La direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale, vient de publier une note sur les résultats des évaluations Sixième. Une fois encore, la publication des résultats des évaluations devient l’occasion pour Jean-Michel Blanquer de se rassurer et même de se féliciter de son travail. « Nous sommes parvenus à surmonter la crise », clame-t-il en remerciant tout de même, au détour d’une phrase, les professeurs.

Mais tout comme en 2020, la situation est loin d’être idyllique.

Des inégalités sociales toujours importantes

En effet, si près de 90% des élèves de Sixième, d’après ces évaluations, ont une maîtrise satisfaisante de la langue française, la moyenne cache d’importantes disparités entre les élèves selon leur secteur de scolarisation (privé sous contrat, public hors éducation prioritaire, ou REP et REP+) et plus encore selon leur situation scolaire (« à l’heure » ou « en retard ») : on n’est pas loin des 20 points d’écart entre éducation prioritaire et hors éducation prioritaire et on dépasse les 32 points d’écart entre les élèves « à l’heure » et ceux ayant redoublé1 ! Les rédacteurs de la DEPP répètent, dans leur rapport, la phrase : « Les disparités de maîtrise sont très marquées selon le profil social de l’établissement ». (au moins 3 occurrences)

On peut remarquer, – et le ministre ne manque pas de le faire – , que les écarts se sont un peu réduits entre 2020 et 2021 (les résultats en REP+ ayant progressé de 2,3 points) mais doit-on vraiment se réjouir autant que le fait le ministre ? En 2021, l’année scolaire a été moins chaotique : rares ont été les élèves de primaire de France à être éloignés plusieurs semaines de l’école, comme au printemps 2020. Or, malgré cette situation plus sereine, plus favorable aux apprentissages, on est loin d’atteindre une amélioration de grande ampleur… Ce qui doit alerter, c’est que la différence de niveau soit aussi importante entre élèves de milieu défavorisé et élèves de milieu favorisé, et ce depuis des années.

La lecture : vrai problème, fausses solutions ministérielles

Cette différence devient criante avec le test de fluence. Avant d’analyser les résultats, une remarque concernant la pertinence de ce test. Si l’on veut mesurer la vitesse de lecture des élèves, il semblerait bien plus sensé de leur faire lire une liste de mots ou de phrases plutôt qu’un texte cohérent. La logique de comptabilisation peut conduire l’élève à accélérer sa vitesse de lecture, aux dépens de la ponctuation et de la structure des phrases. Ainsi, un élève est susceptible d’obtenir un score plus haut en se détournant de ce qui fait sens, et donc de passer pour un meilleur lecteur qu’un élève scrupuleux qui voudrait marquer la ponctuation et les différents groupes syntaxiques.

La moyenne nationale d’élèves atteignant le niveau de fluence attendu, tous secteurs d’éducation confondus, est déjà en soi alarmante : un peu plus d’un sur deuxMais, en REP +, c’est près d’un élève sur trois qui ne parvient même pas à atteindre les attendus de fin de CE2 (contre moins de 10% dans le secteur privé), et seulement 35,8% atteignent les attendus de fin de CM2. Autrement dit, seul un élève sur trois, en REP+, arrive en Sixième avec une vitesse de lecture conforme aux attendus. Et la situation n’a en rien évolué par rapport à 2020, malgré le fait que les élèves n’aient que peu connu l’enseignement à distance2. Malgré le fait aussi que les élèves qui ont été entraînés à la lecture du texte qui sert de support ne sont pas rares : c’est le même texte en 2021 qu’en 2020 et certains professeurs des écoles s’en sont servi pour faire travailler la fluence à leurs élèves.

Comment croire que les solutions brandies par le ministre parviennent à améliorer les choses ? Beaucoup reposent sur les familles qui devraient, en quelque sorte, prendre le relais de l’enseignant : parler avec son enfant / chercher à développer la maîtrise de la langue / lui lire et faire lire des histoires / faire attention à l’exposition sous contrôle aux écrans. Si la première recommandation et la dernière relèvent bien de mission parentales, les deux autres entrent clairement dans le champ de la pédagogie. Or, la DEPP elle-même constate à plusieurs reprises que les enfants les plus en difficulté en lecture sont ceux issus des familles les moins favorisées : les conseils de Jean-Michel Blanquer sont clairement en décalage avec la réalité du terrain…

Une fois encore, chacun doit s’emparer du problème (le ministre déclare que « toute la société doit se mobiliser pour rétablir la lecture au cœur de tous les apprentissages »), chacun, c’est en définitive personne3, et surtout cela dispense de délivrer des moyens supplémentaires…

Ce n’aurait vraiment pas été du luxe d’augmenter, même temporairement (sur un ou deux ans) les horaires en français et mathématiques, pour tenter de diminuer l’impact de la crise sanitaire sur les apprentissages. Jean-Michel Blanquer dira que le niveau en français n’est pas inférieur à ce qu’il était en 2017 et 2018.

Cependant, il est important de remarquer que les évaluations laissent dans l’ombre des compétences essentielles. Nombreux sont les professeurs qui, sur le terrain, constatent que les lacunes des élèves se sont creusées en lecture mais aussi en écriture ; or, ce dernier domaine n’apparaît pas dans les mesures. À aucun moment un élève soumis à ces évaluations n’a à écrire une phrase ou même un mot ! Les élèves peinent de plus en plus à écrire (on parle ici de geste d’écriture, de fatigabilité accrue, de lenteur), les graphies sont de moins en moins lisibles et les qualités rédactionnelles sont vraiment mises à mal. On peut hélas faire le pari sans craindre de le perdre que les écarts entre élèves selon leur secteur scolaire, leur milieu social ou leur retard scolaire, seraient, s’ils étaient évalués, considérables en matière d’écriture (graphie et rédaction).

1Notons au passage que ces écarts sont encore plus grands pour le niveau en mathématiques.

2 Il faut remarquer qu’en 2020, le test de fluence avait été expérimenté auprès de 30 000 élèves alors qu’il a été généralisé cette année : les chiffres de 2021 prennent en compte les retours pour 90% des élèves ayant passé les évaluations. Ils sont pourtant similaires.

3On ne peut s’empêcher d’observer que le quart d’heure lecture n’apparaît pas dans la liste des recommandations énoncées par Blanquer pour améliorer la fluence. Il aurait été pourtant tout à fait pertinent de le citer au moment où il est demandé à tous les champs disciplinaires de faire lire davantage (à voix haute, certes). Cette absence est-elle à lire comme un aveu que le quart d’heure lecture est moribond, que dans bon nombre d’établissements il a déjà disparu ?

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