 se fera sur le modèle de ceux des cycles 1 (maternelle) et 2 (CP-CE1-CE2) dont les projets ont été publiés. Cela signifie :

  • que « l’objectif principal » en sera la « maîtrise de la langue dans ses trois dimensions (langage oral, lecture et écriture)».
  • que ces programmes prescriront explicitement ce que doit savoir et doit savoir-faire un·e élève à la fin de chaque année, voire au terme de certaines périodes de l’année.
  • qu’ils chercheront à encadrer de manière très serrée les contenus et les pratiques des professeur·es de français, à l’aide d’indicateurs quantitatifs.

Pour le SNES-FSU, c’est sans doute ce dernier aspect qui constitue la menace la plus importante sur notre métier.

En effet, on lit dans la lettre de saisine que « les programmes donneront pour chaque année du CM1 à la 3e des indications sur le nombre et la longueur des textes lus et écrits ». Quand on lit les projets de programme déjà publiés pour les cycles 1 et 2, on voit, à longueur de pages, des normes : vitesse de lecture (nombre de mots à la minute), nombre de phrases à recopier ou à produire, activités à faire quotidiennement ou plusieurs fois par semaine… Tous ces critères mesurables et ces « objectifs précis et ambitieux qu’il s’agit de définir explicitement » ne feront que peser lourdement sur les élèves, sommé·es d’atteindre à brève échéance les performances définies explicitement, mais aussi sur les professeur·es qui ne pourront concevoir leurs cours que dans le cadre très étroit de multiples prescriptions standardisées et chiffrées. Le SNES-FSU ne peut que s’opposer à ces intentions de réécriture des programmes dans la mesure où le quantitatif écraserait le qualitatif, et l’expertise des professeur·es. Le nombre de lignes d’une rédaction ou le nombre de pages d’un livre ne saurait constituer le critère majeur permettant d’établir la valeur du travail d’un·e élève ou d’un·e professeur·e.

La lettre de saisine du CSP met aussi en évidence le grand retour de l’histoire littéraire : les grands courants littéraires fourniront sans doute quelques-uns des repères de culture générale sur lesquels les collégien·nes pourraient être évalué·es à la fin de la Troisième. Les problématiques qui soutiennent les objets d’étude actuels et qui permettent souvent aux élèves d’entrer avec plus de facilité et d’intérêt dans les œuvres ou extraits étudiés, disparaîtront-elles au profit d’une suite chronologique d’étude des mouvements littéraires ?

L’esprit général des programmes est appelé à conforter, de fait, la logique des « groupes de niveaux » que le SNES-FSU refuse, avec une très large partie de la profession, l’objectif affiché étant de concilier « exigence et réussite » des uns, « progression des élèves en situation de fragilité », et « lieu ou filles et garçons pratiquent les mathématiques avec confiance et plaisir ».

La tentation sera grande, pour résoudre la quadrature du cercle, de diversifier les approches, les ambitions et les attendus, de recourir à ces groupes plus homogènes mais qui briseront les dynamiques collectives de progrès, d’échanges et isoleront les élèves les plus fragiles, malgré la promesse – inatteignable dans ce cadre – d’atteinte d’objectifs communs, promesse d’ailleurs écornée par le propos liminaire : il s’agit bien de « concilier » les divers niveaux (autrement dit, de le gérer), pas de résorber les écarts…

L’ambition reste, et c’est une bonne chose, la formation des élèves au raisonnement et à la démonstration comme objectifs essentiels, même s’il ne s’agit que d’une « initiation à la démonstration », mise en regard de l’objectif de faire de la « résolution de problèmes » le cœur de l’activité des élèves. Cette dernière fait évidemment écho au type de problèmes posés dans le cadre des évaluations standardisées (de type PISA, ou même du ministère) dans lesquelles la méthode de résolution, les pistes suivies, la réflexion ne sont pas évaluées, seul le résultat final l’étant réellement. Cela encourage la mise en place de stratégies-type, de la reconnaissance quasi-automatisée de situations sur lesquelles plaquer un résultat ou une technique, sans construire de questionnement ou d’argumentation précise et rigoureuse, sans travailler l’expression et la qualité de rédaction de la réponse… C’est donc en rester pour de nombreux élèves à un niveau qui ne leur permettra pas de construire et exercer une forme d’esprit critique ou d’abstraction qui leur sera pourtant indispensable dans leur vie de citoyen.ne, ou de poursuite d’études. Par ailleurs, l’ambition affichée de pratiquer la démonstration « dans tous les domaines des mathématiques, de la statistique à l’algorithmique » dit la ministre – interroge sur sa faisabilité en collège…

