Le SNES-FSU a consulté les professeurs de philosophie sur les programmes (et les épreuves), en séries générales et technologiques, entre juillet et octobre 2018. En voici le compte rendu.
Qui a répondu ?
127 réponses ont pu être exploitées, principalement en provenance de syndiqués, réparties sur l’ensemble des académies (les 3/4 des réponses se concentrent sur 14 académies, dont les plus grosses). Un tiers des réponses provient de collègues qui arrivent dans la profession (ayant entre 1 et 9 ans d’expérience), un quart des réponses émane de collègues expérimentés (entre 10 et 20 ans) et plus de 40 % des plus “anciens” dans le métier (+ de 20 ans d’expérience) auront également répondu.
Quel était le plan du questionnaire ? (archive désactivée consultable ici )
Construit presque à l’identique en deux volets (séries générales / séries technologiques), le questionnaire articulait 36 questions sur 4 chapitres, interrogeant tour à tour :
1) Le rapport entre les programmes et les épreuves du baccalauréat.
2) L’architecture des programmes (articulation en champs, notions, repères).
3) Le contenu des programmes (quelles notions, quels repères, quels auteurs ?).
4) Les épreuves (avec un complément sur HLP et STHR).
Chapitre 1 : le rapport entre les programmes et les épreuves du baccalauréat peut-il être qualifié d’aléatoire ? Est-ce un problème et faut-il y remédier ?
Si un bon cinquième des sondés ne se reconnait pas dans ce constat (23.6% en séries géné. et 21.2% en séries techno.), la majorité des collègues le reconnaît volontiers (74% contre 66% “seulement” en séries techno.). Mais cela ne constitue pas un problème pour une majorité de sondés en séries générales (57%), alors que la moitié des sondés demande une clarification en séries techno. (idem pour 40% en séries géné.).
Si environ 1/4 des réponses exprimées (sur une centaine de réponses) souhaite le statu quo (programmes et épreuves : 28% contre 20% en techno.), entre 30 (géné) et 40 % (techno) souhaitent tout changer (programmes et épreuves). 40% se prononcent plus modestement en faveur d’une plus grande détermination du rapport entre programmes et épreuves, pourcentage venant néanmoins s’ajouter aux partisans d’un changement plus radical. Au final et relativement à la question initiale, une majorité des réponses exprimées se prononce pour un changement radical ou partiel (y compris rapportée à l’ensemble des 127 participants au questionnaire).
Chapitre 2 : Faut-il repenser l’architecture des programmes (en conservant ou en supprimant les champs, les notions, les repères… ) ?
Les champs du programme :
Si un petit quart des sondés souhaite la disparition pure et simple des champs, la majorité souhaite au contraire leur conservation , avec – pour 45% – une prise en compte explicite des champs dans l’étude des notions et la conception des sujets d’examen.
Les notions :
Si un quart (contre un bon 1/3 en séries techno.) des sondés souhaite les remplacer par des questions (identifiées comme des problèmes philosophiques), le majorité souhaite les conserver. Mais la demande de couplage des notions (avec prise en compte dans les sujets d’examen) concerne un peu plus de 4 réponses sur 10. Ce qui cumulé avec la première réponse, place en minorité les partisans du statu quo.
Les repères :
Si seulement 1/10e des sondés les rejette en bloc, près de 45% des sondés souhaitent en réduire le nombre ou les conserver en l’état (42% en séries technos). Néanmoins, 42% des sondés (séries géné. contre 33% en séries techno.) souhaitent expliciter leur relation au programme. Ce dernier résultat (des 33%) surprend un peu, alors que la prise en compte des repères dans le programme permettrait d’en accentuer une approche scolaire (en ciblant des contenus de connaissance susceptibles d’être évalués à l’examen). Or, n’est-ce pas justement en séries technologiques que cette orientation serait la plus justifiée, comme semble le suggérer 40 à 45% des sondés à propos des notions et des champs ?
