La réforme du lycée qui s’est mise en place depuis la rentrée 2019 a dégradé la situation de l’enseignement moral et civique de plusieurs façons. Les dédoublements obligatoires ont disparu des grilles horaires. Beaucoup d’établissements ont choisi, dans un contexte de restrictions des moyens horaires (DHG), de ne pas accorder de demi-groupes à cet enseignement dont l’horaire officiel est de 0,5 heure par semaine soit une heure toutes les deux semaines (en classe entière la plupart du temps). Malgré cette situation défavorable, on est passé de l’absence totale de l’EMC dans l’évaluation terminale au baccalauréat à la prise en compte des moyennes de tous les enseignements, y compris l’EMC donc, dans les 10 % de contrôle continu du nouveau baccalauréat. L’absence d’épreuve jusqu’en 2020 n’empêchait nullement que les programmes d’EMC soient travaillés avec une grande richesse d’approches pédagogiques et une grande diversité de modalités d’évaluation. Les livrets scolaires des candidat·es devaient également être renseignés, que l’on ait mis des notes à cet enseignement ou choisi un autre système (utilisation d’une grille de capacités ou compétences).
Les enjeux de l’évaluation en EMC
Comment évaluer et quoi évaluer en EMC ? C’était une question à laquelle l’institution elle-même n’avait pas voulu s’attaquer du point de vue de l’évaluation certificative. Depuis la création de l’ECJS (enseignement civique juridique et social) en 1999, le Ministère n’avait jamais créé d’épreuve du baccalauréat correspondant à ce nouvel enseignement, ce dont le SNES-FSU ne pouvait que se satisfaire. Il avait toujours été mis en avant que certaines des activités pratiquées en EMC (débats en particulier) pouvaient rendre la notation chiffrée difficile. L’ECJS puis l’EMC à partir de 2015 sont demeurés pendant vingt ans le SEUL enseignement inscrit à l’emploi du temps des élèves qui n’ait pas sa part dans la note du baccalauréat.
Différentes enquêtes, y compris menées par l’institution elle-même, ont montré à quel point ceci était considéré plutôt positivement par les enseignant·es comme par les élèves. L’exercice d’éducation civique puis d’EMC au brevet en 3e fait chaque année l’objet de vives critiques de la part des enseignant·es, qui n’y retrouvent jamais l’encouragement à l’esprit critique de leur enseignement. L’absence de formalisation excessive liée à un exercice « type bac » était ressentie comme une incitation à oser des projets originaux (contenus et méthodes), ne bridant ni la liberté pédagogique des enseignant·es, ni la liberté d’expression des élèves. Or, quel meilleur moyen d’apprendre le sens de ce principe républicain essentiel que de le mettre en pratique ?
Alors, comment évaluer et quoi évaluer en EMC ? Comment penser qu’une question qui n’a pas pu être tranchée en vingt ans d’existence de l’ECJS puis de l’EMC puisse l’être en quelques mois, par la simple magie d’un nouveau texte réglementaire sur le baccalauréat ?
Noter pour noter : le piège du contrôle continu
Avec la mise en place des réformes Blanquer, beaucoup de professeur·es signalent au SNES-FSU faire face à des pressions de leurs hiérarchies pour mettre des notes en EMC. Des notes qui doivent être plus nombreuses qu’auparavant, afin de constituer des moyennes significatives. Il faut donc noter davantage un enseignement dont l’horaire a été divisé par deux ! Les autres pratiques d’évaluation, pourtant installées depuis longtemps, et relevant de l’expertise du métier, sont disqualifiées. Certain·es se voient reprocher vertement de noter trop généreusement ou au contraire trop « sec », et de déséquilibrer l’ensemble du contrôle continu.
