Tous les personnels de l’Éducation nationale se souviennent de ce 12 mars 2020 : il y a un an, presque jour pour jour, Emmanuel Macron annonçait la fermeture des collèges, lycées et CIO. Quelques heures avant, Jean-Michel Blanquer avait pourtant assuré que les écoles ne fermeraient pas. Déjà, on voyait poindre le début d’une cacophonie gouvernementale qui allait rythmer les semaines et les mois suivants.
“Nous sommes préparés à tout”, “Le baccalauréat aura lieu”, l’école “ne sera pas obligatoire le 11 mai”, “Phèdre plutôt que Netflix” (au sujet de l’oral de français) “il y aura toujours la règles de groupes restreints” à la rentrée, “1 million de tests”….Ordres, contre ordres, approximations, annonces de dernière minute… : plongée dans ce qui a été le quotidien des personnels pendant un an.
Pas une priorité pour ce gouvernement
Derrière l’enchainement des déclarations contradictoires, une réalité se dessine : l’Education nationale n’est pas une priorité pour ce gouvernement.
- une réouverture des établissements faite sans prendre en compte les demandes des personnels. Le Snes-FSU demandait une réouverture avant la fin de l’année scolaire mais en prenant le temps de préparer cette reprise, tant d’un point de vue pédagogique que sanitaire. Résultat, c’est en écoutant l’audition du ministre à l’Assemblée nationale que les personnels découvrent les calendrier et les modalités de réouverture !
- une décision très tardive sur l’oral du bac de français, faisant fi des demandes d’une large intersyndicale et laissant professeurs, élèves et familles dans le stress jusqu’à la mi-mai !
- aucun soutien lors de la campagne de prof-bashing en mai et juin
- la rentrée 2020 s’annonçait forcément particulière après un trimestre d’école à distance. Le Snes-FSU avait fait des propositions sur les programmes, les moyens nécessaires pour travailler sur le court et moyen terme avec les élèves en difficulté. Le ministère s’en est tenu à l’affichage de 1,5 millions d’heures supplémentaires sans prendre la mesure des besoins sur le terrain.
- une année 2020-2021 où les “protocoles” sanitaires sont annoncés dans les médias avant d’être présentés aux personnels, ou publiés en catimini, le soir ou le week-end
- la confirmation d’une politique d’austérité pour le 2d degré avec 1883 suppressions d’emplois dans les collèges et les lycées. Pourtant, plus que jamais, il faut du temps, des moyens en personnels pour travailler, en présentiel, avec les élèves.
Les discours qui font de l’ouverture des écoles le totem de la politique “sociale” de ce gouvernement ne suffisent pas à masquer la réalité : le second degré et ses personnels n’ont pas été “choyés” !
Le détail de 12 mois sous Covid
mars 2020
Le 12 mars dans l’après-midi
Le 12 mars au soir
En quelques heures, les personnels s’organisent pour maintenir le lien avec les élèves. Dès le lundi 15 mars, les ENT dysfonctionnent alors même que le ministre annonçait deux jours avant “nous sommes organisés” et que “cet enseignement à distance, nous l’avons préparé depuis plusieurs mois.”
Dans ce week-end surréaliste, on se souviendra aussi qu’E.Philippe appelait le 14 mars à restreindre le plus possible les déplacements, puis que le 15 mars, Jean-Michel Blanquer précisait “Dans chaque cas, le chef d’établissement décide quel professeur vient physiquement et quel autre télétravaille” entrainant, déjà, confusion, stress et angoisse.
Toujours profs, CPE, PsyEN, AESH et AED !
Alors que tous les personnels passent des heures à tenter de maintenir le lien pédagogique avec les élèves, avec leur matériel personnel, au prix de journées qui n’en finissent pas, la porte parole du gouvernement, S.Ndiaye, déclare que les enseignants ne travaillent pas, du fait de la fermeture des écoles. La réaction ne se fait pas attendre. A l’appel du Snes, les témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux et sont repris dans la presse.
avril – mai : déconfinement et réouverture des écoles
Le déconfinement se précise et la question de la réouverture des établissements scolaires est sur la table. A la surprise générale, Jean-Michel Blanquer annonce un calendrier très détaillé, par niveaux, lors d’une audition par l’Assemblée nationale. Quelques jours après, le premier Ministre, Edouard Philippe, annonce un calendrier bien moins précis. Au milieu les personnels ne savent toujours pas comment s’organisera la reprise en présentiel.
Le ministre sème aussi la confusion sur le caractère obligatoire ou non du retour dans les établissements scolaires, ouvrant la porte à une forme de scolarité à la carte. Inacceptable !
Bac de français : sous pression jusqu’au bout
Dans ce contexte si particulier, le ministre s’obstine à maintenir l’oral du bac de français coûte que coûte, usant parfois de comparaisons surprenantes (“plutôt Phèdre que Netflix”). Inégalités liés à l’école à distance, contexte sanitaire incertain, une très large intersyndicale demande, à titre exceptionnel, l’annulation du bac de français. C’est seulement le 28 mai, à moins d’un mois du début théorique de l’épreuve que Jean-Michel Blanquer entend enfin les demandes des personnels , des élèves et des familles.
Il restera cette déclaration dans le JDD…
« J’aurais été plus populaire en supprimant l’oral de français du bac. Les élèves me remercieront dans 10 ans, en se souvenant de leur lecture de Phèdre pendant le confinement »,
Le Journal du Dimanche
Septembre 2020 : un protocole à contre courant
Le protocole sanitaire du mois de juillet ne correspond plus à la situation sanitaire de la mi-août. Dès le 17 août, le Snes-FSU intervient pour exiger des mesures plus protectrices pour assurer la sécurité sanitaire des personnels et des élèves, mais aussi pour se donner les moyens de garder les établissements scolaires ouverts.