Rappel des enjeux : deux écoles s’opposent sur le sujet, au moins depuis la querelle des programmes de 2002-2004 (pour approfondir, nous conseillons ce dossier, certes partisan, mais extrêmement précis de l’ACIREPh ). Notons que si nous rappelons ce débat, c’est qu’il est toujours d’actualité dans les arbitrages rendus par le conseil supérieur des programmes (mai 2019), entre d’une part les propositions du groupe d’experts, et d’autre part les demandes des associations et organisations syndicales, sans parler des orientations propres du CSP (présidé par Souad Ayada).
1) L’école “notionniste” est favorable un un programme réduit à une simple liste de notions élémentaires, dont on trouve une illustration dans le programme des séries technologiques de 83 (9 notions non couplées : la nature, l’art, la technique, l’histoire, le droit, la liberté, la conscience, la raison, la vérité). Cette école qui a les faveurs du CSP, considère que l’élémentarité des notions permet à l’enseignant, mais aussi aux concepteurs des sujets, de combiner à loisir ces éléments ; le candidat étant censé être capable de faire le chemin inverse le jour de l’examen, afin de mobiliser de façon critique, les connaissances acquises durant l’année.
2) L’école que nous appellerons “déterministe” part du constat que seuls les candidats favorisés par un patrimoine culturel (pour une part extra-scolaire, càd familial et social…), réussissent l’épreuve de philosophie. Une démocratisation de cet enseignement suppose donc la réduction de l’indétermination qui se joue entre le travail de l’année (dicté par les programmes) et l’examen. D’où une conception des programmes préférant des “questions” à des “notions”, ou du moins, encourageant une limitation de l’indétermination d’un programme notionnel en couplant les notions et en les associant à des champs de réflexion, voire à des repères, le tout orientant la conception des sujets d’examen et favorisant une évaluation moins aléatoire des copies en ce qu’elle prendrait en compte des éléments de connaissance.
Chapitre 3 : quels ajouts et/ou retraits dans les contenus du programme ?
Les sondés sont plutôt favorables à l’ajout d’éléments de méthode (jusqu’à 52% en séries techno.), d’argumentation (jusqu’à 47% en séries techno.), doctrinaux (pour 1/3), voire d’histoire de la philosophie (37% en séries géné.). On peut reconnaître ici les différentes fonctions des repères du programme.
A la question de savoir s’il faut supprimer des notions, 2 tendances se dessinent sans être totalement contradictoires : soit on ajuste l’horaire au volume de notions (qui peut dès lors rester inchangé pour 46,5% des sondés en séries géné.), soit on le réduit (pour 41% en séries géné.) y compris à horaire égal (ces chiffres passent respectivement à 36 et 28% en séries techno.). Les notions à supprimer sont d’une part des notions-champs (spécifiques aux programmes actuels dans lesquels les champs sont aussi des notions) comme “le sujet” (12.6%), “la raison et le réel” (15;75%). D’autre part, les champs les plus ciblés sont “la raison et le réel” en séries géné. (l’interprétation pour 26.8%, la matière 25%, l’esprit 22%, la démonstration 19.7% ) et “la vérité” en séries techno. (l’expérience pour 17%, la raison 10%). Les échanges sont également rejetés par 17% à 18% des sondés en séries géné. et techno. Mais rien ne justifie par exemple, le retrait du bonheur qui bénéficie de la même cote de popularité que le travail et l’inconscient. Par ailleurs, les rares propositions d’ajouts restent trop marginales pour être exploitées.
