Le ministre choisit donc de généraliser une évaluation locale qui consacre ainsi le principe de l’inégalité de traitement et fait de la réputation du lycée d’origine un élément discriminant essentiel pour l’accès à l’enseignement supérieur. Il choisit aussi de faire de l’évaluation un outil de management pour contraindre les pratiques pédagogiques et soumettre les personnels aux pressions directes de la hiérarchie, des familles et des élèves dont on peut déjà aujourd’hui mesurer les effets délétères.
Les principales mesures de ce qui est une réforme de la réforme du bac ont été annoncée sur le site du ministère qu’on peut lire ICI . Un décret et un arrêté seront soumis pour avis au Conseil supérieur de l’éducation le 8 juillet prochain. Ces textes réglementaires ne sont pas des ajustements techniques mais transforment une fois de plus toute l’architecture de l’examen. On trouvera dans le corps de l’article de larges extraits de ces projets dont la rédaction peut encore bouger d’ici la publication.
Vers un diplôme local
Les « ajustements » de Blanquer contiennent plusieurs hommages du vice à la vertu : « Les évaluations communes seraient supprimées au profit d’un contrôle continu plus souple, accompagnant les apprentissages et conduit dans le cadre de la classe. Des repères nationaux seraient diffusés aux équipes pédagogiques afin que soit préservée l’égalité de traitement des élèves. » (…)
« Ce contrôle continu, à la fois pris en compte dans le cadre de la procédure Parcoursup et au baccalauréat, devrait voir sa validité et son objectivité assurées : les professeurs gagneraient ainsi à intégrer leurs modalités d’évaluation au fil de l’année dans une réflexion concertée et à les inscrire dans un cadre national, garant d’une qualité reconnue et partagée. »
Ainsi donc, le ministre acte en creux le fait que le contrôle continu est porteur, en soi, d’une menace sur la valeur de l’examen et du diplôme, ce qui n’est pas le cas des épreuves terminales, anonymes, nationales. Mais après avoir exposé des éléments de « cadrage », les « ajustements » débouchent sur ce qui n’est rien d’autre que l’instauration d’un système d’évaluation défini localement, qui vient annuler tout cadrage national : «Les équipes disciplinaires et les conseils pédagogiques des établissements feraient des pratiques d’évaluation dans le cadre du contrôle continu un sujet majeur de leurs échanges : cette dynamique collective aboutirait à l’élaboration d’un projet sur les pratiques d’évaluation de chaque établissement, connu et partagé par les membres de la communauté éducative. »
C’est donc chaque établissement qui définirait le cadre et la nature de l’évaluation pour le contrôle continu : autrement dit, 40 % du diplôme du baccalauréat reposerait sur des normes et des pratiques purement locales. Il suffit alors de se rappeler que les établissements bénéficient ou souffrent de réputations inégales pour comprendre ce que veut dire « diplôme à valeur locale ». Aussi sérieux et rigoureux soit-il dans la définition de son « projet d’évaluation », un lycée souffrant d’une « mauvaise réputation » sera soupçonné de « surnoter », de « mal évaluer », de « tricher ». Et le diplôme obtenu par les élèves dans ce lycée aura la valeur de la réputation de ce lycée, car même si les réputations sont injustifiées, elles ont des conséquences réelles.
Et ce d’autant plus que l’harmonisation devient impossible. Alors que l’expérience actuelle des péréquations des notes de contrôle continu lors des jurys de bac sessions 2020 et 2021, confine à l’absurdité, les textes prévoient le même type de procédure pour le bac Blanquer dernière version. « La commission prend connaissance des notes obtenues par le candidat aux évaluations ponctuelles et des évaluations chiffrées annuelles des résultats de l’élève, renseignées dans le livret scolaire, et procède si nécessaire à leur harmonisation. Des éléments statistiques sur les résultats de l’établissement d’inscription des candidats au cours de deux dernières sessions du baccalauréat, respectant l’anonymat des candidats et de leur établissement d’inscription, sont mis à sa disposition de la commission pour conduire cette harmonisation. » On va donc devoir se fonder sur des sessions de bac totalement déboussolées pour légitimer les notes de bac à venir !
Voilà les grilles de coefficients pour le contrôle continu dans la voie générale et technologique, telles que présentés dans les projets de textes réglementaires:
On assiste à une dichotomie entre les enseignements évalués localement et ceux qui seront de facto les seuls légitimes à servir de base pour la sélection post-bac. Le français, les enseignements de spécialité et la philosophie sont sortis du champ du contrôle continu et bénéficieront de la plus-value de l’épreuve nationale. Pour tous les autres enseignements, l’évaluation locale ramène inévitablement le niveau d’exigence à la jauge de l’établissement.
