Paul Devin est inspecteur de l’Éducation nationale et secrétaire général du SNPI-FSU, syndicat des inspecteurs (IEN et IA-IPR).

L’US : Quelle analyse faites-vous du rôle des inspecteurs dans la mise en œuvre de la « continuité pédagogique » ?
Paul Devin : Cette mise en œuvre a été révélatrice de grandes différences de conception de la manière d’exercer nos missions d’inspection. Certains inspecteurs et inspectrices se sont consacrés à la mise à disposition des ressources notamment disciplinaires pour faciliter l’organisation de l’enseignement à distance, à apporter des réponses aux demandes d’aide, à la diffusion des pistes d’organisation. Mais d’autres ont vite eu des velléités pour prescrire des organisations pédagogiques ou ont tenté d’obtenir des remontées qui cachaient mal leurs perspectives de contrôle. En fait cette période n’a fait que rendre visible autrement des écarts de conception qui existaient déjà dans l’exercice des fonctions des IA-IPR.
Mais il y a eu quelque chose de singulier : la mise en œuvre de la « continuité pédagogique » s’est faite sans les prescriptions méthodologiques qui désormais sont le lot des réformes ministérielles. Ce qui a été le vecteur de cette exceptionnelle capacité d’adaptation à une situation nouvelle, ce n’est ni le management, ni le leadership, ni les éléments de discours… C’est l’engagement des agents du service public à agir pour l’intérêt général. Il faudra s’en souvenir et en tirer les conclusions qui s’imposent dans les futures politiques d’action publique qui ne cessent d’ébranler cet engagement en fragilisant le statut et en gouvernant par injonctions autoritaristes.

L’US : D’aucuns assurent que l’expérience de la « continuité pédagogique » témoigne de la nécessité de penser autrement l’éducation.
Paul Devin : On peut toujours instrumentaliser une situation pour faire croire qu’elle légitime une idéologie qu’on défend depuis longtemps. Les affirmations d’Alain Bouvier ne procèdent pas des analyses de la situation actuelle mais d’un usage d’opportunité pour accréditer ses visions ultralibérales sur le système scolaire. D’autres, Georges Fotinos par exemple, expliquent que la situation actuelle en appelle à refonder l’école sur la coéducation puisque la période aurait révélé aux parents leurs responsabilités éducatives. Toutes ces affirmations reposent sur la négation des inégalités sociales pour ne se focaliser que sur quelques visions heureuses d’harmonies familiales… C’est comme si nous renoncions à la sociologie critique pour se soumettre aux rhétoriques de l’épanouissement personnel.
Une question doit rester au cœur de nos actions : est-ce que la « continuité pédagogique » a été vertueuse pour la démocratisation de l’accès aux connaissances et à la culture commune ? Je crois que la réponse est clairement négative !
Et évidemment affirmer cela ne nous dédouane pas de devoir interroger vigoureusement les organisations pédagogiques et didactiques des classes pour les rendre davantage capables de cette démocratisation.

L’US : Comment voyez-vous le rôle des inspecteurs dans la reprise du 11 mai ?
Paul Devin : Tout d’abord d’ici là, notre organisation syndicale contribuera au sein de la FSU à porter des exigences fortes pour garantir la sécurité sanitaire des élèves, des professeurs et de l’ensemble des personnels. Il ne peut être question pour les inspectrices et inspecteurs de transmettre et d’imposer des directives dont nous penserions qu’elles ne présentent pas ces garanties. Et nous appelons nos collègues à porter cette exigence dans l’ensemble des réunions académiques auxquelles ils participent.
Les garanties de sécurité sanitaires que nous contribuerons à construire doivent s’appuyer sur l’analyse de la réalité et l’expertise des acteurs de terrain et non sur des éléments de discours ou des argumentations purement rhétoriques. Lorsqu’il en va de la santé et de la vie, nous ne pourrions admettre des compromis dangereux ou des argumentations incertaines.
Cette période a fortement fragilisé la confiance dans l’institution. Il serait irresponsable, au vu des difficultés qui nous attendent, de produire de nouvelles dégradations du fait de pratiques autoritaristes, d’exigences démesurées ou de stratégies égotistes.
Plus que jamais, nos actions doivent faire preuve des qualités humaines nécessaires à l’aide et à l’accompagnement. Plus que jamais la conception de nos missions doit se fonder sur le partage de l’expertise, sur l’échange et sur l’analyse partagée plutôt que sur la volonté de prescrire et d’ordonner.

 

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