A propos de la liste des auteurs, seuls 15 à 16% des sondés veulent la réduire, le plus souvent pour se concentrer sur de grands auteurs incontournables qui délimiteraient des connaissances requises à l’examen. Si un tiers veut la supprimer (ce qui reviendrait implicitement à l’élargir à tous les auteurs), peut-on néanmoins y voir une volonté d’élargir la liste des auteurs, soit implicitement (en la supprimant), soit explicitement (en l’augmentant) ? Dans l’hypothèse d’un élargissement, 36 collègues (sur 127) se sont risqués à faire des propositions* largement tournées vers des auteurs plus contemporains : 1) en “féminisant” la liste (Simone Weil, Simone de Beauvoir), 2) en l’élargissant à des auteurs nord américains (James, Dewey, Peirce, Dennett…), voire “orientaux”…, 3) en s’ouvrant davantage aux penseurs de la mouvance marxiste et libertaire (Engels, Feuerbach, Proudhon…), 4) à la science et à l’épistémologie (Canguilhem, Darwin, Einstein…), 5) aux sciences humaines (Smith, Mauss, Lévi-Strauss, Bourdieu…), 6) à la philosophie morale et politique (Ricoeur, Jonas, Habermas, Rawls…), 7) sans oublier les Lacan, Deleuze, Derrida et Foucault … (*) on nous pardonnera cette classification sommaire.
Chapitre 4 : les épreuves, diagnostic et propositions…
Pour plus des 2/3 des sondés, la difficulté de l’épreuve tient à un manque de maîtrise de l’écrit dont les causes sont à chercher bien en amont de la terminale (les commentaires insistent souvent sur l’affaiblissement de l’enseignement du français depuis l’école primaire, ainsi que sur les réductions d’horaires sur l’ensemble du secondaire). Une moitié des sondés considère également que la préparation à l’écrit en terminale est pénalisée par internet (qui prive de nombreux lycéens de l’entraînement à une rédaction personnelle, en dehors du lycée).
En séries générales, les sondés sont aussi nombreux à réclamer le statu quo (37%) qu’à préconiser des changements radicaux (10%) ou partiels (27%, en ajoutant à l’existant une dissertation guidée par exemple). Par contre seul un sondé sur 7 se contente du statut quo en séries technologiques (13 voix contre 79), les autres réclamant à parts égales un changement radical ou partiel (avec une dissertation guidée en sus des exercices existants).
Une fois de plus, on constate l’urgence d’aménager – au moins partiellement – les épreuves en séries technologiques.
Chapitre 4 (complément) : le questionnaire insistait enfin sur l’enseignement de la philosophie en amont de la terminale (en séries géné.) et sur la nouvelle épreuve de la série STHR (hôtellerie et restauration).
Si 1 sondé sur 10 ne voit pas l’intérêt d’un enseignement de la philosophie en amont de la terminale générale, les 3/4 des sondés y voient l’occasion d’une initiation à la philosophie, voire d’une anticipation de son enseignement dans le supérieur. Quant à l’introduction de la nouvelle spécialité HLP (humanités, littérature et philosophie), une moitié des sondés y voit un leurre pour accepter la suppression de la série L et 57,5% y voit un rendez-vous manqué (faute d’envisager le couplage de la philosophie avec les sciences notamment…). Un tiers considère néanmoins qu’il faut se saisir de cette opportunité.
Le nouveau sujet de composition (dissertation guidée) proposé en juin 2018 à l’épreuve de philosophie de la série STHR, n’est pas connu par 1/3 des sondés. Sur les 86 réponses restantes, un quart des sondés n’adhère pas à ce nouvel exercice, un groupe équivalent de collègues estime qu’il faudrait repenser l’intégralité des sujets d’examen des séries technologiques, alors qu’une moitié estime que ce nouveau sujet répond à une nécessité, bien qu’il soit perfectible. Au final, le groupe des partisans d’un changement radical ou partiel est majoritaire en ce qu’il représente les 3/4 des réponses de ceux qui connaissaient cette nouvelle épreuve (ce qui ne vaut pas accord avec l’épreuve STHR, telle qu’elle existe actuellement).
Les commentaires laissés en fin de questionnaire (une bonne quarantaine pour chaque série) insistent à nouveau sur la nécessité de prendre le problème de l’enseignement de la philosophie en amont de la terminale, y compris en insistant sur l’enseignement du français et des mathématiques. Les critiques de la réforme Blanquer et la mise en cause de la dégradation de nos conditions de travail (effectifs, dédoublements…) reviennent également souvent. La réduction du programme (dont parfois la propositions d’un programme tournant) et la perspective de nouvelles épreuves (surtout en séries technologiques : de la proposition d’un oral type TPE, à celle d’un exercice sur un corpus de textes comme en français…) sont également évoquées.