Tout doit être noté, y compris l’enseignement moral et civique, faute de quoi les lycéens seront pénalisés par une épreuve ponctuelle supplémentaire. Le projet d’arrêté précise ainsi : “Lorsque, pour cause de force majeure dûment constatée, le candidat ne dispose pas d’une évaluation chiffrée annuelle pour l’année de première dans un enseignement ne faisant pas l’objet d’une épreuve terminale, il est convoqué à une évaluation ponctuelle dans cet enseignement au cours du premier trimestre de l’année de terminale. Lorsque l’évaluation chiffrée annuelle faisant défaut porte sur l’année de terminale, le candidat est convoqué à une évaluation ponctuelle avant la fin de l’année de terminale. »
Des changements dans l’organisation des enseignements de langues vivantes
Nouveauté en ETLV : ” L’enseignement technologique en langue vivante est pris en charge conjointement par un enseignant d’une discipline technologique et un enseignant de langue vivante. Il est adossé soit à la langue vivante A soit à la langue vivante B de l’élève. ».
Pour l’attestation langues vivantes désormais obligatoire, il est mis en place une épreuve spéciale organisée localement : « Le niveau indiqué dans l’attestation est déterminé par le résultat obtenu à une évaluation organisée par les professeurs de langue vivante A et de langue vivante B à l’intention de leurs élèves en fin de cycle terminal”.
Sections européennes: l’épreuve prévue pour obtenir la mention n’impliquerait désormais que l’enseignant de langue et plus celui de DNL.
L’évaluation au piège des pressions des familles et du contrôle managérial
Les enseignants concernés par les « épreuves communes » pourraient se satisfaire de leur disparition, tant ces épreuves font peser une pression très lourde sur les cours. Ils pourraient même s’imaginer qu’ils récupèrent davantage de liberté pédagogique, que la pression de l’évaluation diminue. Ce serait une grave erreur. En réalité, les « ajustements » du bac généralisent et alourdissent la pression qui va peser sur l’évaluation.
Il s’agit tout d’abord de la pression des familles que les enseignants vivent très fortement depuis plusieurs mois : sollicitations plus ou moins insistantes des élèves pour améliorer les moyennes, remises en cause plus ou moins frontales de la notation par certains parents…
Mais surtout, ces ajustements instaurent un contrôle permanent de l’évaluation par les différents échelons hiérarchiques. Les enseignants se verraient non seulement encadrés par des « repères nationaux », mais aussi par des formations et par un « guide de l’évaluation » produit par chaque inspection, et applicable en 1ère et en terminale. Enfin, le conseil pédagogique, donc le chef d’établissement, fixerait des règles locales que les enseignants devraient respecter. Cela devrait donner des ailes aux « managers locaux » les plus zélés, qui pourront au passage relayer les demandes des familles les plus insistantes.
Une évaluation contrôlée par les IPR, les chefs d’établissement, les élèves, les parents… Ce sont bien les enseignants qui passent en « contrôle continu » ! La suppression des « épreuves communes » ne règle donc rien : la pression sera moins « ponctuelle »… Elle sera permanente et en provenance de multiples sources !
Déni, entêtement et complexité
La réforme du lycée prétendait simplifier le baccalauréat. Il n’aura pas fallu longtemps pour que tout le monde comprenne que c’est bien l’inverse qui s’est produit. Les ajustements de Blanquer prétendent à nouveau « simplifier »… Et là encore, on reste perplexe : changements de coefficients, distinction dans les disciplines prises ou non en compte dans le contrôle continu… En réalité, l’usine à gaz n’est en rien simplifiée ! L’exemple de la prise en compte des options est édifiant :
« Tous les enseignements optionnels seraient évalués selon les mêmes modalités dans le cadre du contrôle continu établi à partir des moyennes annuelles des moyennes apposées sur les bulletins scolaires :
- Un enseignement optionnel suivi sur l’ensemble du cycle terminal serait considéré à hauteur de 4 coefficients, qui viendront s’ajouter aux 100 coefficients communs du baccalauréat;
- Un enseignement optionnel suivi sur la seule année de terminale (notamment droit et grands enjeux du monde contemporain, mathématiques expertes et mathématiques complémentaires) serait apprécié à hauteur de 2 coefficients.
L’ensemble de ces enseignements optionnels ne pourrait donner lieu à une évaluation excédant 14 coefficients (6 en première, soit 3 enseignements optionnels ; 8 en terminale, soit 4 enseignements optionnels).
Par exemple, un candidat ayant ainsi suivi un enseignement optionnel sur les deux années du cycle terminal serait évalué sur la base élargie de 104 coefficients. Les notes qu’il aurait obtenues dans cet enseignement optionnel seraient considérées dans leur intégralité. » On voit mal comment ce jeu sur les coefficients des options pourrait endiguer la disparition de ces enseignements laminés par l’absence de financement. On ne comprend pas bien ce que deviennent les bonus pour les LCA et plus récemment pour les langues régionales puisque ça avait été annoncé par le ministre lui-même.
On notera enfin que ces « ajustements » ne répondent en rien aux vrais problèmes et contradictions qui sont apparues au cours des deux premières années de mise en place du nouveau baccalauréat :
-les épreuves de spécialité arrivent trop tôt (mars de l’année de terminale), mettant une pression intenable sur les programmes, même officiellement “listés” et les apprentissages méthodologiques ? On ne change rien…
-le grand oral est confus, flou, mal organisé, avec des jurys à la composition inadaptée et des attentes incompréhensibles ? On ne change rien …