Le 20 août, Jean-Michel Blanquer sort de son silence estival et annonce notamment que le port du masque sera obligatoire pour les collégiens, lycéens et les personnels du second degré.
Les vacances n’ayant rien changé à cette détestable habitude de dire tout et son contraire en 24 heures, le 21 août, en déplacement, le ministre annonce qu’en cas de distance supérieure à 2 mètres, les personnels peuvent enlever leur masque en lieu clos.
Le 26 août, lors de sa conférence de presse de rentrée, il revient sur sa première annonce et confirme que collégiens, lycéens et personnels porteront le masque.
Aucun aménagement des programmes, aucun travaux pendant l’été, pas de recrutement…le ministre peut promettre une année normale et déclarer que nous sommes préparés à tout, dans les faits, la réalité est toute autre.
Le vendredi 28 août, à 21 heures, des nouvelles fiches pratiques sont publiées sur le site du ministère (par exemple celle de la demi-pension). La pré-rentrée est le lundi 31 août.
Alors que l’école à distance a creusé les inégalités, les collèges et lycées sont dotés d’1,5 millions d’heures supplémentaires pour organiser des heures de travail ponctuelles avec les élèves en difficulté. Très insuffisant par rapport aux enjeux de cette rentrée si particulière !
Automne 2020 – un protocole renforcé si possible
Les chiffres de contamination s’envolent, le Snes-FSU demande à plusieurs reprises un renforcement du protocole sanitaire. La situation est telle que le gouvernement fait le choix de reconfiner le pays mais sous une forme différente de celle du mois de mars, en laissant notamment les établissements scolaires ouverts. Cette décision, logique d’un point de vue scolaire et social doit néanmoins s’accompagner de mesures sanitaires plus strictes. Comment comprendre que la société soit reconfinée mais qu’aucune protection supplémentaire soit prévue dans l’Education nationale ? Le virus ne fait pas demi-tour devant la porte des collèges, lycées et CIO !
Face à l’absence de réponse du ministre, le Snes-FSU prend l’initiative d’une grève sanitaire. Face à la pression, Jean-Michel Blanquer cède pour les lycées et accepte que ces derniers fonctionnent en partie en demi-groupes. Quelques jours plus tard, la grève sera très suivie dans les collèges.
Enfermé dans un déni de réalité coupable, le ministre refuse toute mesure contraignante et préfère parler de protocole renforcé “si possible” vantant en plein hiver les vertus de l’ouverture des fenêtres plutôt que d’investir dans des capteurs de CO2.
L’année civile se termine avec le sketch tragi-comique de l’autoconfinement avant les vacances de fin d’année : en 24 heures, Jean Castex et Jean-Michel Blanquer se contredisent, laissant les personnels des collèges et des lycées constater, sur le terrain, les dégâts d’une communication hasardeuse.
Le crash test
Le gouvernement s’embourbe ensuite sur les tests, la vaccination des personnels, le ministre tente aussi de rejouer les scénario de l’oral de français pour les épreuves de spécialité, sans la métaphore littéraire afin de relâcher la pression sur les épreuves de spécialité.
La préparation de rentrée 2021 se passe comme si de rien n’était du côté du ministère : suppression de 1883 emplois alors même que la rentrée 2021 après, au moins la moitié de l’année scolaire chamboulée ne pourra pas être normale.
Suivre la comptabilisation du nombre de tests promis et réalisés devient un exercice révélateur de la pratique gouvernementale : avant tout de la communication ! 1 million, 300 000, 200 000, 80 000 et finalement 3000…
Pour clore cette année hors normes, le ministère allège le protocole sanitaire, en catimini, un vendredi soir de février, alors même que les variants circulent davantage sur le territoire. Comme un symbole d’une politique qui aura fait bien peu de cas des personnels depuis mars 2020.
Le gouvernement a fait un choix politique qui a empêché toute élaboration d’une stratégie globale tant d’un point de vue sanitaire que pédagogique. Nier le rôle de l’école dans la diffusion du virus n’est pas seulement une négation des apports de la science, c’est d’abord un choix politique. Reconnaître le rôle de l’école dans la circulation du virus, cela voudrait dire se mettre en situation de traiter l’école en tant qu’acteur central dans l’effort national contre le Covid. Cela voudrait donc dire faire des investissements, faire des choix, penser sur le court, moyen et long terme, réfléchir à une stratégie sanitaire, une stratégie éducative. Tout ce que demande le Snes-FSU. Tout ce que ce gouvernement refuse de faire.
Enfermé dans ses certitudes, le ministre déroule un storytelling bien rôdé : le virus ne circule pas dans les écoles, les établissements scolaires sont donc restées ouverts, c’est une fierté nationale. Jean-Michel Blanquer peut se féliciter publiquement de battre l’Italie en finale du championnat du monde des écoles ouvertes, l’honneur est sauf. La moindre objection à ces déclarations est immédiatement caricaturée et les audacieux qui ont osé contredire le ministre sont suspectés au choix, de vouloir fermer les écoles, de ne pas vouloir travailler ou de ne prendre prendre en considération les difficultés des élèves les plus défavorisés. Tout débat posé et nuancé pour articuler ouverture des écoles et protection accrue est alors impossible.
L’école ouverte quoi qu’il en coûte tant d’un point de vue humain que pédagogique. Comme un symbole de la politique éducative menée depuis 5 ans.