Le texte qui suit a été publié en janvier 2019 dans la revue de la tendance UA de la FSU, Enjeux. Il dressait le bilan de Parcoursup après la première session de juin 2018. A l’aune de l’actualité, force est de constater que la réforme du lycée n’a fait qu’amplifier les effets du fonctionnement d’une plateforme de service conçue pour sélectionner. Faire attendre les candidats au dossier considéré comme le moins “attractif” relève ainsi d’une stratégie de dissuasion. Rendre chacun responsable voire coupable de son éventuel échec, c’est la vocation ultime de ce dispositif .
Génération crash test
(Revue Enjeux, janvier 2019)
La nouvelle plateforme Parcoursup pour l’affectation dans l’enseignement supérieur suscite actuellement beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes, à juste titre. La FSU n’a cessé d’alerter depuis l’année dernière sur le jeu délétère des deux ministères, de l’Enseignement supérieur comme de l’Education nationale, qui imposent une réforme à marche forcée en transformant toute une classe d’âge en génération crash-test. Alors, comment comprendre que beaucoup semblent découvrir les défauts de Parcoursup ?
Quand devient patent l’impossibilité mathématique d’affecter tous les jeunes bacheliers dans l’enseignement supérieur, le gouvernement fait donc le choix de légiférer dans l’urgence afin de restreindre l’accès à l’université plutôt que d’investir massivement.
Des poursuites d’études entravées par le manque de places
Selon les prévisions effectuées à partir des résultats du baccalauréat, des choix d’orientation observés les années précédentes et des premières informations disponibles sur l’année en cours, le nombre total d’étudiants à la rentrée 2017 a augmenté de 1,4 % sur l’ensemble des formations et des cycles de l’enseignement supérieur (soit 36 000 étudiants supplémentaires environ). A la rentrée 2018, marquée par le boom démographique de l’an 2000, le nombre total d’étudiants devrait encore s’accroître de 65 000. En particulier, les flux d’entrée en première année dans les quatre principales filières (université y compris instituts universitaires de technologie, sections de techniciens supérieurs et classes préparatoires aux grandes écoles), devraient augmenter de 28000 environ.
Si les tendances en termes d’orientation, de poursuite d’études et de démographie se prolongent, l’enseignement supérieur pourrait rassembler, en 2021, 2,8 millions d’étudiants et, en 2026, 2,9 millions d’étudiants, soit respectivement 216 000 et 327 000 étudiants de plus qu’en 2016. C’est dans ce contexte que le Ministère envisage plusieurs hypothèses, en particulier dans le cas où la plupart des formations deviendraient contingentées, c’est-à-dire sélectives.
Par exemple, il est évoqué le cas où «les capacités d’accueil sont accrues mais ne parviennent pas immédiatement à absorber les nouveaux entrants, parce qu’en dépit des financements obtenus par les établissements, les moyens humains d’enseignement nécessaires ne parviennent pas, d’emblée, à être rassemblés ». Ce scénario refléterait ainsi « des anticipations des futurs bacheliers sur des capacités d’accueil contraintes », ou résulterait « d’une évolution des comportements et des préférences des bacheliers liée au nouveau contexte de Parcoursup. La contrainte, c’est-à-dire le manque de places, et l’autocensure des bacheliers aurait donc des effets malthusiens sur toutes les formations supérieures et toucherait fortement les universités, qui compteraient seulement 10 000 nouveaux inscrits à la prochaine rentrée, au lieu de 15 000.
L’ensemble des actuelles réformes éducatives, du Bac, du lycée comme de l’accès à l’enseignement supérieur doivent donc aussi se comprendre à l’aune de la démographie étudiante.
Les mensonges ministériels
Mettre fin au tirage au sort ? Dernier mot au bachelier ? Privilégier le qualitatif plutôt que le quantitatif ? Il n’y a pas de sélection ? Que dire en effet des éléments de langage rabâchés par la communication ministérielle sinon qu’ils sont bien peu crédibles ? A l’heure où les rectorats préparent une communication de gestion de crise en direction des élèves comme des personnels, qui peut encore croire dans l’efficacité de la nouvelle plate-forme d’affectation ?
A l’automne dernier, la Cour des Comptes comparait dans un rapport les mérites de feu APB avec des systèmes en vigueur en Allemagne et au Royaume Uni, sur lesquels est calqué Parcoursup. Le verdict était sans appel : à l’issue du premier tour, le modèle d’affectation type plate-forme de service double le nombre des candidats sans proposition d’affectation. En s’appuyant sur les effectifs de 2016, on serait passés de 150 000 bacheliers sans proposition d’affectation avec APB à 300 000. C’est pourtant le modèle client/serveur qui a été adopté, alors que l’algorithme type APB, bien plus performant, a été abandonné. Les risques inhérents à ce choix de plate-forme d’affectation sont pourtant bien connus comme l’allongement des délais d’attente pour la moitié des candidats et l’acceptation de propositions par défaut par crainte du risque de se retrouver sans solution…
Parcoursup fait en réalité entrer les futurs bacheliers dans la logique d’un marché éducatif fondé sur la concurrence entre les individus et les formations, conçues comme des entreprises. Sous couvert de mettre fin au tirage au sort, ce système fait la promotion du recrutement sur profil comme si la poursuite d’études s’apparentait à la recherche d’un emploi. Il institutionnalise une sélection à géométrie variable qui repose sur l’arbitraire de choix locaux voire individuels.
Le labyrinthe des algorithmes locaux
Pour éviter le tirage au sort, l’outil d’aide à la décision de Parcoursup permet de faire un classement qui repose sur deux critères quantitatifs fournis par défaut, la moyenne pondérée des notes de contrôle continu du lycée, et la fiche avenir, synthétisant le « profil » du lycéen et sa « capacité à réussir » pour chacun de ses vœux d’orientation.