La méthode de Singapour n’est pas explicitement mentionnée, mais l’insistance sur « le tryptique manipuler, représenter, abstraire » et sur « la verbalisation de l’élève comme du professeur » dessine en creux son introduction, comme modalité d’« enseignement explicite »…

Dans le détail, la saisine du CSP aborde classiquement la numération ; le passage du calcul numérique au calcul littéral ; les grandeurs et mesures ; la géométrie ; la gestion des données, les statistiques et les probabilités. De manière nouvelle, et qui devra être définie avec soin, est mentionné le « développement de la pensée informatique », en lien avec la technologie

Numération : les factions et décimaux seront introduits dès le début du CM1, soit plus tôt qu’actuellement, dans la continuité d’un travail de préparation conduit dès le cycle 2 (CP à CE2). L’insistance est mise sur l’automatisation des procédures de calcul, notamment au travers du calcul mental, et de l’apprentissage des tables. En parallèle, les élèves devront se constituer une « bibliothèque mentale » de situations types dans lesquelles appliquer des procédures relevant d’automatismes.

Du calcul numérique au calcul algébrique : ce passage est élevé au rang d’enjeu fondamental du collège, et devra être introduit dans diverses dimensions (« représentations variées »), avec la perspective de mettre en évidence la puissance de la formalisation algébrique en termes de « calcul, mais aussi de raisonnement et de démonstration ». La démonstration par le calcul montre ici les limites de l’apprentissage réel de ce qu’est une démonstration et une preuve, au risque de la réduire à la maîtrise d’une technique de calcul…

Grandeurs et mesures : seront au programme les relations entre grandeurs, grandeurs nouvelles (vitesse, aire et volume (?)), et la proportionnalité, sans doute interrogées et réinvesties classiquement sous l’angle des fonctions linéaires, encore que la notion de fonction semble devoir être abordée plus en profondeur qu’actuellement. Les élèves seront exercés à produire (sans doute mentalement, dans le cadre du travail sur les nombres) des ordres de grandeur de manière à pouvoir critiquer un résultat.

Géométrie : l’ambition se limite à l’initiation à la démonstration, ce qui risque d’être loin de permettre de développer une pensée argumentative réellement structurée. L’accent est plus nettement mis sur la reconnaissance de configurations-types, .

La manipulation, notamment numérique, de figures et de transformations vise essentiellement à installer une mémoire visuelle des configurations géométriques courantes, et du traitement algorithme de grandeurs associées, de manière assez automatisée et plutôt peu sur le mode du questionnement ou de la mise en débat de la vérité ou de la réalité matérielle d’une figure vue. La notion de preuve risque d’être supplantée assez vite par le conditionnement quasi-pavlovien du traitement numérique des configurations…

Gestion des données, statistiques et probabilités : la principale nouveauté résulte ici de l’introduction des probabilités dès le début du cycle 3, au CM1, et des statistiques dès le cycle 2. Il s’agit ici clairement d’apprendre à utiliser des outils mathématiques dans le champ des autres disciplines (géographie, sciences et technologie sont citées) et de manière très concrète. S’agissant des probabilités, il sera sans doute difficile d’éviter les situations assez artificielles…

Développement de la pensée informatique : c’est de loin le passage qui interroge le plus quant aux objectifs assignés aux apprentissages des élèves, même si se dessine en creux dans la commande ministérielle l’algorithmique et les concepts fondamentaux de la programmation : manipulation d’algorithmes, leur modification, leur analyse ou mise en place.

A ce propos, il faut noter la commande ministérielle, exprimée dans une seconde lettre de saisine, de la volonté de développement d’une « culture de l’IA ». En un sens, la connaissance des « faits algorithmiques » pourrait y contribuer. Il n’en est probablement rien, la ministre demandant au CSP de développer une « utilisation raisonnée des possibilités des outils utilisant l’intelligence artificielle », laissant par là craindre que les élèves ne soient vus que comme utilisateurs – éclairés, mais utilisateurs – d’outils numériques « intelligents » et de leur « véritable plus-value »…