Conclusion : 3 enjeux interdépendants !
L’interprétation de ces 127 réponses ne permet pas de parler au nom de l’ensemble des professeurs de philosophie syndiqués au SNES-FSU et encore moins au nom de la profession (et de ses 3733 enseignants en lycée général et technologique du public en 2018). Nous y voyons néanmoins des orientations qui demanderont à être confirmées à travers les consultations indispensables qui feront suite à la proposition du CSP attendue à la mi-mai 2019.
Il nous semble cependant nécessaire de discerner trois enjeux auxquels nous sommes actuellement confrontés :
1) l’enjeu philosophique (et idéologique) du choix des notions, ouvert depuis le 20 mars, à l’occasion de la présentation du projet de programme faite par le groupe d’experts au CSP. Un mois après cette présentation, le groupe d’experts faisait déjà une présentation amendée de ce projet, à l’intention des éditeurs (en réintroduisant l’inconscient et le travail…). C’est le 15 mai que le CSP fera connaître sa proposition définitive. Commencera alors une seconde phase de consultation avec le ministère (via la DGESCO : la direction générale de l’enseignement scolaire).
Or, à la lumière des réponses du chapitre 3 de ce questionnaire, rien n’indique une volonté d’écarter par exemple, la notion du bonheur, ni d’introduire celle de Dieu. Pour faire le point sur les projets de programmes
2) Mais l’enjeu abordé par ce questionnaire était principalement tourné vers l’architecture du programme (chap.2) dans son rapport aux épreuves (chap. 1 et 4). Comme le rappelle notre CR du chapitre 2, il y va d’un débat opposant 2 écoles (qui se retrouvent dans la partition actuelle des associations professionnelles). Or, l’école des notionnistes purs et durs (rejet des champs, des couplages de notions et des repères), ne dépasse guère 1/4e des collègues ayant répondu à ce questionnaire. Réciproquement, l’école que nous avons appelée “déterministe” (remplacement des notions par des questions) représente plus ou moins le même pourcentage des sondés (sauf en séries techno. où elle pèse plus lourd). Nous constatons donc que la majorité des collègues reste attachée à la structure actuelle des programmes (articulés en champs, notions, repères) en ce qu’elle semble garantir à la fois une indispensable liberté philosophique (condition sine qua non d’un enseignement philosophique de la philosophie) et une nécessaire démocratisation de son enseignement (en réduisant la contingence du lien entre programmes et épreuves). Le questionnaire ne permet pas cependant (à cause notamment de sa conception en 2 volets symétriques) de se prononcer sur la pertinence de programmes différenciés entre les séries générales et technologiques. Or ce problème nous est posé désormais par la proposition de programme du groupe d’experts (mars-avril 2019). Il faudra donc y revenir…
3) Le dernier enjeu est probablement le plus déterminant. Il consiste à juger de ce que deviendrait l’enseignement de la philosophie dans le contexte systémique des réformes (parcoursup-bac-lycée). Osons une analogie. Une chose est de s’interroger sur la nature des plantes qui conviendraient le mieux à notre jardin (d’Epicure), ainsi que sur leur disposition idéale pour ne pas égarer les visiteurs. Mais il se pourrait que Blanquer rende le terrain stérile et l’air irrespirable. Que devient en effet le temps de la philosophie (et non simplement son horaire) dans un contexte universel de sélection et d’évaluation permanente piloté par les réformes ? Voilà pourquoi notre réflexion sur les programmes et les épreuves s’inscrit nécessairement dans un cadre syndical plus global et appelle à une mobilisation au-delà des seuls professeurs de philosophie.
Accès aux réponses brutes du questionnaire (à venir):
A consulter également l’enquête de l’APPEP (avril 2019)
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