Dans les universités, chaque commission a fabriqué son propre logiciel pour gérer le flux de candidatures, sur la base des principes et outils communs fournis par le ministère. Comment départager des milliers de dossiers qui ont tous des moyennes quasi-identiques ? A l’université Paris-Descartes, les critères sont de nature très variable d’une formation à l’autre. En PACES, les notes ont été prises en compte , mais aussi le taux moyen de réussite au bac dans le lycée d’origine des candidats. Les jeunes issus des lycées à 100 % de réussite se verront ainsi gratifiés d’un bonus. En sciences de l’éducation, les enseignants ont unanimement refusé de constituer une commission chargée de « trier » les dossiers et le président de l’université a pris lui-même en charge la sélection des candidats en éliminant d’office « ceux qui ont moins de 7/20 de moyenne en français, en histoire-géographie et en anglais, et qui n’ont suivi aucun cours ou option scientifique en première. » En Eco-gestion, les professeurs ont inventé leur propre logiciel pour classer les candidats. Ils ont comparé les résultats aux partiels de leurs élèves actuels de licence avec les moyennes que ces derniers obtenaient l’an dernier quand ils étaient encore lycéens et ont concocté un savant « modèle prédictif » de réussite, essentiellement basé sur les notes.
Le jeu des pondérations peut changer du tout au tout pour les 13000 formations de Parcoursup, y compris pour un même diplôme. En clair, un même candidat pourra ne pas être classé du tout selon les mêmes règles d’une formation à l’autre. Les règles d’examen des 13000 formations de Parcoursup étant différentes et non divulguées, un même candidat pourra en réalité être classé de façon totalement différente selon où il postule, et sans aucun moyen de le prévoir.
Compte tenu de la variabilité de la notation d’un lycée à l’autre, d’un enseignant à l’autre, comment envisager de départager les candidatures sur cette base, sachant que les écarts sont en majorité de l’ordre du millième de point ? Quid de la prise en compte de la marge d’erreur dans les classements ? En réalité, les notes de contrôle continu ne peuvent pas être utilisées comme les résultats d’une épreuve de concours et les appréciations ne sauraient s’apprécier comme l’évaluation d’un entretien.
Les outils d’aide à la décision peuvent ainsi bouleverser le classement de façon imprévisible. Pour la majorité des candidats, la décision d’admission s’apparentera en réalité davantage à une forme de tirage au sort qu’à une sélection juste et éclairée, telle qu’elle est officiellement promue.
Le comité éthique et scientifique fantôme
Institué à grand renfort de publicité, ce comité a vocation à veiller sur le respect des principes juridiques et éthiques qui fondent l’examen des candidatures par les établissements de l’enseignement supérieur. Il doit en théorie garantir l’application des règles légales et réglementaires pour l’admission des futurs étudiants et veiller à la transparence du système d’affectation. Il a aussi une mission d’évaluation des choix techniques et de proposition de pistes d’amélioration du système. Nommé en février dernier, il est, à ce jour, complétement muet. Pourtant, le motifs d’intervention ne manquent pas … Par exemple, les règles locales du classement des candidatures ne sont pas communiquées sous prétexte du secret de la délibération des jurys, comme si postuler dans une formation relevait exclusivement de l’examen d’entrée ou du concours. Aucune expression non plus concernant la prolifération des entreprises de coaching qui ont facturé fort cher aux lycéens la rédaction de lettres de motivation et CV, tout cela avec l’appui financier de conseils régionaux comme celui d’Ile-de-France… Rien encore sur le jeu de formations privées qui contactent les lycéens en amont pour les inscrire en jouant sur la peur d’être refusé ailleurs…
Les réformes de l’angoisse
La sociologue Annabelle Allouch décrypte les actuelles réformes éducatives en pointant le changement de norme sociale avec un projet global qui institutionnalise la compétition comme le moteur de l’orientation. Avec Parcoursup, chaque lycéen se plie à un cérémonial qui dépasse la seule construction d’un projet d’orientation, mais lui impose un rapport à l’avenir nécessairement fondé sur l’attente, l’incertitude et la comparaison à autrui défini comme l’ennemi à abattre puisqu’il risque de jeter une ombre sur le projet personnel. Cette lutte sera d’autant plus âpre et incertaine que, selon un amendement ajouté lors du vote de loi « Orientation et réussite étudiante » au Sénat, les capacités d’accueil d’une filière pourront varier d’une période à une autre.
Les réformes du lycée et du baccalauréat s’inscrivent dans ce projet. On le retrouve dans l’individualisation des parcours qui repose sur le choix de modules transversaux sans assurance de cohérence des savoirs. Or, cette lecture très individualiste comporte de nombreux risques et en particulièrement celui de transférer la responsabilité de la réussite ou de l’échec des épaules de l’État, par le biais de ses investissements, à celui des élèves. La conformité avec les « attendus » de l’enseignement supérieur dépendra du choix des « bons » modules par l’élève dès le lycée. Ce système de savoirs « à la carte » existe déjà en Grande-Bretagne, où il est dénoncé depuis au moins une vingtaine d’années. Alors que les étudiants se voient offrir une soixantaine de modules, seule une poignée (les mathématiques en têtes) sont considérées comme utiles pour la réussite dans le supérieur, quelle que soit la filière et l’établissement.
Est-ce donc si surprenant de voir Parcoursup épouser le modèle de la plateforme d’affectation britannique UCAS ? C’est l’aveu en creux de la volonté politique de promouvoir le lycée du « chacun pour soi », au mépris d’un projet ambitieux d’émancipation collective par l’élévation des qualifications.