Au final, l’ensemble dessine, sans surprise, pour le collège et les cycles 3 et 4 une vision assez austère et surtout très mécanique des mathématiques, qui rejette tous ses éléments contextuels, civilisationnels ou historiques, ou ses questionnements qui pourtant peuvent être porteurs de sens pour la discipline, et pour le développement d’une vision humaniste de cet enseignement. Mais peut-être que les éléments de « culture générale » qui doivent traverser les programmes y seront associés… On peut toutefois en douter, l’objectif de cette dernière relevant davantage du Trivial Pursuit ou de l’encadrement d’une jeunesse, centré sur la Nation, que de la construction d’un·e citoyen·ne du monde ou de l’histoire de l’Humanité…

L’introduction d’une épreuve de mathématiques anticipée en fin de Première, sur le modèle de l’épreuve anticipé de français, soulève de nombreuses questions sur le périmètre de cette épreuve. En effet, 4 publics différents y seront soumis au vu de la saisine du CSP : les deux profils d’élèves de la voie technologique (ceux n’ayant que le tronc commun au programme, et ceux ayant un enseignement approfondi dans le cadre de la Spécialité sciences physiques et mathématiques, cette dernière catégorie étant oubliée par la ministre dans sa lettre de saisine…) et deux profils d’élèves de la voie générale (ceux suivant l’enseignement spécifique de mathématiques dans le cadre du nouveau périmètre de l’enseignement scientifique et ceux suivant la Spécialité mathématiques). Aucune indication particulière n’a à ce jour été mise en débat, alors que l’épreuve est annoncée pour la session 2025 du baccalauréat, et il serait regrettable que le ministère soit, comme souvent depuis la mise en place du Lycée Blanquer, dans l’incapacité de donner toutes les informations utiles aux élèves et professeues lors de la rentrée de septembre 2024

Sur le fond, et pour la voie générale, cette épreuve anticipée semble devoir exclure toute poursuite de l’enseignement de mathématiques pour tous les élèves en Terminale : les critiques faites lorsque les mathématiques ont été sorties du tronc commun restent donc toujours d’actualité, et pour longtemps.

De ces épreuves pourront naître des évolutions dans les programmes de Seconde et Première : certaines d’entre elles semblaient déjà être indispensables pour assurer une bonne transition entre la Troisième et la Seconde, et le SNES-FSU le demandait. D’autres sont rendues nécessaires par les possibles redondances entre certains éléments de l’enseignement scientifique, et les notions au programme en Spécialité.

L’introduction annoncée du recours à l’IA pour la remédiation en Seconde est également une possible cause d’évolution, même si pour le moment personne ne peut dire dans quelle mesure. Il serait en tout cas problématique de transférer à la machine et à l’autonomie des élèves un certain nombre de points de remédiation, notamment sur les aspects qui ne relèvent d’aucune forme de maîtrise des automatismes techniques.

Les lettres de saisine de la ministre reprennent les annonces de Gabriel Attal dans sa communication de décembre, quant à la justification de la réforme : “faible capital de vocabulaire et de grammaire”, besoin de repères annuels (néanmoins déjà existants), “culture générale” (lien avec le nouveau socle).

Les commandes ministérielles sont orientées dans trois directions : marche forcée vers une école numérique (utilisation différenciée de l’intelligence artificielle selon le niveau de compétence linguistique des élèves), accent mis sur l’amélioration du niveau de langue, notamment en anglais, par des prescriptions plus fortes concernant le lexique et la grammaire, et l’absence de référence à certaines approches pédagogiques : plus un mot sur les compétences, même de communication, ni sur l’approche actionnelle. À l’inverse, un retour à des logiques de mémorisation semble possible : « points grammaticaux et vocabulaire à maitriser chaque année ».

A noter : présence de beaucoup d’IPR dans les GEPP, surtout des langues “majoritaires”.

Le terme « sciences » pose problème. Serait-il question d’un programme de sciences de type EIST (enseignement intégré de sciences et technologie) pour le cycle 4 ? On ne peut qu’être inquiet·e sur la nature de cette commande ministérielle, d’autant plus que les axes du nouveau socle commun n’évoquent explicitement ni les sciences de la vie et de la Terre, ni la physique-chimie.

En outre, contribuer « à la formation à la démarche scientifique » ne peut se faire qu’avec des effectifs réduits et des dédoublements… ce qui n’est pas vraiment dans l’air du temps !

Sans exclure « des points d’étape en fin de cycle », la lettre de saisine ministérielle évoque une progression annuelle, ce qui est positif, tout comme le fait d’introduire une « dimension épistémique » des disciplines scientifiques.