Avec la crise sanitaire, cette pression sur la notation confine à l’absurde. Du fait du fonctionnement en demi-jauge, les élèves peuvent ne voir leurs professeur·es en EMC qu’une heure par mois. Dans le même temps, des dispositifs pédagogiques tels que débats et travaux de groupe sont rendus extrêmement difficiles à mettre en place. On aboutit ainsi à une situation où le métier perd tout son sens : il devient plus important d’évaluer l’EMC que de l’enseigner.
Les discours politiques et institutionnels, depuis plusieurs années maintenant, et suite à des drames comme l’assassinat de notre collègue Samuel Paty en novembre 2020, parent cet enseignement de toutes les vertus. L’insistance sur la nécessité de mettre des notes en EMC met alors en évidence un impensé du Ministère : ce dernier est persuadé que l’absence de note chiffrée signifie l’absence d’enseignement. Et les professeur·es chargé·es de l’EMC continuent d’être soupçonné·es de “détourner” cette manne (une heure toutes les deux semaines !) au profit d’un enseignement disciplinaire (histoire-géographie, SES, philosophie, ou encore lettres…). Ce qui est politiquement inadmissible car l’enseignement moral et civique serait l’arme magique contre les « séparatismes », les « particularismes », « l’ensauvagement », les black blocs, les anti-masques, les fake news, le terrorisme, le complotisme, etc. L’intendance n’a qu’à suivre, il en va de l’avenir de la République !
Garder la main sur l’évaluation, et sur notre métier
Que faire, donc, face à cette injonction absurde à noter à tout prix, aussi dégradées soient les conditions d’enseignement ?
On peut tout d’abord proposer une interprétation des recommandations sur l’évaluation de l’EMC faites par le Ministère lui-même
“L’enseignement moral et civique est partie prenante de l’évaluation du baccalauréat pour le cycle terminal, par le biais des moyennes de bulletins. Les modalités d’évaluation sont de la responsabilité des professeurs. L’apprentissage des capacités est intégré dans l’évaluation.”
“partie prenante” = les capacités acquises en EMC sont également évaluées dans les disciplines du tronc commun et les spécialités telles que le français, l’histoire-géographie, les SES, la philosophie, les sciences, c’est “partie prenante” indirectement.
“par le biais des moyennes dans le bulletin” : une seule note ne peut faire une moyenne, donc le mieux est d’inscrire “non noté” dans le logiciel utilisé pour rentrer les moyennes, ce qui neutralise la ligne.
“Les modalités d’évaluation sont de la responsabilité des professeurs”. On (personnels de direction, IPR…) nous a beaucoup vanté les classes sans notes en collège, et même en lycée (seconde), et expliqué que l’évaluation ne voulait pas dire systématiquement évaluation chiffrée. Il s’agirait dans ce cas précis de l’EMC d’en prendre acte collectivement, parce que c’est le plus pertinent et le plus censé sur le plan pédagogique, au regard des finalités de cet enseignement.
La part de contrôle continu « pur » du baccalauréat est constituée de la moyenne des moyennes de TOUS les enseignements obligatoires ET facultatifs des classes de première et terminale. Insister pour noter l’EMC, c’est donner une importance démesurée à cet enseignement, dont l’horaire est le plus faible de tous. La présence ou l’absence de cette note ne changera pas grand-chose pour les élèves, mais on aura au passage contraint les enseignant·es à faire mal leur métier, on les aura poussés à agir contre leur éthique professionnelle.
La dispense de note est possible
Il est enfin inadmissible que le Ministère envisage d’attribuer arbitrairement des « 0 » aux candidat·es qui n’auraient pas de moyenne en EMC dans leurs bulletins. Il s’agit d’une méthode qui relève du chantage pour mettre au pas des professionnel·les ne voulant pas participer à la fabrication artificielle de moyennes, et donc à la manipulation de la note de contrôle continu du baccalauréat. Demandons collectivement que les élèves soient dispensés de cette note lorsque nous estimons n’avoir pas eu le temps pédagogique de les évaluer avec équité. Ou lorsque nous estimons que la note chiffrée n’est pas à même de rendre compte de cette évaluation.