Enfin, la lettre de saisine précise que « l’ensemble des enseignements doit contribuer à l’acquisition de connaissances et de compétences précises dans le domaine de l’éducation au développement durable et à la transition écologique ».

Pour le SNES-FSU, ce n’est pas « une touche de vert » supplémentaire rajoutée à l’ensemble des programmes, et même à ceux les plus éloignés dans leurs contenus des questions environnementales, qui permettra aux élèves de s’approprier ces questions. Un référentiel de « compétences vertes » ne peut être non plus la réponse attendue face à ces problématiques sociétales, pas davantage que la certification « écologique des établissements ».

Pour le SNES-FSU, permettre aux élèves de s’emparer de ces questions sociétales est un enjeu majeur. Développer leur esprit critique par l’apport de connaissances construites grâce à la recherche est incontournable. Des formations conçues pour que les enseignant·es puissent échanger et travailler avec des chercheurs et chercheuses sont indispensables.

Pour l’histoire, sans surprise, la lettre de saisine met en avant le « fil chronologique » dont l’élève devra, à l’école primaire, prendre conscience en abordant « le temps long, de la préhistoire jusqu’à nos jours ». On se demande comment il sera possible de concilier cet aspect de la commande avec un autre : éviter les répétitions pour « garantir la progressivité entre l’école et le collège ». Cette demande de progressivité en suivant le fil chronologique n’est pas non plus cohérente avec l’idée qu’il revient au collège « d’enrichir » l’enseignement de l’histoire avec une « l’approche laïque du fait religieux » qui reposerait notamment sur l’étude des religions anciennes (Grèce et Égypte sont citées, ce qui n’est pas d’une originalité ébouriffante).

Pour le SNES-FSU, si la dimension civique d’un enseignement scolaire de l’histoire est à prendre en compte, les religions ne sont que des faits sociaux parmi d’autres utiles pour comprendre le présent et y trouver sa place de citoyen·ne. A cet égard, la lettre de saisine fixe comme « fil directeur » du programme « l’étude d’objets concrets comme l’évolution des modes de vies, des grands événements et de grandes figures » : il s’agit donc de plusieurs fils directeurs en réalité.

Le seul cadre donné pour la conception du programme de géographie n’a que peu à voir avec la spécificité de cette discipline (la dimension spatiale) : il faudra enseigner « des notions statistiques permettant de décrire le monde » (les exemples choisis sont révélateurs des obsessions politiques du moment « croissance démographique, inflation, PIB, etc »). Enfin tous les enseignements sont appelés à « faire acquérir des connaissances et compétences précises dans le domaine de l’éducation au développement durable et à la transition écologique ». Cette formulation entretient la confusion entre des « éducations à » et les savoirs issus de différents domaines de la recherche scientifique, qu’il est nécessaire d’inclure dans les disciplines scolaires – et qui le sont déjà, en partie.

Le ministère poursuit à marche forcée sa politique de normalisation et de banalisation de l’IA dans l’éducation, ce qui correspond à des choix économiques gouvernementaux. La lettre de saisine de Nicole Belloubet demande que les programmes contribuent à « créer une culture de l’IA » dans toutes les disciplines. Les précautions langagières telles que « utilisation raisonnée » ou encore « cas d’usage où l’IA représente une véritable plus-value » ne pèsent pas lourd face à cette volonté d’acculturation. Comment et qui jugera de la plus-value, ces technologies étant très récentes ? L’idée de mise en débat, de regard critique, est absente de cette vision technophile. Les effets sur les apprentissages du recours à des outils utilisant l’intelligence artificielle sont pour l’heure très loin d’être étudiés scientifiquement. Mais comme l’affirme dès sa première ligne le récent rapport de la Commission de l’intelligence artificielle intitulé IA : notre ambition pour la France : « L’IA est une révolution technologique incontournable ». Se rejoue donc ici le positionnement idéologique habituel en matière de numérique : ce qui est innovant, c’est l’avenir, on n’arrête pas le progrès, il faut s’y adapter, et le plus rapidement possible pour éviter d’être dépassé·e par l’innovation suivante…

Pour aller plus loin :

IA générative : pour un principe de précaution en éducation

Dossier de l’US MAG de juillet dernier sur les compétences psychosociales

Choc des savoirs : contenus et pratiques attaqués

Choc des savoirs, une vaste réforme contre le collège


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